Par Thomas Clay, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, co-président du groupe de travail de réforme du droit français de l’arbitrage.

Quand et comment s’appliquera l’Arbitration Act 2025 ?

La nouvelle loi sur l’arbitrage a reçu l’Assentiment Royal le 24 février 2025, après son approbation d’abord par la Chambre des Lords, en novembre 2024, puis, récemment, par la Chambre des Communes. Le Secrétaire d’État doit bientôt fixer la date à laquelle elle entrera en vigueur.

L’Arbitration Act 2025 s’appliquera à toutes les procédures arbitrales dont le siège est en Angleterre et qui auront été engagées après son entrée en vigueur, ainsi qu’aux procédures judiciaires liées à ces arbitrages. En revanche, les arbitrages engagés avant cette date resteront régis par l’Arbitration Act 1996.

Que change l’Arbitration Act 2025 ?

La réforme introduit une série de modifications qui sont intéressantes puisqu’elles concernent toute la vie d’un arbitrage, depuis la convention d’arbitrage jusqu’à la sentence, en passant par le statut des arbitres. Parmi les innovations les plus notables, deux mesures visent à accélérer l’arbitrage : premièrement, la possibilité de rendre une sentence sommaire sur une demande ou une question spécifique soulevée dans une demande, dès lors qu’une partie n’a « aucune réelle perspective » de succès, comme une sorte de rejet de pourvoi non spécialement motivé, deuxièmement, la possibilité de conférer force exécutoire aux ordonnances rendues par l’arbitre d’urgence. Ainsi, si une partie refuse de se conformer à une ordonnance ou à une directive de l’arbitre d’urgence, celui-ci pourra rendre une ordonnance impérative, avec un délai strict pour s’y conformer.

Par ailleurs, s’inspirant de l’affaire Halliburton v Chubb, la réforme alourdit le régime de l’obligation de révélation des arbitres, puisqu’ils devront désormais dévoiler non seulement toute circonstance dont ils ont conscience, mais aussi celles dont ils auraient dû raisonnablement avoir conscience — on retrouve là une règle inspirée de la jurisprudence française. En contrepartie,l’immunité des arbitres est renforcée puisque l’article 3 de la nouvelle loi prévoit qu’en cas de récusation, ils ne seront pas responsables des frais engagés par les parties, sauf si la preuve de leur mauvaise foi est rapportée. De même, l’article 4 prévoit qu’un arbitre qui démissionne ne sera pas tenu pour responsable, sauf si sa démission est déraisonnable, ce qui constitue une piste intéressante.

Enfin, l’Arbitration Act 2025 modifie le processus de réexamen des contestations de la compétence des tribunaux arbitraux en limitant les recours devant les tribunaux judiciaires. Ainsi, une partie ne pourra contester la compétence matérielle du tribunal arbitral qu’à deux conditions : d’une part, si l’objection concerne un point sur lequel le tribunal a déjà statué, et, d’autre part, si l’objection est faite par une partie ayant pris part à la procédure arbitrale. La nouvelle loi exclut ainsi (i) les contestations qui n’ont pas été soulevées devant le tribunal arbitral, sauf si le requérant démontre que, malgré une diligence raisonnable, il ignorait ce motif ; (ii) les preuves non présentées devant le tribunal arbitral, sauf si le requérant démontre qu’il n’a pas pu les soumettre auparavant malgré une diligence raisonnable ; et (iii) le réexamen des preuves qui ont déjà été examinées par le tribunal arbitral. On verrait presque ici le contrepied de l’arrêt Schooner rendu par la Cour de cassation en 2020, arrêt très critiqué en France et dont nombreux sont ceux qui pensent que la solution devrait être inversée. Le droit anglais l’a donc fait. À nous de nous en inspirer.

Une réforme à contre-courant ?

Le sens de cette réforme se trouve symbolisé par l’article 1er relatif aux conventions d’arbitrage. Il est prévu que, en l’absence d’accord explicite des parties sur la loi applicable à la clause d’arbitrage, celle-ci sera désormais régie par la loi du siège de l’arbitrage.

Cette règle est emblématique de l’orientation que les Anglais veulent donner à leur droit de l’arbitrage international, et elle est radicalement opposée à la conception française de l’arbitrage. Là où l’Angleterre territorialise encore un peu plus ses arbitrages, la France l’autonomise toujours davantage. Ce sont des conceptions différentes de l’arbitrage international. La première l’ancre dans un territoire et le place sous un régime législatif, puisqu’elle soumet sa convention d’arbitrage à une loi nationale, quand la seconde y voit une justice à part entière, détachée des ordres juridiques nationaux puisqu’elle rejette jusqu’au concept même de lex arbitri, croyant aux vertus de l’autonomie matérielle de la clause d’arbitrage, de la procédure et même de la sentence arbitrale. Autrement dit, quand vous êtes en Angleterre, vous êtes sur place, alors que quand vous êtes en France, vous êtes dans le monde entier.

On rappellera en effet que, en droit français, la clause compromissoire n’est pas soumise à la loi nationale du siège, mais uniquement à des règles matérielles de validité et d’efficacité. Cette approche consacrée depuis 1993 par la jurisprudence Dalico évite de confiner la clause d’arbitrage dans un carcan juridique national, et a contribué à l’attractivité de Paris comme première place d’arbitrage au monde. Paradoxalement, en arrimant la clause d’arbitrage à la loi du siège, la nouvelle législation anglaise risque d’accentuer la rigidité de l’arbitrage et de décourager ainsi les investisseurs étrangers.

En renforçant la lex arbitri, et en y faisant même un rattachement par le siège, l’Arbitration Act 2025 semble aller à contre-courant des attentes des praticiens de l’arbitrage international et de la mondialisation de l’économie, qui a besoin d’un système de justice idoine. La logique du droit français est à l’inverse, et pourrait être encore accentuée prochainement. Il est singulier d’observer que deux pays qui se concurrencent comme place d’arbitrage empruntent des chemins aussi diamétralement opposés. Seul l’avenir nous dira quel était le meilleur.