Polluants persistants (PFAS) : quelles réponses juridiques ?
Les risques liés aux PFAS, ou « polluants éternels », ces substances chimiques persistantes, sont de plus en plus documentés et inquiètent. Alors, comment encadrer leur utilisation ?

Par Grégoire Leray, Professeur de droit privé et sciences criminelles, Université Côte d’Azur
Que sont ces polluants persistants ou éternels ?
Les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), également qualifiés parfois de « polluants éternels », ou « persistants » constituent un groupe de plusieurs milliers de produits chimiques synthétiques. Ils sont utilisés dans une grande variété de procédés industriels et de biens, tels que les revêtements antiadhésifs, les textiles résistants techniques, les produits de prévention ou de lutte contre l’incendie, les emballages alimentaires ou plusieurs familles de pesticides.
Parce qu’elles sont par nature persistantes, ces substances inquiètent. À la fois très résistantes à la dégradation et très mobiles, les PFAS sont omniprésentes dans l’environnement, à des niveaux élevés dans les zones de production, mais également de manière diffuse ailleurs. Il semble qu’aucune zone de la planète n’échappe aujourd’hui à la contamination, dans la mesure où une étude a démontré la présence de PFAS dans les eaux de pluie du Tibet ou de l’Antarctique. Or certaines de ces substances présentent un risque sanitaire de plus en plus précisément documenté, ainsi que des risques environnementaux identifiés. Sur les sites de production, les populations exposées dans le cadre de leur activité professionnelle présentent les niveaux d’exposition les plus élevés, majoritairement liés à l’inhalation directe de ces substances. À distance de ces sites, la population, y compris dans des zones éloignées des sources de pollution, se trouve à son tour exposée à plusieurs PFAS par le truchement de l’eau potable et de l’alimentation dont la dangerosité pour la santé est bien connue.
Quelles sont les réactions juridiques potentielles ?
Afin d’encadrer les risques liés à ces substances, la réaction des autorités publiques doit emprunter plusieurs voies. La première est celle d’un approfondissement de la connaissance scientifique relative à ces substances. En effet, toutes ne présentent pas de danger documenté, et il est urgent d’offrir aux autorités publiques une visibilité qui puisse guider leur action. La deuxième doit se matérialiser par une action forte de prohibition de la production des PFAS afin de tarir la source de la pollution fondée sur les connaissances scientifiques. Ponctuellement, l’Union européenne y a recouru pour les substances les mieux connues ; la troisième est la voie de la transparence à l’égard des populations quant au risque encouru ; la quatrième, abyssale, est celle de l’identification des perspectives de remédiation de la pollution, dont le coût évalué dépasse l’entendement.
Pour l’heure, plusieurs signaux d’alarme ont été tirés ces dernières années. Un programme conduit par Santé Publique France avait attesté, dès 2019, de la présence de PFAS chez l’intégralité de la population testée. En outre, afin de bien appréhender le risque sanitaire lié aux PFAS, le Haut Conseil de la Santé Publique a rendu, le 18 décembre 2024, des recommandations non encore assez considérées. L’alerte à propos de la dangerosité des PFAS, et la mise en lumière de leur présence dans les eaux superficielles proviennent en grande partie d’initiatives associatives et journalistiques dont la plus importante, représentant un travail fondamental, est la Forever pollution project.
Certes, le sujet est pris en compte par les pouvoirs publics. Cependant, cela n’a pour l’heure conduit à aucune évolution à la hauteur de la menace qui appelle autant une réaction forte de prohibition que des mesures d’élaboration de substitutions aux pratiques en cause. Cette combinaison d’actions avait conditionné le succès du protocole de Montréal en 1987, offrant une solution juridique concrète pour lutter contre le trou dans la couche d’ozone. Seuls quelques grands producteurs étaient concernés, dont plusieurs à nouveau pris dans la tempête de l’attention médiatique aujourd’hui en matière de PFAS, et ils étaient parvenus à s’entendre pour mettre au point des produits de substitutions au CFC (chlorofluorocarbone).
Quelles sont les réactions juridiques actuellement initiées ?
Plusieurs textes réglementent d’ores et déjà les substances chimiques, sans être consacrés spécifiquement au sujet des PFAS. En droit européen, tel est à titre principal le cas du règlement Reach. Plusieurs pays européens plaident depuis 2023 pour qu’il soit amendé afin de contenir une restriction universelle de la fabrication, de l’utilisation et de la mise sur le marché des PFAS. Par ailleurs, une évolution récente de la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine imposera la systématisation du contrôle des PFAS dans les eaux dès le 1er janvier 2026. La Commission recommande en outre une surveillance de la teneur en PFAS dans les denrées alimentaires.
En droit interne, une proposition de loi a été adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale jeudi 20 février. Le texte ambitionne en premier lieu de protéger la population des risques liés aux PFAS en tendant au bannissement de ces substances du territoire national. Seraient ainsi interdites la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de certains produits contenant des PFAS (cosmétiques, fart de ski et textiles d’habillement dès 2026 ; ensemble des textiles dès 2030). Plusieurs exclusions d’interdiction sont prévues. En tout état de cause, la loi n’interdit pas la présence de PFAS de manière absolue dans les éléments listés, mais renvoie à un décret qui viendra fixer des seuils limites de concentration des PFAS dans ceux-ci. En second lieu, la proposition de loi vise à renforcer le contrôle des PFAS dans les eaux. L’intérêt principal de ce texte, nécessairement imparfait au regard de l’enjeu, mais objet d’un jeu d’équilibres subtils, est de permettre à la France de prendre de l’avance par rapport à l’évolution probable des textes européens en la matière.
Il a pu être reproché à la loi de traiter les PFAS de manière uniforme, ce qui, d’un point de vue chimique est discutable tant la variété des substances contenues dans cette famille est importante. Pour certaines, le danger est connu, pour d’autres, il n’est pas établi. Ainsi, au sein des PFAS, la catégorie des polymères fluorés est parfois présentée comme dénuée de nocivité pour la santé, dans la mesure où elle est constituée de substances trop volumineuses pour traverser la membrane cellulaire. Cela dit, il n’y a pas de certitude en la matière. La réponse la plus adaptée à ces doutes scientifiques semble résider dans une interdiction des substances de la famille des PFAS, assortie d’exceptions pour les usages essentiels à propos desquels aucune alternative viable n’existe, tout en encourageant la recherche de solutions de remplacement sûres. Cette approche unifiée traitant les PFAS comme une famille chimique est bien celle de la proposition de loi, qui apporte une réponse juridique privilégiant la santé des populations, tout en conservant une approche pragmatique à l’égard des besoins actuels d’usages des PFAS. Illustration de ce pragmatisme, le texte ne traite pas de l’industrie pharmaceutique et des usages médicaux des PFAS.
Si la proposition de loi est aussi sensible, c’est qu’elle porte en elle une contrainte certaine pour les industriels français. Elle place en effet les producteurs et utilisateurs de PFAS face à un choix implacable ; s’adapter et recourir à des techniques de substitution quand elles existent, ou cesser leur activité. Cela dit, il semble que les usages non-essentiels représentent 90% des utilisations de PFAS, et que nombre d’industrie concernées sont déjà prêtes pour le bannissement de ces substances. Les conséquences négatives de l’interdiction des PFAS en matière d’emplois sont scrutées, comme celles concernant la compétitivité des entreprises françaises contraintes. Les conséquences économiques à court terme ne doivent pas être négligées, mais doivent être lues à la lumière des coûts sanitaires, environnementaux et financiers générés par la production de PFAS.
Enfin, le sujet de la responsabilité ne saurait être ignoré. Comme c’est fréquemment le cas en matière de pollution, la nuisance portée par la présence systématique des PFAS est pour l’heure diffuse, mais des postes de préjudices réparables, sanitaires ou environnementaux peuvent être identifiés et fondés sur des certitudes scientifiques à propos de plusieurs substances. Sous l’angle de l’identification des responsables, les producteurs de ces substances PFAS sont connus et peu nombreux. Au mois de février 2025, une action en responsabilité civile ciblée contre des industriels a été ouverte face à la pollution aux PFAS dans la vallée de la chimie, et une plainte déposée par des distributeurs d’eau potable, considérant que plusieurs infractions seraient en matière de PFAS constituées : pollution des réseaux d’adduction d’eau potable par déversement de substances, abandon de déchets et dégradation substantielle de l’environnement.