La « guerre des métaux » relancée par Donald Trump ?
Alors que Donald Trump a annoncé, mercredi 2 avril, l’instauration de droits de douane réciproques avec les « pays du monde entier », le président américain a signé, quelques jours plus tôt, un décret renforçant les pouvoirs de l’administration en matière d’exploitation des métaux stratégiques. Décryptage.

Par Arnaud de Nanteuil, Professeur à l’Université Paris Est Créteil
Quels sont ces « métaux » qui font l’objet du décret présidentiel du 20 mars 2025 ?
Le terme de « métaux stratégiques » est un terme générique qui couvre toute une série de minerais indispensables aux principales industries contemporaines. Ils incluent des métaux précieux (comme l’or par exemple), mais aussi ce que l’on appelle les « terres rares » qui constituent un ensemble de métaux particulièrement utiles aux nouvelles technologies. Ils sont également indispensables à la transition écologique, notamment dans la production d’électricité décarbonée. Il n’est pas abusif de dire que les métaux stratégiques sont au 21e siècle ce que le pétrole fut au 20e. Ils sont donc particulièrement prisés par les États, mais il se trouve que certains d’entre eux sont concentrés dans certaines régions, notamment en Chine et… en Ukraine. Les États-Unis (comme l’Union européenne d’ailleurs) sont donc très étroitement dépendants de ce point de vue et cela explique notamment que la question des terres rares ait été abordée dans les discussions avec l’Ukraine au sujet d’un possible règlement de la guerre avec la Russie.
Pourquoi ce décret à ce moment-là ?
Il n’y a évidemment pas de hasard. La Chine avait en effet commencé à resserrer ses exigences en matière d’exportation de terres rares vers l’Europe et les États-Unis avant le retour de Donald Trump. Il y a déjà un certain temps, un litige avait d’ailleurs opposé la Chine à l’Union européenne en raison de mesures de restriction à l’exportation de certains minerais stratégiques, dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. Sans aucun doute, le gouvernement chinois détient là un moyen de pression considérable sur l’administration Trump. En ce sens, ce décret présidentiel s’inscrit dans le cadre de la guerre commerciale lancée par la Maison Blanche depuis quelques semaines, mais les origines en sont plus profondes : de longue date, la Chine use de cet avantage évident vis-à-vis de ses partenaires et elle sait qu’elle détient là une arme redoutable de résistance. Cela explique donc que les États-Unis se soient tournés à la fois vers l’Ukraine dont le sous-sol présente quelque intérêt de ce point de vue – la guerre de Poutine est une aubaine à cet égard, car elle donne à l’administration américaine un excellent prétexte pour faire pression sur Kiev et lui arracher ainsi un accord sur ces métaux – et vers la production nationale. C’est tout le sens de ce décret. Il s’agit au fond d’assurer une certaine indépendance des États-Unis vis-à-vis d’une Chine qui n’a pas toujours adopté une attitude amicale à leur égard.
Quant à son contenu, il s’agit d’un texte de dérégulation et de simplification ayant pour objet de faciliter l’exploitation de certains de ces minerais en territoire américain, car il y en a. De même d’ailleurs qu’en France où pendant longtemps l’extraction a été suspendue mais pourrait se développer dans les mois ou années à venir. L’objectif est donc de favoriser la production locale, même si cela doit se faire au détriment de l’environnement qui n’est évidemment pas la préoccupation majeure de l’actuelle administration américaine.
Justement, quelle est la place de l’Europe dans ce contexte ?
L’Europe est au fond dans une position assez proche de celle des États-Unis : elle est extraordinairement dépendante de la Chine et elle est victime des mesures de restriction chinoises évoquées plus haut. Les solutions possibles sont limitées et n’ont rien d’inédit : il s’agit soit de négocier des accords préférentiels avec la Chine pour s’assurer d’un approvisionnement régulier – mais l’actualité montre que l’on ne peut jamais totalement compter sur un partenaire, même celui que l’on pensait le plus fiable, dans les relations internationales ; soit de développer son autonomie – mais tout dépend alors des ressources disponibles.
De fait, l’Union s’est déjà mise au travail et la Commission européenne vient de publier la liste de 47 sites d’extraction, de traitement ou de recyclage en Europe, destinés à être mis en activité dans les prochaines années. Cette réaction, toutefois, ne sera sans doute pas suffisante, notamment parce que les ressources sont concentrées ailleurs dans le monde, si bien qu’une exploitation locale ne parviendra sans doute pas à satisfaire tous les besoins en Europe. A cet égard, la perspective de l’exploitation des grands fonds marins (i.e. de la Zone), prévue par la Partie XI de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, pourrait devenir une option, car l’on sait pouvoir y trouver certains de ces minerais. La France, avec d’autres États revendiquant un moratoire ou une pause de précaution, s’oppose toutefois à cette perspective pour d’évidentes raisons environnementales. Néanmoins, les négociations pour l’adoption d’un Code minier continuent au sein du Conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM)(voir l’ordre du jour de sa trentième session tenue du 17 au 28 mars 2025), alors que la première demande d’exploitation devrait être soumise à l’AIFM le 27 juin 2025. Il n’est donc pas impossible qu’il y ait là une perspective à terme, de même d’ailleurs que dans l’espace extra-atmosphérique : le renouveau des ambitions spatiales des grandes puissances ne s’explique plus seulement par la dimension symbolique qu’avait la course à l’espace pendant la guerre froide mais aussi par la recherche de certains de ces métaux, que l’on sait présents sur certains corps célestes.
A court et à moyen terme toutefois, la seule exploitation possible demeure celle des ressources terrestres et, à ce jeu, l’Europe va inévitablement devoir se lancer dans l’extraction des quelques ressources dont elle dispose. On peut y voir d’ailleurs une forme de désaveu : la dépendance à la Chine a constitué un choix délibéré, en partie pour éviter de réaliser les investissements nécessaires à l’exploitation minière de ces métaux en Europe mais aussi, de manière moins avouable, pour délocaliser la pollution inhérente à cette activité. La réalité oblige ici les États européens à faire machine arrière et à emprunter, un peu contraints et forcés, le chemin de l’indépendance tracé par les États-Unis.