Par Natalie Fricero, Professeure des Universités (Université Côte d’Azur), membre du Conseil national de la médiation

Qu’est-ce que le tribunal des activités économiques ?

Le tribunal des activités économiques (TAE) est le nom donné au tribunal de commerce dans le cadre d’une expérimentation prévue par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (art. 26).

L’arrêté du 5 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du TAE (NOR : JUSB2418778A) a désigné 12 tribunaux de commerce en tant que tribunaux des activités économiques (Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre, Versailles) et a prévu que l’expérimentation débute le 1er janvier 2025, pour une durée de quatre ans. Un comité de pilotage (décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du TAE, art. 2; et arrêté du 29 oct. 2024 JUSB2428413A qui nomme les 10 membres), et un comité d’évaluation (art. 3; et arrêté du 29 oct. 2024 JUSB2428413A, qui nomme les 7 membres) ont été créés.  

Afin de faire face à la spécialisation accrue du contentieux commercial et des procédures collectives, et de concentrer les demandes devant une juridiction unique, le TAE est doté d’une compétence plus étendue que les autres tribunaux de commerce : il connaît des procédures collectives, quels que soient le statut et l’activité du débiteur (notamment des agriculteurs), à l’exception de celles ouvertes à l’égard des personnes exerçant la profession d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire. Lorsqu’il est saisi de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, le TAE connaît de toutes les actions et les contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure et qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants. Sa composition a été modifiée : le TAE est composé des juges élus du tribunal de commerce, de juges exerçant la profession d’exploitant agricole (assesseurs nommés par le ministre de la justice) et du greffier qui est un officier public et ministériel.

L’originalité de la réforme est la création d’une contribution pour la justice économique qui a été jugée conforme aux principes constitutionnels. En quoi consiste-t-elle ?

L’article 27 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, ainsi que le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024, ont précisé la contribution pour la justice économique versée par la partie demanderesse, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office. L’objectif est de permettre un financement de la justice économique par une contribution de celui qui recourt au service public de la justice. Le dernier rapport de la Commission européenne d’évaluation de la justice (CEPEJ) de juin 2024 (données 2022) révèle que pratiquement tous les Etats alimentent le budget de la justice par des frais versés par les justiciables (par ex. page 29 du rapport : « l’Allemagne est très dépendante des frais de justice, qui représentent environ 45% du budget de son système judiciaire ; dans sept États membres, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Allemagne, Malte, Macédoine du Nord et Türkiye, les frais de justice représentent 15% ou plus du budget du système judiciaire, alors que dans d’autres, ils sont inférieurs à 5%. Le revenu médian provenant des frais et taxes de justice oscille autour de 8% du budget du système judiciaire »). Compte tenu des difficultés budgétaires que connaît la France pour le financement de son système judiciaire, il a paru opportun de s’inspirer des modèles européens.

Le Conseil constitutionnel a été saisi pour contrôler la conformité de cette disposition aux principes constitutionnels : dans sa décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023 (JORF n° 0269 du 21 nov. 2023, NOR : CSCL2331124S), il a jugé que l’expérimentation prévue par la loi du 20 novembre 2023 est conforme à la Constitution parce qu’elle ne porte atteinte à aucun principe constitutionnel. En effet, le législateur a précisé le domaine et les conditions de l’expérimentation, et « le grief tiré de l’inégalité de traitement entre les justiciables soumis à l’expérimentation et ceux qui n’y sont pas soumis, laquelle est la conséquence nécessaire de la mise en œuvre de cette expérimentation, ne peut qu’être écarté ». En outre, les juges qui composent le TAE seront soumis aux mêmes obligations et garanties d’indépendance et d’impartialité que celles applicables aux juges des tribunaux de commerce et les droits de la défense et le droit à un procès équitable sont respectés.

Quelles sont les modalités de cette contribution ?

La contribution est versée par le demandeur qui saisit un TAE d’une demande, lorsque la valeur totale des prétentions qui y sont contenues est supérieure à un montant de 50 000 euros (ce montant ne comprend pas les sommes demandées sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais de procédure non intégrés dans les dépens). Seule la demande principale est prise en compte, non les demandes incidentes. S’il y a plusieurs demandeurs, chacun d’eux paie une contribution si sa demande est supérieure à 50 000 euros.

Seules sont tenues de contribuer les personnes physiques ou les personnes morales qui emploient plus de 250 salariés. Le montant de la contribution dépend de nombreuses critères (voir l’art. 27 de la loi et le décret du 30 décembre 2024 pour les détails : chiffre d’affaires, bénéfice annuel moyen pour les personnes morales, revenu fiscal de référence pour les personnes physiques), le montant maximal étant de 100 000 euros.

Il existe des exceptions : pour l’essentiel, sont dispensés, le ministère public et l’Etat, une collectivité territoriale ou un organisme public de coopération mentionné à l’article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales. Les procédures collectives ne sont pas concernées (le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et aux articles L. 351-1 à L. 351-7-1 du code rural et de la pêche maritime ne verse pas de contribution).

Pour inciter les parties à négocier et à trouver une solution par elles-mêmes en recourant à un mode amiable de résolution de leur différend, il est prévu que la contribution pour la justice économique n’est pas due lorsque la demande est relative à l’homologation d’un accord issu d’un mode amiable de résolution des différends ou d’une transaction. Si elle a été versée lors de la formation de la demande, la contribution est remboursée en cas de décision constatant l’extinction de l’instance par suite d’un désistement ; ou de transaction conclue à la suite du recours à un mode amiable de résolution des différends (médiation ou conciliation, ou procédure participative assistée par avocats) lorsqu’elle met fin au litige.

La gestion du paiement est assurée par le greffier du TAE. Il détermine si le demandeur est assujetti à la contribution pour la justice économique et en calcule le montant en fonction du barème défini par les textes. Le versement de la contribution est effectué au guichet du greffe ou, par voie électronique, sur le site www.tribunal-digital.fr . Il donne lieu à l’émission d’un justificatif, le cas échéant, dématérialisé. Les dispositions du code de procédure civile relatives aux dépens sont applicables à la contribution.

Le produit de la contribution est conservé sur le compte de dépôt dédié jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du jugement qui dessaisit le TAE ou, le cas échéant, de la décision qui constate l’extinction de l’instance et le dessaisissement du tribunal. Le produit de la contribution et les intérêts le cas échéant produits par le dépôt sont reversés chaque trimestre au budget général de l’Etat.

Le non-versement de la contribution est-il sévèrement sanctionné ?

Oui. Le demandeur est sanctionné par l’irrecevabilité de sa demande, prononcée même d’office par la formation de jugement ou le juge chargé d’instruire l’affaire qui statue soit à l’audience, soit sans débat, après avoir sollicité les observations du demandeur. La décision est notifiée au demandeur qui dispose de 15 jours pour régulariser en versant la contribution et solliciter la rétractation d’irrecevabilité.