Par Etienne Barel, Directeur général délégué de la Fédération bancaire française

En quoi consistent les mesures de dérégulation bancaire voulues par l’administration Trump ?

Etonnamment, les mesures de dérégulation bancaire que se propose de prendre l’administration Trump sont plutôt…de rentrer un peu plus dans la régulation ! En effet, à ce jour les Etats-Unis n’appliquent pas encore le cadre prudentiel qui est celui dans lequel vivent les grandes juridictions (Europe, Japon, Royaume-Uni, Canada, etc…) appelé « Bâle 3 ». Ils en sont à la « version précédente », celle dite de Bâle 2, beaucoup moins contraignante. Or, pour répondre à la « grande crise financière » de 2008, le cadre de la régulation bancaire défini par le Comité de Bâle a été modifié (après un long temps de négociation) en décembre 2017. S’intitulant « Bâle 3 transposition finale » (Basel end game en anglais) il est beaucoup plus exigeant : pour la même activité, il faudra plus de fonds propres mis en réserves pour chacune des banques, afin de faire face à d’éventuelles défaillances de clients, ou de chocs externes.

Aux Etats-Unis, après une première tentative avortée par la Fed pour proposer une transposition sous l’administration Biden, la nouvelle vice-présidente de la Fed en charge de la supervision des banques, Michelle Bowman, prépare une transposition dont l’effet global serait d’être « neutre en capital » au global. Sous ce terme technique se cache une réalité tangible et très bénéfique pour les banques américaines : la transposition pourra monter certaines exigences, mais en baissera d’autres, et donc au total ce sera un jeu à somme nulle sur les fonds propres réglementaires minimaux pour les établissements. C’est en fait un choix politique : imposer une régulation, mais dont l’effet de contrainte sera très faible.

On se trouve donc dans la situation étonnante où l’on parle de « dérégulation », alors que les Etats-Unis imposeraient en fait une nouvelle régulation à leurs grandes banques internationales. Ceci reste cependant un processus long (la mise en œuvre est au plus tôt en janvier 2028), et toujours soumis à aléa : à la fin c’est en vertu d’un nouvel executive order la Maison Blanche qui aura le dernier mot sur le fait de transposer Bâle aux Etats Unis ou non. Et entre-temps des voix s’élèvent, dont celle du Secrétaire au Trésor Scott Bessent, pour d’ores et déjà alléger le calcul de certains ratios (comme le ratio de levier) dans un sens favorable aux banques américaines, indépendamment des travaux sur Bâle.

Quelle différence avec l’approche européenne et comment cela peut influencer sur notre compétitivité bancaire ?

L’Europe a pris le parti de transposer parmi les premières grandes juridictions les derniers accords de Bâle : après avoir été adopté par les co-législateurs, il est en vigueur depuis le 1er janvier 2025. Son impact est, contrairement aux engagements pris en 2017, tout à fait significatif : pour les banques européennes, à activité constante, elles devront mettre près de 10% de capital réglementaire en plus, c’est-à-dire que le minimum de leurs fonds propres « durs » (Core equity tier 1) devra augmenter de ce chiffre. Pour les banques françaises, qui ont une activité à la fois internationale et domestique, dans la banque de détail et dans la banque d’investissement, c’est encore plus marqué : de l’ordre de +16%. Même si cette montée en charge est progressive (il y a une phase transitoire de plusieurs années), cela constitue un handicap. Elles doivent alors limiter la croissance de leur activité, et donc ne pas financer tous les nouveaux projets de leurs clients, même rentables.

Comme l’activité continue à progresser, ce sont d’autres acteurs qui les remplacent : des banques étrangères qui ont des contraintes prudentielles moins mordantes, des fonds de dette qui ne sont pas régulés par exemple. Elles sont amenées à perdre des parts de marché, accentuant un mouvement qui est déjà marqué : dans la banque d’investissement par exemple, les banques européennes ont perdu plus de 10 points de parts de marché au cours des 8 dernières années au profit de leurs consœurs américaines. Désormais, ces dernières ont plus de la moitié du marché en Europe, chiffre qui monte à plus de 70% dans certaines activités clés comme les fusions-acquisitions ou les marchés actions.

Or remettre notre souveraineté bancaire dans des mains non européennes pose un problème plus large de souveraineté : la capacité à choisir ce qui est financé de ce qui ne l’est pas, ou beaucoup plus cher, est un choix stratégique majeur qu’il est risqué de confier à d’autres que nous-même.

Est-ce que les différents niveaux de régulation doivent nous faire craindre la possibilité d’une nouvelle crise systémique, du type de celle des subprimes ?

Il est toujours très difficile de définir d’où viendront les prochaines crises, et comment les prévenir : les économistes sont connus pour prévoir le passé ! On peut toutefois noter que la régulation elle-même n’est pas une garantie absolue pour prévenir les dérapages : Crédit Suisse, soumis à la réglementation Bâle 3 actuelle, a dû être repris par UBS lors d’une opération de sauvetage organisée par les autorités suisses. SVB, non soumis à cette même régulation, a dû lui aussi faire l’objet d’une opération par les autorités américaines pour prévenir une crise plus large. Quel que soit le code de la route, on ne pourra empêcher des accidents ; il faut trouver le bon équilibre entre un laisser faire accidentogène et laisser toutes les voitures au garage pour éviter la tôle froissée.

Il faut aussi prendre en compte la manière dont le gendarme fait respecter ce code, c’est-à-dire comment la régulation est mise en œuvre par les autorités de supervision (la Fed aux US, la BCE en Europe, la Bank of England au UK) est clé. Et des approches différentes, souvent plus conscientes des enjeux de compétitivité et de croissance en dehors d’Europe, peuvent aussi être efficaces pour prévenir les crises. Ainsi la nouvelle responsable de la supervision de la Fed a annoncé lors de sa nomination le 17 mars 2025 vouloir se concentrer sur une supervision qui « favorise l’innovation, supporte la croissance et la prospérité de tous les Américains », là où le mandat de la BCE n’intègre aucune de ces dimensions. Au total, à trop contraindre un secteur, on peut finir par inciter les acteurs à utiliser d’autres outils, moins régulés : l’essor du « private credit » en est une illustration. C’est pourquoi il est indispensable que la régulation comme la supervision intègrent bien toutes ces dimensions pour concilier stabilité et croissance dans l’ensemble du système.