La situation carcérale dans les Outre-mer : une singularité française ?
Le 7 octobre 2024, dix jours après une mutinerie avec prise d’otages, le chef d’établissement de la prison de Majicavo à Mayotte démissionnait pour « attirer l’attention sur cet établissement et ainsi contribuer (…) à améliorer les conditions de travail des personnels, les conditions de vie des détenus ». En l’occurrence, 650 détenus pour 278 places. Un cri d’alerte qui vaut pour toutes les prisons ultramarines.
Par Muriel Giacopelli, Professeur à Aix-Marseille Université, Directrice de l’IEJ, Directrice du master 2 « droit de l’exécution des peines ».
La situation des prisons ultra-marines est-elle singulière ?
Vu du continent, les prisons d’outre-mer sont tristement connues pour leurs conditions de détention incompatibles avec la dignité humaine. Au 1er mai 2023, 73 162 personnes étaient incarcérées dont 5 852 détenues dans les établissements pénitentiaires ou maisons d’arrêt ultra-marins, avec une densité carcérale (soit le ratio entre le nombre de places en prison et le nombre de personnes détenues) moyenne de 127 3% en Outre -mer au 1er mai 2023 et une concentration à Mayotte et en Guyane, de 208,6% et 155,6 %. Dans certains quartiers où la pression est la plus forte, comme dans la partie « centre de détention » de Majicavo, la surpopulation carcérale atteint 250,9% et frôle les 200% dans le quartier maison d’arrêt de la prison de Rémire Montjoly en Guyane. Par deux fois en 2011 et en 2019, le centre de détention de Nouméa faisait l’objet de recommandations en urgence du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) tandis qu’en 2013, déjà, un rapport de l’Assemblée nationale soulignait « le cas extrême de l’Outre-mer ». La situation en mode dégradé, dont on pouvait dire hier encore, qu’elle ne concernait que les prisons ultra-marines, est devenue une banalité. La France, dans une indifférence quasi générale, a atteint en ce mois d’octobre 2024, le triste record de 78 969 personnes détenues pour 62 000 places, et ce, malgré la condamnation de la France par la CEDH. Dans l’arrêt JMB c/ France du 30 janvier 2020, la Cour condamnait la France au double visa des articles 3 et 13 Conv. EDH (soit pour traitement dégradant et inhumain et manquement au recours effectif) en raison du caractère systémique de sa surpopulation carcérale. La dignité des personnes détenues est un droit fondamental inaliénable et indérogeable. Dès lors, il est difficile de dire si la situation est pire ou non en Outre-mer, mais elle n’est plus, hélas, isolée. Ainsi, le 28 septembre 2024, près de 150 détenus de la maison d’arrêt de Nîmes ont refusé de rejoindre leur cellule après leur promenade pour protester contre leurs conditions de détention, avec 200 places pour 486 personnes détenues.
Quel est l’impact de la surpopulation carcérale ?
Avec une densité globale qui avoisine les 127,3%, la France se place parmi les mauvais élèves de l’Europe. Or, lorsqu’il s’agit d’évoquer la prison, tout fait système. Si la conséquence la plus visible de la surpopulation carcérale concerne la dignité des personnes incarcérées, lesquelles s’entassent dans les maisons d’arrêt à trois ou quatre dans des cellules, des matelas jetés au sol, où l’hygiène est défaillante (trace de moisissure, présence de nuisibles, absence de cloison séparant le coin sanitaire en cellule …), la surpopulation carcérale a des répercussions sur le nombre d’activités proposées, que ce soit l’enseignement, le travail (..), quand celles-ci peuvent être tout bonnement réalisées. La surpopulation avec son corollaire, la promiscuité, sont les ingrédients d’un cocktail explosif engendrant insécurité et montée de la violence. Après une période estivale émaillée d’incidents, avec la multiplication d’agressions de surveillants à Perpignan fin juillet, à Béziers, à Bordeaux Gradignan et pour clore le tout le décès d’un homme tué par son co-détenu dans la prison surpeuplée des Baumettes sur fond de narcotrafic, la gronde se fait sentir chez les personnels de l’administration pénitentiaire. La surpopulation pénale interroge le sens même de la peine et celui de l’action de l’administration pénitentiaire dont l’une des principales missions est de contribuer à l’insertion ou la réinsertion des personnes qui lui sont confiées et à la prévention de la commission de nouvelles infractions. Que faire devant l’inertie du gouvernement malgré la politique d’encerclement dont il fait l’objet menée conjointement par le CGLPL, le Conseil économique social et environnemental et la cour des comptes, sinon un coup d’éclat ?
Quels sont les mécanismes d’alertes pour lutter contre la surpopulation carcérale ?
La réponse politique se résume souvent à l’annonce de plus de places en prison. Michel Barnier lors de la déclaration de politique générale a annoncé poursuivre le « plan 15 000 » lancé par son prédécesseur relatif à l’élargissement du parc immobilier pénitentiaire. Mais cela ne suffira pas ! Pour l’heure, les établissements pénitentiaires tentent de faire face à la surpopulation carcérale en posant des rustines, telle la pratique du délestage qui consiste, comme à Mayottte, à faire baisser la pression de l’établissement en transférant 27 détenus vers les établissements du département voisin de la Réunion. Mais c’est aussi faire de la place comme on peut au mépris du code pénitentiaire en remplissant par exemple le quartier arrivant, qui comme son nom l’indique est un quartier d’évaluation de la personne détenue avant son affectation où le temps est nécessairement limité. Certaines initiatives locales comme l’adoption d’un seuil de criticité ont eu l’écoute des États généraux de la justice, tandis que d’autres établissements mettaient en place un système de « stop écrou ». L’idée de la mise en œuvre d’une politique de régulation carcérale, objet d’une proposition de loi, fait son chemin dans les milieux autorisés. Certes, en réponse à la condamnation de la France par la CEDH, un nouveau recours en cessation des conditions indignes de détention a été créé, à l’effectivité critiquée et dont l’objet, limité aux seules requêtes individuelles, ne peut répondre structurellement à la surpopulation carcérale.