Par Eudoxie Gallardo, Maître de conférences HDR, Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles, UR 4690, Aix-Marseille Université

Une proposition de loi n°4205 enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale le 1er juin 2021, par M. Jolivet, et renvoyée en Commission des Lois, propose de rendre responsables pénalement les parents d’enfants délinquants. La question de la responsabilité parentale, véritable serpent de mer du droit pénal des mineurs, n’a eu de cesse de questionner les politiques quant à son implication aussi bien théorique que pratique.

Peut-on engager la responsabilité pénale des parents du fait de leur enfant mineur ?

Alors que le droit civil connaît un principe de responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs habitant avec eux (A. Gouttenoire et Ph. Bonfils, Droit des mineurs, n°1991, p. 1116, coll. Précis, éd. Dalloz, 1375p, mai 2021), le droit pénal français refuse toute responsabilité pénale des parents du fait de la commission, par leur enfant, d’une infraction. En effet, une telle reconnaissance sera contraire au principe selon lequel l’on est pénalement responsable que de son propre fait (article 121-1 du Code pénal, Cons. Const. n°99-411 DC du16 juin 1999, JORF du 19 juin 1999, p. 9018 ; CEDH  29 août 1997, E.L. et a. c/ Suisse : BICC 1997. 1269; JCP 1998. I. 107, no 29, obs. Sudre; Gaz. Pal. 1998. 2. 483, note Puechavy). Pour autant, leur responsabilité pénale peut être recherchée par d’autres moyens. Si ceux-ci ont activement participé à la réalisation de l’infraction, en particulier en tant que complice, leur responsabilité pourra être recherchée sur le fondement de l’article 121-7 du Code pénal qui incrimine la complicité par aide ou assistance, ou par instigation. La qualification de recel peut également être utilisée si l’aide parentale a été réalisée postérieurement à la commission de l’infraction (article 321-1). Mais il ne s’agit-là que de qualifications générales ne s’appliquant pas spécifiquement aux parents et ne leur rappelant pas les devoirs qui leurs incombent en vertu de l’article 371-1 du Code civil (les parents se doivent de protéger leur enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, d’assurer son éducation et de permettre son développement, dans le respect dû à sa personne).

C’est pour cette raison que le législateur multiplie les différentes initiatives pour rappeler aux parents leurs obligations vis-à-vis de leur enfant et leur rôle dans la délinquance de ceux-ci.  Si la suppression des allocations familiales envisagée un temps, n’a pas été retenue, le droit pénal des mineurs tente néanmoins d’agir sur les parents. Ainsi, lorsque les parents ne défèrent pas à la convocation de comparaître qui leur aurait été faite par la juridiction pénale saisie d’une poursuite à l’encontre de leur enfant, celle-ci « peut ordonner qu’ils soient immédiatement amenés par la force publique (…) pour être entendus » (ancien article 10-1 de l’Ordonnance du 2 février 1945 – article L. 311-5 du CJPM). Elle peut également les condamner à une amende pénale de 3750 euros ou à un stage de responsabilité pénale.

Toujours dans cet esprit, l’article 227-17 du Code pénal incrimine la mise en péril de la santé et de la moralité du mineur. Il est ainsi prévu que « le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » On notera que cette incrimination a été renforcée par la loi du 9 septembre 2002 qui a retiré l’adverbe « gravement », lequel ne permettait de poursuivre que les parents qui s’étaient soustraits gravement, sans motif légitime, à leurs devoirs. La volonté d’avoir une répression systématique des parents d’enfants mineurs était alors évidente, même si elle ne semble pas avoir été suivie d’effet en pratique. C’est la raison pour laquelle, la proposition de loi envisage d’incriminer de façon plus directe l’implication des parents dans les agissements de leur enfant.

Comment la proposition de loi envisage-elle la responsabilité pénale des parents ?

La proposition de loi n° 4205 prévoit, comme son intitulé l’indique, de retenir la responsabilité des parents pour les infractions pénales commises par leurs enfants mineurs en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement aux obligations parentales. Plus précisément, elle envisage d’insérer une nouvelle incrimination à la suite de l’article 227-17, prévoyant que « conformément aux dispositions de l’article 121‑3, toute personne exerçant l’autorité parentale sur un mineur et ayant par imprudence, négligence ou manquement à ses obligations parentales, laissé ce mineur commettre une infraction pénale, encourt les sanctions prévues par le présent code pour cette même infraction. Toutefois, si elle n’a pas failli aux obligations inhérentes à son autorité parentale prévues à l’article 371‑1 du code civil, sa responsabilité ne peut être engagée. ». Cet ajout viendrait renforcer l’arsenal déjà existant en visant expressément la commission par le mineur d’une infraction pénale, ce que ne mentionne pas l’article 227-17.

Le procédé est assez original tant du point de vue de la prévision de l’incrimination, que de sa pénalité. S’agissant de sa prévision, c’est un comportement non intentionnel qui est visé. Par renvoi à l’article 121-3 du Code pénal – sans préciser l’alinéa concerné– le texte incrimine le fait de laisser un mineur commettre une infraction par « imprudence, négligence ou manquement à ses obligations parentales ». La formulation renvoie donc à une faute d’imprudence, apparemment simple, par opposition aux fautes dites « qualifiées » de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ou de faute caractérisée (en sus, quid du lien de causalité ?). La pénalité sera assimilée à celle prévue pour l’infraction commise par l’enfant mineur (sans bénéfice de l’atténuation de minorité). En conséquence, il s’agit d’une application des dispositions relatives à la pénalité de la complicité, prévue à l’article 121-6 du Code pénal.

Cette responsabilité contreviendra-t-elle au principe de responsabilité pénale personnelle ?

De l’avis des auteurs de la proposition, cette responsabilité serait une responsabilité du fait d’autrui. Cependant, la réponse semble plus complexe. En effet, l’incrimination repose sur une faute d’imprudence, certes tout à fait inédite, mais qui est envisagée comme personnelle aux parents qui auraient manqué à leurs obligations parentales. La matérialité de l’infraction est, en revanche, plus discutable, dans la mesure où elle dépend à la fois de leur propre fait (« laissé ce mineur ») et de l’action d’un tiers, autrement dit de leur enfant. En réalité, la situation semble plutôt correspondre à une complicité par aide ou assistance, à cette précision que le fait incriminé s’analyse en une omission. Or, la complicité nécessite, en principe, un acte positif (Crim. 8 mars 1951: Bull. crim. no 76.) pour être caractérisée. On précisera, bien entendu, que certaines décisions, à la marge, ont pu engager la responsabilité pénale du complice pour son abstention alors que ses obligations professionnelles auraient dû l’obliger à agir (Crim. 30 juin 1999, no 97-85.764 P: D. Affaires 1999. 1290 – et plus récemment un arrêt remarqué : Crim. 13 sept. 2016, n° 15-85.046, RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud ; P. Conte,  Dr. pénal n° 11, nov. 2016, comm. 153 ; J.Y. Marechal, Dr. pénal n° 12, déc. 2016. Étude 27 ; Y. Mayaud, RSC 2016. 760 ; F. Rousseau, JCP 2016. 1861 ; P. Mistretta, RSC 2017, p. 353). Qui plus est, la référence à la pénalité prévue en cas de complicité est révélatrice du lien entre la complicité et cette disposition. L’incrimination d’un mode ad hoc de complicité, comme cela a déjà pu être fait (ex. le happy slapping, art. 222-33-3), aurait pu être exploitée.

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