Par Loïc Grard, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux

D’où vient la polémique ?

Tout commence avec un amendement au PLF 2025, déposé par le gouvernement le 19 octobre dernier. « Le présent amendement a pour objet de faire contribuer les passagers aériens à l’effort de rétablissement des comptes publics. » « Les mesures qu’il prévoit généreront un rendement supplémentaire de 1 Md€ » ; soit un doublement du revenu en provenance de la TSBA. Le « tarif de solidarité » de la TTAP est majoré pour les vols réguliers. Il devient de rigueur pour l’aviation d’affaires. La motion de censure, le 4 décembre, a pu laisser penser que le projet serait abandonné. Mais il n’en est rien.

Le 5 janvier 2025, dans une interview au journal « Le Parisien », la ministre des comptes publics se déclare « favorable » au projet visant à augmenter la TSBA, car « c’est une mesure de justice fiscale et écologique. Les 20 % de la population ayant le revenu le plus élevé sont responsables de plus de la moitié des dépenses consacrées aux voyages en avion ». Les compagnies aériennes dénoncent un projet qui pénalise leur compétitivité et donc les affaiblit. Les prélèvements pèsent déjà jusqu’à 40 % du prix du billet d’avion. Certes, les impositions sont faibles. Mais les redevances sont nombreuses. Les taxes aéronautiques, pour leur part, font régulièrement l’objet de critiques, quant à leur raison d’être.

Face à ce millefeuille, le passager peine à s’y retrouver. D’autant que son information transite les plus souvent par de simples codes à deux lettres visibles sur le reçu de paiement ou le billet. La matière reste mystérieuse pour le plus grand nombre, maintenu dans l’incapacité de différencier entre ce qui relève du prix du vol lui-même et ce qui relève des taxes et des surcharges adossées à ce dernier. La question est posée : Comment se décompose un billet d’avion ?

Que recoupe la taxe sur le transport aérien de passagers ?

Les taxes dites aéronautiques sont fédérées dans la TTAP.  Suivant l’article L 422- 20 du code des impositions sur les biens et services  (CIBS), chaque embarquement génère un prélèvement qui se répartit comme suit : 1) le tarif de l’aviation civile (FR) ; 2) le tarif de solidarité (IZ) ; 3) le tarif de sûreté et de sécurité (XT) ; 4) le tarif de péréquation aéroportuaire (soutien aux plus petits aéroports). Cette présentation découle d’un travail de codification inscrit comme tel dans le CBIS depuis le 1er janvier 2022. La spécificité française est ici. Rares en effet sont les pays où l’administration (les activités de prestations de services de la Direction Générale de l’Aviation Civile) et les tâches régaliennes visant à prévenir les risques (incendie – sauvetage, de lutte contre le péril animalier, de sûreté et des mesures effectuées dans le cadre des contrôles environnementaux) sont financées par les opérateurs et non le contribuable. 

A cet ensemble, se superpose la Taxe sur les Nuisances Sonores Aériennes  (TNSA). Son produit est affecté, pour l’aérodrome où se situe son fait générateur, au financement des aides aux riverains pour financer des travaux de réduction des nuisances sonores.

Quels sont les autres prélèvements obligatoires ?

L’imposition indirecte des compagnies aériennes se résume à peu de choses. Le kérosène est exonéré de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Seuls les vols domestiques sont soumis à la TVA, avec un taux réduit de 10%. Les vols intra-européens et internationaux, eux, sont exonérés. Ce statut fiscal s’explique par une interprétation spécieuse de l’article 24 de la convention de Chicago, dans lequel la Communauté aérienne internationale a vu la traduction d’une forme de coutume, selon laquelle le développement du transport aérien devait être libéré de toute contrainte fiscale.

En revanche, les redevances sont nombreuses. Elles sont perçues en contrepartie des prestations de navigation (route et approche terminale). Elles rémunèrent aussi les services et installations proposés par les gestionnaires d’aéroports : 1) équipements destinés à l’accueil des passagers (QW ou QX selon que le vol est domestique ou non) ; 2) infrastructures requises à l’exploitation des avions (pistes, parkings, équipements au sol, etc.). Leur montant varie en fonction de chaque aéroport. Elles sont remboursables, lorsque le titre n’est plus valide et n’a pas donné lieu à transport. Les autres taxes ne sont pas remboursables, car elles ne sont pas liées au nombre de passagers embarquant dans l’avion, mais, par exemple, au décollage effectif de l’avion (art. L 113-8 code de la consommation).  

Qu’entend-on par prélèvements non-obligatoires ?

A l’ensemble des prélèvements, se surajoute la surcharge carburant (code YQ, ou YR). Elle est utilisée pour couvrir les fluctuations des prix du kérosène, mais aussi les assurances et les mesures de sécurité renforcées. Elle ne saurait être considérée comme un prélèvement obligatoire, bien qu’elle soit inscrite au moment de la commercialisation des billets d’avion dans le volet « taxes » du prix affiché.

A quoi sert la taxe solidarité sur les billets d’avion dite taxe « Chirac » ?

Les recettes résultant de la taxe « solidarité » sont d’abord affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dans la limite d’un premier plafond fixé à 210 M€, en vue de matérialiser la participation de la France au financement des programmes mondiaux de santé publique. Internationale à l’origine, elle finançait la lutte contre le sida. Proposée en 2005 par Jacques Chirac et Luiz Inácio Lula da Silva, elle a été adoptée par la France, le Royaume-Uni, la Norvège, le Brésil et le Chili. Aujourd’hui, neuf pays l’appliquent.

Depuis le 1er janvier 2020, elle devient écocontribution dans la limite d’un second plafond de 252 M€ au-delà des 210 M€ initiaux. Ce produit est affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), établissement public administratif de l’État chargé de concourir au financement des projets d’infrastructure ferroviaire, routière, portuaire ou fluviale et au développement des projets de transport collectif de personnes en France. Les premières retombées positives ont vu le jour en 2022.

Plusieurs pays utilisent cette taxe aussi pour abonder leur budget. En France, au-delà de 462 M€ de recettes, l’excédent est reversé au BACEA (Budget Annexe Contrôle et exploitation aériens). Mais aucune recette de cette taxe n’a bénéficié par ce biais à l’aviation civile depuis 2018.

Comment se calcule la taxe solidarité sur les billets d’avion ?

La taxe de solidarité est intégrée au prix de chaque billet d’avion, au départ de tous les aéroports français, hors correspondance, et pour toutes les compagnies aériennes. Le tarif est différencié en fonction de la destination finale du passager (qui s’entend comme le point d’atterrissage où le passager n’est pas en correspondance). Plus cette dernière est lointaine, plus par ailleurs la classe est supérieure, plus la taxe est élevée.

Pourquoi majorer la taxe solidarité sur les billets d’avion ?

Renflouer les caisses de l’Etat reste le premier objectif assigné à la majoration de la TSBA. Les gouvernements successifs ne s’en cachent pas. Un second objectif est affiché. Il concourt à renforcer la légitimité du premier, par la mise en avant de la réduction supposée du volume des mouvements d’aéronef, sans toutefois pénaliser excessivement la profession. Mais l’habillage écologique de la mesure ne trompe personne, d’autant plus que le revenu n’est pas fléché vers la décarbonation du secteur aérien. Les plus optimistes défendent que ce surcroît de prélèvement vient en partie compenser le manque à gagner résultant des différentes exonérations fiscales existantes (voir supra). Les plus critiques plaident pour une alternative : la taxe « grands voyageurs ». Il demeure, qu’en l’état, rien ne filtre quant à la cible de l’affectation du revenu, en termes de dépense publique – ce qui pourtant constitue l’ADN de la notion de taxe.

Quel montant de taxe, pour quel revenu ?

Après quatre mois de suspense, le PLF 2025 s’oriente vers une solution mesurée. Il faut dire que les ambitions initiales mettaient la barre haut : 150 M€ de revenu du fait de la soumission de l’aviation d’affaires à la TSBA ; 850 M€ de revenu du fait de la majoration de la même taxe sur les services aériens réguliers.

En 2024, la taxe sur les vols réguliers variait de 2,63 euros pour les vols européens en classe éco à 63,60 euros pour les destinations éloignées en classe affaires. Le projet annoncé pour le 1er janvier 2025 faisait état de 9,50 euros pour les premiers.  Dans les classes dites avec services spéciaux, la somme grimpe à 30 €, contre 20,27 euros auparavant. Un seuil de distance intermédiaire est créé. Pour les vols longue distance (au-delà de 5 500 km), la majoration de la taxe lui fait atteindre 40€ en classe standard, 120 euros en business. Le dispositif étendait son emprise à l’aviation d’affaire, avec un pic à 3 000 euros sur les longues distances. Ces hausses étaient destinées à être appliquées, dès le 1er janvier 2025.

Le gouvernement Bayrou s’est initialement positionné sur une version allégée, prenant pour base l’écrêtage décidé par le Sénat, fin novembre, avant la censure du gouvernement Barnier. Mais la solution finalement retenue le 30 janvier 2025, par la Commission mixte paritaire se fixe sur un niveau intermédiaire à 7,40 euros en classe éco vers les destinations européennes ou assimilées. Il s’agit d’une solution de compromis.

En revanche, pour les autres tarifs, les niveaux restent inchangés par rapport à la proposition faite par le gouvernement Barnier dans le projet de loi de finances originel. En classe éco elle demeure à 15 euros pour un vol vers une destination intermédiaire et 40 euros pour les destinations au-delà de 5500 Km (cinq fois le montant actuel). En classe affaire la grille reste sur 30, 80 et120 euros.

Concernant les billets associés à l’aviation d’affaires, la hausse demeure considérable, tout en étant moindre que prévu le 19 octobre. La taxe s’élève à 210 ou 420 euros pour les destinations européennes, 675 ou 1015 euros pour les destinations intermédiaires et 1025 ou 2100 euros pour les destinations lointaines, selon le mode de propulsion.

Par ailleurs, le tarif demeure réduit pour les embarquements à destination et en provenance des outre-mer et de la Corse et pour les lignes d’aménagement du territoire : soit 2,60 euros en classe économique, et à 20,27 euros sur les classes première ou affaire – ce qui correspond aux tarifs en vigueur depuis 2021. Ici a prévalu le principe de solidarité nationale en faveur des territoires éloignés, pour lesquels l’avion est un moyen de transport inévitable.

Dans cette configuration, la hausse de la TSBA doit assurer un surcroît de rentrée fiscale estimé à 750 millions d’euros ; soit un rabotage de 100 millions par rapport à la copie rendue par le gouvernement Barnier. Mais cela reste dépendant de l’impact réel sur le trafic. Certaines compagnies low cost, par exemple, quitteront-elles des aéroports français pour se déporter chez nos voisins, comme l’affirment certains experts ?