Elections au Bundestag : c’est quoi « la proportionnelle à l’allemande » ?
À l’heure où les Français discutent, une nouvelle fois, de l’opportunité d’introduire un système de représentation proportionnelle pour les élections législatives, les Allemands s’apprêtent à élire leur 21e Bundestag, de manière anticipée, le 23 février 2025, selon un système « proportionnel personnalisé » revisité. Les enjeux de la réforme, adoptée fin 2023, sont multiples ; mais l’objectif premier est de garantir un parlement d’une dimension resserrée.

Par Aurore Gaillet Professeure à l’Université Toulouse Capitole
Quels étaient les éléments principaux du mode de scrutin allemands, avant la réforme de 2023 ?
Comme en France, le mode de scrutin pour les élections législatives n’est pas fixé par la Constitution. C’est donc le Bundestag qui a élaboré le système dit de « proportionnel personnalisé » (BWahlG, loi électorale fédérale de 1956 (BGBl. I S. 383), après de premiers régimes transitoires). Pour comprendre le nouveau système dans le cadre duquel auront lieu les élections du 23 février 2025, il faut commencer par rappeler les trois caractéristiques du système en vigueur jusqu’alors.
En premier lieu, si le système allemand est parfois présenté comme un scrutin « mixte », il est en réalité fondamentalement proportionnel. Deux étapes doivent en effet être distinguées. D’abord, chaque électeur allemand dispose de deux voix : la première pour désigner un candidat dans l’une des 299 circonscriptions électorales, au scrutin majoritaire uninominal à un tour (mandat dit « direct ») ; la seconde pour se prononcer pour une liste, établie par les partis politiques au niveau de chaque Land (mandat dit « de liste »). Ensuite, le caractère proportionnel de l’ensemble de l’élection est en principe assuré lors de la répartition des sièges entre les listes, les deuxièmes voix étant finalement déterminantes pour la composition du Bundestag. La dimension « personnalisée », tient à ce que, une fois le nombre de sièges pour chaque parti arrêté, l’attribution aux candidats prend en compte les premières voix : les sièges attribués à un parti reviennent d’abord aux candidats de circonscription ayant obtenu le plus de voix.
En deuxième lieu, jusqu’à la réforme de 2023, l’augmentation constante du nombre de sièges au Bundestag se comprend par le jeu des mandats dits de surreprésentation (Überhangmandate) et de compensation (Ausgleichmandate). On perçoit en effet que la difficulté du système initial tenait aux distorsions inévitables entre les résultats des deux voix. Que faire lorsqu’un parti obtient, par le jeu des premières voix, plus de mandats directs que le nombre qui aurait dû être le sien en raison de la proportion de ses deuxièmes voix ? Dans ce cas, les candidats concernés se voyaient attribuer un mandat « supplémentaire » ou de « surreprésentation », augmentant en conséquence le nombre de sièges au Bundestag. A partir de la fin des années 1990, à la faveur de l’intégration des nouveaux Länder et de l’accroissement général du nombre de partis politiques, ces mandats se sont multipliés – et le nombre de députés a crû en conséquence. En 2008, revenant sur une première jurisprudence de 1997, la Cour constitutionnelle fédérale a néanmoins considéré ce système inconstitutionnel, pointant une dénaturation de la proportionnalité et une violation du principe d’égalité (on parlait de « poids négatif des voix » (negatives Stimmgewicht)). Très contestée, la loi adoptée en réponse, en 2011, fut à son tour déclarée inconstitutionnelle en 2012. L’une des solutions, incluse dans la loi électorale de 2013, fut d’introduire des mandats dits de « compensation », pour rétablir le caractère proportionnel du scrutin.
Enfin, un troisième élément traditionnel du système allemand est de nature à atténuer le caractère proportionnel du scrutin. Il tient en effet à l’instauration d’une « clause de barrage », soit un seuil de représentativité minimal de 5 % : seuls les partis ayant obtenu au moins 5 % des deuxièmes voix valables participent à la répartition des sièges entre les partis. Cette clause, visant à éviter une trop grande fragmentation partisane connaissait cependant elle-même une correction : à défaut d’avoir obtenu ces 5 %, des partis pouvaient malgré tout être représentés au Bundestag s’ils remportaient au moins trois mandats « directs » sur la base des premières voix. Ce système dit des « mandats de base » (Grundmandate) permettait de prendre en compte des partis qui, sans être fortement présents au niveau national, bénéficiaient d’une implantation locale. Die Linke (La Gauche), traditionnellement davantage présente dans les Länder est-allemands, ne devait déjà sa présence au parlement fédéral qu’à cette règle (39 députés en 2021, nonobstant son score de 4,9 % des deuxièmes voix).
En quoi a consisté la réforme de 2023 ?
Réduire et simplifier. Le Parlement élu en 2021 compte actuellement 733 députés, bien davantage que les 598 prévus à l’origine, au point de faire du Bundestag l’assemblée législative la plus importante des pays démocratiques : on comprend sans peine les appels, formulés de longue date, à « réduire la taille du Bundestag » (exemple d’un appel de professeurs de droit en 2019).
Restait cependant à s’accorder sur les modalités. La difficulté du sujet explique l’adoption provisoire d’une première « petite » réforme en 2020, précédant la « grande » réforme, entrée en vigueur en juin 2023(BGBl. 2023 I n° 147), contre les voix de l’opposition (CDU/CSU, AfD et Die Linke). Celle-ci pose le cadre des prochaines élections fédérales de 2025 : saisie de nombreux recours, la Cour constitutionnelle fédérale a déclaré la réforme conforme à la Constitution, tout en invitant à maintenir provisoirement ses éléments déclarés inconstitutionnels (arrêt du 30 juillet 2024 : 2 BvF 1 / 23 et autres).
Le nouveau système prévoit différentes évolutions. En premier lieu, conformément à l’objectif de réduire la taille du Bundestag, le nombre de députés est désormais limité à 630. Pour ce faire, d’un côté, le nombre de circonscriptions électorales (299) ainsi que le système à deux voix demeurent inchangés ; d’un autre côté, un changement radical provient de la nouvelle exigence de « couverture des deuxièmes voix » (Zweistimmendeckung) : l’attribution des sièges à un parti dépendra désormais des seules voix exprimées à la proportionnelle, les mandats de surreprésentation et les mandats de compensation étant supprimés. Le caractère proportionnel de l’élection du 21e Bundestag sera donc renforcé, tandis que les candidats de circonscription dont le mandat n’est pas « couvert » par une deuxième voix n’obtiendront pas de siège – une majorité relative des premières voix dans une circonscription électorale ne garantit donc plus, en soi, un siège au parlement fédéral.
En second lieu, la réforme électorale de 2023 supprimait la clause précitée du « mandat de base ». Cette consécration sans nuance de la clause des 5 % comportait de toute évidence un risque pour l’existence même, au niveau fédéral, des partis Die Linke, mais aussi potentiellement du FDP et de la CSU.Dans son arrêt du 30 juillet précité, la Cour a estimé ce risque trop radical – et elle semble avoir été particulièrement sensible au cas de la CSU, parti ne se présentant qu’en Bavière, mais formant historiquement un important groupe parlementaire avec la CDU.
Quels effets sur les élections de 2025 ?
Pour accepter le cœur de la réforme du droit électoral – le système de couverture des deuxièmes voix – la Cour a écarté l’argument d’un effet « désintégrateur » de la réforme. Elle a ce faisant rejeté l’argumentation des groupes CDU/CSU, qui dénonçaient une violation du principe démocratique et de la confiance dans les élections. Reste donc à savoir si les conservateurs, s’ils viennent à gagner les élections de 2025, ainsi que les sondages l’annoncent actuellement, obtiennent une majorité pour l’abroger.
S’agissant de la clause des mandats de base, elle ne reste en vigueur que provisoirement : il restera ici à suivre le sort qui lui sera réservé, l’arrêt de la Cour ouvrant la possibilité d’autres options.
Quant aux effets de cette réforme sur la composition de la 21e législature, ils ne manqueront pas d’être observés avec attention. Pour l’heure, les conservateurs des CDU/CSU sont crédités de quelque 30% d’intentions de vote, environ 16 % sont annoncés pour les sociaux-démocrates du SPD, 13 % pour les Verts, 4 % pour les libéraux du FDP, 4,5 % pour la Gauche die Linke, 20 % pour l’extrême-droite populiste AfD et 5 % pour le nouveau BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht – un parti populiste créé au début de l’année et né d’une scission du parti de Gauche). A l’heure où les Français s’interrogent une nouvelle fois sur l’intérêt potentiel de la proportionnelle pour résoudre leur crise politique, on pourra s’interroger, en Allemagne, sur les effets de la réaffirmation de la proportionnelle. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : l’enjeu tient surtout à la capacité de former une coalition, en mesure de s’accorder sur un « contrat de coalition » porteur d’une vision stable pour l’avenir.