Loi « Duplomb » : tracteurs et détracteurs !
La loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » vire au psychodrame politique. Après sa validation en 1re lecture par le Sénat, le texte a été théâtralement rejeté par l’Assemblée nationale pour couper court à la discussion publique et confier son adoption définitive à la Commission mixte paritaire, plus favorable à son contenu.

Par Benoît Grimonprez, Professeur à l’Université de Poitiers
Que prévoit ce texte qui soulève un vent d’opposition ?
La proposition de loi du sénateur de Haute-Loire Laurent Duplomb se veut une réponse aux manifestations agricoles de l’année 2024. Elle complète une loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire du 24 mars 2025 posant vaguement quelques principes pour redorer l’image de l’agriculture française. Derrière un intitulé très ambitieux, ce nouvel acte législatif n’aborde en réalité que trois sujets, très clivants : l’autorisation des produits phytosanitaires (pesticides), les formalités encadrant la taille des élevages et l’accès à l’eau. Des dossiers emblématiques des normes environnementales françaises qui, selon les syndicats, pénalisent la compétitivité de nos agriculteurs. Sans surprise, pour les mouvements écologistes, ce sont des lignes rouges qui sont franchies.
Le moins que l’on puisse dire est que cette loi est très réductrice des difficultés agricoles actuelles. Non seulement elle ne s’attaque pas aux réelles contraintes administratives que rencontrent quotidiennement les producteurs (déclarations, formalités en tous genres), mais par son prisme très anti-écologique, elle suscite des réactions délirantes qui éloignent le citoyen de la réalité que vit le monde agricole.
Assiste-t-on avec cette loi à une régression sans précédent des règles sur les pesticides ?
Régression oui, sans précédent non. Dans sa version provisoire, telle qu’adoptée par le Sénat, la loi prévoit trois choses. Tout d’abord de modifier la règle de la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytosanitaires. A l’avenir, l’interdiction de conseiller ne vaudrait plus que pour le seul producteur de pesticides. En fait, le régime séparant l’activité de vente et de conseil des pesticides n’a jamais vraiment fonctionné, les vendeurs continuant de promouvoir informellement leurs produits.
Un autre point concerne les décisions de l’Agence Nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses), relatives à la mise sur le marché des pesticides. L’agence est-elle mise sous tutelle politique, comme on peut le lire ? Pour rappel, avant qu’elle ne soit transférée en 2014 à cette instance, la compétence de délivrer les autorisations des pesticides appartenait au ministère de l’agriculture. La loi ne revient pas au système d’antan. Elle énonce, qu’avant toute décision de rejet, l’agence informe ses ministères de tutelle et communique ses motifs au demandeur. La loi crée aussi des « usages prioritaires » en cas de menaces importantes de ravageurs sur le potentiel de production national. Ces usages font l’objet d’un calendrier particulier d’instruction des demandes de la part de l’Anses, sans que soient remises en cause les règles d’évaluation des risques des produits.
Enfin, la mesure la plus polémique est la réintroduction possible d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes. Ce n’est pas une première, puisque que depuis que la France a interdit en 2018 cette classe de molécule toxique pour les insectes pollinisateurs, les réautorisations dérogatoires ont été la règle. La loi « Duplomb » reprend en fait le dispositif mis en place de 2020 à 2023 pour la filière betteravière. Un décret pourra réintroduire, à titre exceptionnel, ce genre de substance dans un cadre restrictif : pour un usage donné ; après avis d’un conseil de surveillance ; en l’absence d’alternatives ou si elles sont manifestement insuffisantes ; si existe un plan de recherche sur les alternatives. Il ne devrait donc pas y avoir un retour généralisé, mais plutôt ciblé (par exemple, la filière noisettes), de ce type de molécule.
Le problème de fond que pose surtout cette disposition est politique. A quelle échelle la décision d’homologation d’une substance doit-elle être prise dans un marché agricole complètement ouvert ? La France peut-elle interdire chez elle, et importer sur son sol, ce que ses voisins autorisent ? Du reste, si la substance a des effets inacceptables sur l’environnement et la santé, pourquoi a-t-elle été de nouveau homologuée par l’EFSA au plan européen ?
En l’état, la loi menace-t-elle la protection de la ressource en eau ?
Le législateur entend ici simplifier, d’une part, le stockage de l’eau pour l’agriculture, et d’autre part, les travaux dans les zones humides qui seraient déjà « fortement modifiées ». Hélas pour les agriculteurs, mais par chance pour les milieux, ces mesures sont si mal conçues qu’elles devraient avoir un impact limité.
Si je prends les réserves d’eau, baptisées méga-bassines par leurs opposants, elles seront présumées d’intérêt général majeur à certaines conditions. La portée de la présomption reste cependant énigmatique. Est-elle simple ou irréfragable ? A quelles règles environnementales permettra-t-elle de déroger ? Si on pense aux règles de protection des espèces, en revanche il n’est pas sûr que ces ouvrages puissent éviter de se conformer aux documents de gestion des eaux (SDAGE, SAGE) comme l’exige la jurisprudence. Plusieurs conditions sont en outre requises : être dans une zone affectée par un déficit d’eau pérenne ; l’existence d’une démarche territoriale concertée ; un engagement dans des pratiques sobres en eau ; un accès à l’eau favorisé pour tous les usagers. C’est bien simple, aucun projet de stockage en France ne coche jusqu’à présent ces critères, lesquels d’ailleurs ne manqueront pas de nourrir le contentieux.
A première vue, la loi « Duplomb » ne lèvera que peu de contraintes et pour peu d’agriculteurs. Symboliquement très marquée, elle n’aura certainement pas, au plan technique, la portée que lui prêtent les uns et les autres. Le sens de la mesure n’est pas interdit.