Par Frederick T. Davis, ancien procureur fédéral et membre des barreaux de New York et de Paris

Pourquoi Donald Trump s’en prend-il aux avocats aux Etats-Unis ?

L’offensive de Donald Trump contre les professions juridiques prend plusieurs formes. Au sein de son administration, il a systématiquement limogé les juristes du ministère de la Justice qu’il estimait insuffisamment loyaux, les remplaçant par d’autres n’ayant que peu, voire aucune, expérience en tant que procureurs publics, mais ayant fait preuve de fidélité personnelle à son égard, notamment en le défendant dans ses affaires civiles et pénales.Son administration a également exigé que vingt grands cabinets d’avocats justifient publiquement leur engagement en faveur des politiques de “DEI” (“diversité, équité et inclusion”), un courant politique associé au Parti démocrate, et que l’administration Trump combat vigoureusement.

Mais les mesures les plus spectaculaires sont les ordres par lesquels Donald Trump a nommément désigné certains cabinets d’avocats et ordonné à l’administration fédérale de prendre des mesures drastiques pour limiter leur capacité à exercer leur activité. Ces mesures incluent le retrait d’habilitations de sécurité aux avocats concernés (empêchant de facto les cabinets de traiter certains dossiers sensibles), l’interdiction pour ces cabinets – et, pire encore, pour leurs clients – de recevoir des fonds publics, et l’interdiction d’accès de leurs avocats aux bâtiments fédéraux.

Ces ordres exécutifs sont stupéfiants à au moins deux égards. D’une part, ils sont d’une sévérité extrême : s’ils étaient pleinement appliqués, ils entraîneraient probablement la faillite des cabinets visés. L’extension de ces mesures aux clients constitue une forme particulièrement brutale de “boycott secondaire”. D’autre part, il est manifeste que ces décisions n’ont rien à voir avec leur performance professionnelle, mais tout avec le fait que ces cabinets, ou certains de leurs avocats actuels ou anciens, ont représenté des clients ou adopté des positions hostiles à Donald Trump personnellement. Le premier cabinet publiquement visé – Covington & Burling – a été attaqué pour avoir accepté de représenter Jack Smith, l’ancien procureur spécial chargé de l’enquête pénale contre Donald Trump. Plus surprenant encore, les trois cabinets suivants ont été ciblés non pour des actes récents, mais en raison de leurs anciens avocats : Perkins Coie (ancien conseil d’Hillary Clinton), Paul Weiss (dont un ex-associé avait rejoint une équipe enquêtant sur Trump), et Jenner & Block (dont un ancien associé avait travaillé avec Robert Mueller dans son enquête officielle de Trump). Le message de Trump est limpide : tout avocat qui ose conserver son indépendance et accepte de représenter des clients critiques du gouvernement ou de Trump lui-même sera menacé de ruine. C’est de l’intimidation, pure et simple.

Comment réagit la profession ?

La première réaction à ces mesures a été une résistance notable, nourrie de l’espoir que la profession dans son ensemble s’unirait contre cette tentative flagrante d’intimidation. Le cabinet Perkins Coie a intenté une action en justice contre l’ordre qui le vise ; un juge fédéral a d’ailleurs temporairement suspendu son application. Cette démarche a suscité un soutien important dans le monde juridique, et plusieurs cabinets se sont ralliés à la cause de Perkins Coie.

Mais cette résistance naissante a subi un coup dur le jeudi 20 mars, lorsque le cabinet Paul Weiss et l’administration Trump ont annoncé qu’à l’issue d’une réunion de trois heures entre Trump et le dirigeant du cabinet, un accord avait été conclu : Paul Weiss s’engage à fournir 40 millions de dollars de services juridiques gratuits à des projets approuvés par Trump ; à durcir ses critères de recrutement afin d’éviter toute apparence d’adhésion au “DEI” ; et d’être ouvert à la possibilité de représenter des clients soutenus par Trump et le Parti républicain.

Cet accord est perçu par beaucoup comme une capitulation totale. Le chef du cabinet a même aggravé la situation en déclarant qu’il n’avait pas eu d’autre choix, faute de quoi l’avenir même du cabinet était en jeu – reconnaissant ainsi la puissance réelle de l’offensive de Trump, et incitant implicitement ce dernier à poursuivre sa campagne, ce qu’il n’a pas tardé à faire en s’en prenant à un autre cabinet. Le symbole est puissant : Paul Weiss, l’un des cabinets les plus influents des États-Unis avec un chiffre d’affaires dépassant 2,5 milliards de dollars en 2024, historiquement réputé pour ses liens avec le service public, a plié. Si ce cabinet cède, qui pourra résister ?

Jusqu’où Donald Trump peut-il aller ?

Il est difficile de le prédire. Pour simplifier, on peut dire que les avocats américains se retrouvent face à trois choix : rejoindre et soutenir Perkins Coie et les autres cabinets qui ont le courage de s’opposer à Trump ; s’accommoder de ses exigences comme l’a fait Paul Weiss ; ou se taire, en espérant ne pas attirer son courroux – ce qui implique de refuser toute affaire ou client susceptible de lui déplaire.

L’indépendance professionnelle est un principe éthique fondamental pour tout avocat, et la démocratie repose sur la possibilité pour les juristes de contester les autorités. Il ne s’agit là, en réalité, que des premières batailles d’une guerre contre les professions juridiques aux États-Unis dont l’enjeu est immense.