Nicolas Sarkozy : la cour d’appel ordonne la libération de l’ancien chef d’Etat
La Cour d’appel de Paris a ordonné la mise en liberté demandée par M. Nicolas Sarkozy. Elle a assorti cette liberté d’un contrôle judiciaire lui interdisant de sortir du territoire national et de rencontrer les autres personnes impliquées dans le dossier mais aussi d’autres personnes parmi lesquelles le ministre de la Justice en exercice et les membres de son cabinet.
Publié le | Modifié le
Par Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Membre du Club des juristes
À quel titre la Cour d’appel s’est-elle prononcée et quelle est sa décision ?
La Cour d’appel de Paris était saisie d’une demande de mise en liberté de M. Nicolas Sarkozy formulée à la suite de son incarcération, laquelle a résulté de sa condamnation à 5 ans d’emprisonnement ferme avec exécution provisoire. Cette demande en liberté était fondée sur les articles 148-1 et 148-2 du Code de procédure pénale. Ceux-ci prévoient que la personne incarcérée dans l’attente d’un jugement peut saisir la juridiction saisie d’une demande de mise en liberté. En l’occurrence, la juridiction saisie est la Cour d’appel de Paris devant laquelle Nicolas Sarkozy a fait appel de sa condamnation au premier degré ; c’est donc à celle-ci qu’il incombait d’examiner sa demande de mise en liberté. La Cour d’appel avait deux mois pour examiner sa demande ; elle l’a fait dans un délai de trois semaines.
La personne privée de liberté qui a fait appel de sa condamnation demeure présumée innocente, puisque sa condamnation n’est, par hypothèse, pas définitive. Il en découle que sa privation de liberté est une détention provisoire et non l’exécution d’une peine alors même que son incarcération a été prononcée comme l’exécution provisoire d’une condamnation. La conséquence est que la mise en liberté s’apprécie par rapport aux conditions du placement ou de la prolongation de la détention provisoire prévues par l’article 144 du Code de procédure pénale. Ces conditions sont la conservation des preuves, les pressions sur les témoins ou victimes, la concertation frauduleuse avec les coauteurs et complices, la protection de la personne mise en examen, la garantie du maintien à la disposition de la justice et la cessation de l’infraction ou la prévention de son renouvellement. C’est par rapport à ces conditions que la Cour d’appel devait examiner s’il convenait de prolonger l’incarcération de M. Nicolas Sarkozy ou au contraire de le mettre en liberté.
La Cour d’appel a examiné l’ensemble de ces conditions pour considérer qu’elles n’étaient pas remplies ou, à tout le moins, qu’elles n’étaient pas suffisamment remplies pour maintenir M. Nicolas Sarkozy en détention. Cela l’a conduite à ordonner sa mise en liberté. C’était la position prise par le parquet général à l’audience qui a requis cette mise en liberté en réclamant qu’il soit assorti d’un contrôle judiciaire, ce qui a été la décision de la Cour d’appel.
La Cour d’appel a assorti la mise en liberté de Nicolas Sarkozy d’un contrôle judiciaire. Pour quelles raisons et quelles sont les obligations qui ont été imposées à Nicolas Sarkozy ?
La mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire – ce qui est la situation d’une personne incarcérée au titre de l’exécution provisoire d’une peine d’emprisonnement dont elle fait appel- peut être assortie d’un contrôle judiciaire pour neutraliser les risques que ferait encourir cette mise en liberté pour le bon déroulement de la procédure. Ce contrôle judiciaire porte sur des obligations qui sont imposées à la personne mise en liberté et dont la liste est déterminée par l’article 138 du Code de procédure pénale.
En l’occurrence, la Cour d’appel a imposé deux obligations à M. Nicolas Sarkozy.
La première obligation est l’interdiction de quitter le territoire national. Cette interdiction n’a pas été motivée par rapport à un risque de fuite à l’étranger, la Cour ayant reconnu qu’il n’y avait pas lieu de redouter que M. Nicolas Sarkozy ne se présente pas à l’audience d’appel. Cette interdiction a été justifiée par les facilités qu’aurait M. Nicolas Sarkozy, comme ancien Président de la République, d’entrer en contact à l’étranger avec des témoins clefs qui s’y trouvent et avec les dirigeants des pays où ces témoins résident. La Cour d’appel a fait valoir que ces facilités de contact font courir un risque de pression ou de concertation sur ces témoins par lui-même ou par l’intermédiaire de ces dirigeants.
La seconde obligation est l’interdiction de recevoir, rencontrer ou d’entrer en relation avec un certain nombre de personnes que la Cour d’appel qualifie « d’interdiction élargie de contacts ». Cette interdiction vise d’abord les autres personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel dans la même affaire. Elle porte aussi sur une liste de personnes dont la désignation n’est pas justifiée même si on peut supposer qu’elle s’explique par la même crainte de pression ou de concertation. L’interdiction vise enfin le ministre de la Justice en exercice, les membres de son cabinet et tout cadre du ministère de la justice susceptible d’avoir connaissance des remontées d’informations prévues par les articles 35 et 39-1 du Code de procédure pénale. Cette dernière interdiction, qui n’avait pas été requise par le parquet général, est justifiée par la nécessité « d’éviter un risque d’obstacle à la sérénité des débats et d’atteinte à l’indépendance de la justice ».
Cette interdiction de rencontrer le ministre de la Justice et les membres de son cabinet, qui est très commentée, est-elle conforme aux dispositions applicables au contrôle judiciaire ?
L’article 138 du Code de procédure pénale ne prévoit pas de critère pour une interdiction de recevoir ou de rencontrer une personne. Il en découle que cette interdiction peut s’appliquer à n’importe quelle personne sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit impliquée dans la procédure comme coauteur, complice, victime ou témoin. Cette indétermination ne peut pas cependant donner lieu à une interdiction qui serait arbitraire, c’est-à-dire qui ne serait pas justifiée. L’interdiction de rencontrer une personne consiste dans une atteinte à une liberté ; elle doit, à ce titre, être nécessaire, c’est-à-dire justifiée par des impératifs qui en sont la condition de la validité.
En l’occurrence, la Cour d’appel a motivé l’interdiction de M. Nicolas Sarkozy de recevoir et de rencontrer le ministre de la Justice et les membres de son cabinet par le souci « d’éviter un risque d’obstacle à la sérénité des débats et d’atteinte à l’indépendance de la justice ». C’est donc par rapport à ce risque qu’il a considéré que cette interdiction était nécessaire. Il a plus particulièrement fait état du fait que le ministre de la Justice peut être destinataire d’informations sur les affaires sensibles en application des articles 35 et 39-1 du Code de procédure pénale et qu’il y avait lieu de craindre que M. Nicolas Sarkozy puisse avoir accès à ces informations par ses contacts avec le Garde des Sceaux et son cabinet. La cour d’appel a justifié cette crainte en rappelant que M. Nicolas Sarkozy avait été condamné du chef de corruption active et trafic d’influence actif dans une procédure mettant en cause un avocat général près la Cour de cassation, ce qui montrait « sa capacité à actionner différents services de l’État nonobstant le fait qu’il n’exerce plus de qualité officielle ». C’est pourquoi elle a ordonné qu’il n’entre en contact ni avec le ministre de la Justice ni avec les membres de son cabinet et les cadres du ministère ayant accès aux remontées d’informations dont il est destinataire. Au regard de ce critère tiré de l’accès aux remontées d’informations, on peut se demander si la liste des personnes visées n’aurait pas pu être étendue, dès lors que ces remontées d’informations peuvent a priori être communiquées à d’autres membres du gouvernement sinon au cabinet du Président de la République ou au Président de la République lui-même. Or, nul n’ignore que M. Nicolas Sarkozy a été reçu par le Président de la République avant son incarcération…
Nonobstant sa motivation qui répond formellement à la condition de nécessité du prononcé d’une interdiction de rencontrer une personne, il est peu douteux que l’interdiction de rencontrer le Garde des Sceaux et les membres de son cabinet est aussi une réponse de l’autorité judiciaire au déplacement du ministre de la Justice à la prison de la santé où il s’était entretenu avec M. Nicolas Sarkozy. On se souvient que M. Rémy Heitz, Procureur général près la Cour de cassation, avait publiquement déclaré qu’elle pouvait porter atteinte à l’indépendance de la Justice. Le syndicat de la magistrature y avait vu des pressions sur les magistrats. Le motif mis en avant par la Cour d’appel pour interdire à M. Nicolas Sarkozy d’entrer en contact avec M. Gérald Darmanin et son cabinet est précisément le même risque d’atteinte à l’indépendance de la magistrature, ce qui n’est évidemment pas fortuit. Si l’interdiction est imposée à M. Nicolas Sarkozy, elle semble s’adresser davantage au Garde des Sceaux qui avait pris l’initiative d’aller rendre visite à M. Nicolas Sarkozy. Ce faisant, la Cour d’appel signifie sa désapprobation au ministre de la Justice de sa visite à M. Nicolas Sarkozy ; elle use même de ses pouvoirs pour lui conférer une portée juridictionnelle en lui faisant formellement défense de revoir M. Nicolas Sarkozy.