L’affaire de la ligue du LOL a connu ces dernières semaines un important retentissement alors que les faits sont en grande partie anciens. L’intérêt pour l’affaire – et, sans intérêt, il n’y aurait pas d’affaire médiatisée – vient ici de la personnalité des auteurs, plusieurs d’entre eux – dont l’un des fondateurs de la ligue – exerçant leur activité dans le monde des médias. Il tient aussi au caractère collectif de leurs actes, un harcèlement de meute, ainsi qu’au mode opératoire, un groupe Facebook, des messages sur Twitter. Un mode opératoire qui évoque la nouvelle incrimination pénale, depuis la loi du 3 août 2018, du harcèlement de groupe, constitué par des propos tenus de manière concertée par plusieurs personnes, même si chacune n’a pas agi de manière répétée.

Décryptage de Grégoire Loiseau, professeur de droit à l’Université Panthéon-Sorbonne.

« Si l’employeur ne peut être juge d’agissements commis dans la vie personnelle des salariés, il peut sanctionner un employé lorsque les faits caractérisent un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail »

Certains journalistes ont fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire, en quoi consiste-t-elle ? 

À l’annonce des pratiques de la ligue du LOL, des mises à pied conservatoires de certaines des personnes impliquées, des journalistes en particulier, par leur employeur ont été mises en œuvre. Il ne s’agit pas encore de sanctions, la mise à pied, lorsqu’elle n’est que conservatoire, est prononcée pour le temps de la procédure disciplinaire qui aboutira, le cas échéant, à l’application d’une sanction. La mise à pied entraînant néanmoins normalement une privation de salaire, et seule une faute grave étant susceptible de justifier cette conséquence pécuniaire, elle suppose que les faits reprochés au salarié caractérisent une telle faute.

Les  journalistes  accusés d’avoir harcelé les personnes via les réseaux sociaux peuvent-ils être licenciés pour faute grave ?

Pour que le licenciement soit fondé, il faut que la faute grave puisse être matériellement établie et soit juridiquement sanctionnable. Cette dernière condition peut être difficile à remplir au regard du très court délai de prescription des faits fautifs qui ne peuvent donner lieu à des poursuites disciplinaires que dans un délai de deux mois. Ce délai ne court, il est vrai, qu’à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits et il est interrompu en cas de poursuites pénales jusqu’au jour où l’employeur a été informé de l’issue définitive de la procédure pénale s’il n’y était pas partie.

Si les faits sont sanctionnables, il faut encore que la faute grave doit être constituée. Il ne suffit pas à ce sujet que les faits puissent être qualifiés de harcèlement moral, ce qui sera retenu en l’occurrence pour les besoins de la discussion à titre d’hypothèse. Pour être constitutifs d’une faute grave, les faits de harcèlement doivent en principe avoir été commis dans le cadre de l’activité professionnelle des salariés mis en cause et rendre impossible leur maintien dans l’entreprise. Ce qui se conçoit toutefois volontiers lorsque les agissements de harcèlement sont commis et subis au travail entre salariés de la même entreprise interroge davantage quand les victimes sont des personnes totalement étrangères à la relation de travail et que le mode opératoire du harcèlement, par des messages publiés sur Facebook et/ou sur Twitter, rend incertaines les conditions de sa commission, au temps et au lieu du travail ou en dehors de l’activité professionnelle. 

 

Certains agissements sont anciens. Peut-on sanctionner les agissements d’un employé sur des faits antérieurs ou commis en dehors du cadre de son travail ?

Concrètement, il faudra s’assurer, en l’espèce, que la preuve peut être faite que, malgré l’ancienneté des faits et le caractère public de la plupart des messages, l’employeur n’en a eu connaissance que lorsque l’affaire a été révélée, spécialement par un article paru dans le journal Libération le 8 février dernier. La précision apportée par la jurisprudence que cette connaissance des faits reprochés doit être exacte et complète pourrait favoriser ici cette preuve.

Si l’employeur ne peut être juge d’agissements commis dans la vie personnelle des salariés, fussent-ils constitutifs d’une infraction pénale, la possibilité lui est tout de même donnée de sanctionner un employé par un licenciement disciplinaire lorsque les faits, bien que ressortissant à sa vie personnelle, caractérisent un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Ce manquement d’ordre professionnel permet alors de placer sous l’emprise du pouvoir disciplinaire de l’employeur un fait pourtant tiré de la vie personnelle du salarié. À cet égard, c’est toute espèce d’obligation rapportable au contrat de travail dont la violation peut justifier, si elle est suffisamment grave, un licenciement disciplinaire et non les seules obligations contractuelles stricto sensu. Le manquement à des règles éthiques et déontologiques ayant déjà été retenu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, c’est ce manquement qui pourrait, le plus probablement, être imputé au cas présent comme faute grave aux journalistes mis à pied.

Pour aller plus loin :

 

Par Grégoire Loiseau