Présidente du Conseil national des barreaux

Il ne faudrait pas que des mesures prises dans un cadre exceptionnel se trouvent pérennisées à l’issue de la période qui les exige

Le Club des juristes : Quelles sont les missions de la présidente du Conseil national des barreaux et ses modalités d’action en temps habituel ?

Christiane Féral-Schuhl : Nous avons cinq missions essentielles que sont la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics, l’échange avec nos homologues internationaux, l’admission d’avocats étrangers au sein du Barreau français, la coordination et l’harmonisation de toutes les actions de formation (initiale, continue ou spécialisation) et enfin l’harmonisation et l’évolution des règles de la profession (champs d’activité, modes d’exercice, principes déontologiques, etc.). Pour mener à bien ces missions, nous nous appuyons sur 15 commissions permanentes (Accès au droit et à la justice, Numérique, Égalité, etc.) et des groupes de travail dédiés.

Le Conseil national des barreaux représente les 70 000 avocats français, dont 30 000 environ exercent à Paris. Il comprend une assemblée de 80 membres élus pour 3 ans (48 avocats pour la circonscription nationale, 32 pour Paris) et deux vice-présidents de droit, le Bâtonnier du barreau de Paris et le Président de la Conférence des Bâtonniers en exercice.

Nous avons des assemblées générales tous les mois et étudions les motions qui sont à l’ordre du jour, en étant éclairés par le travail réalisé en amont par les 15 commissions permanentes. Le Bureau se réunit lui deux fois par mois en temps normal… et tous les jours en ce moment.

La dynamique, au-delà des missions habituelles et des tâches de gestion courante, consiste à créer et à réaliser des projets. Par exemple le projet des États généraux de l’avenir de la profession (EGAPA) qui a mobilisé de nombreux élus mais également des non élus pendant plusieurs mois, a conduit à une journée dense au cours de laquelle ont été présentées 40 propositions. Il appartient à présent au CNB de voter sur chacune d’elle et de prendre position. De même, le G7 a été l’occasion de créer le premier groupe d’engagement des avocats (A7) et de porter des propositions sur toutes les thématiques du G7 (égalité, environnement, justice prédictive…).

LCJ : Quelles sont les modalités de travail et d’action en temps de confinement, pour vous comme pour votre institution ?

C. F-S. : L’enjeu clé pour nous est de tenir le cap en cette période de grandes turbulences, notamment pour ce qui concerne les objectifs de la profession. Nous sommes pleinement concentrés sur l’actualité et avons adapté notre organisation en conséquence : tout est dématérialisé et toute l’institution fonctionne en télétravail. Nous travaillons intégralement en visioconférence ou en téléconférence pour toutes nos réunions, qu’il s’agisse des réunions du Bureau, du Bureau élargi qui inclut les présidents de commissions, des réunions avec les directeurs de l’institution, ou lors des entretiens bilatéraux. Toutes nos commissions – et nous en avons une quinzaine – poursuivent leur travail. En guise de clin d’œil, j’ai posté sur les réseaux, le kit #ConfinéeActive qui rassemble mes outils de travail : mon ordinateur, mon téléphone, mes écouteurs, et toutes les recharges …

Chaque commission continue ses travaux et prépare les rapports et motions qui seront présentés à notre prochaine assemblée générale. Nous tiendrons notre première AG entièrement dématérialisée le vendredi 3 avril prochain. Pour cette grande première, nous avons prévu une séance d’une demi- journée (contrairement à deux demi-journées habituellement) qui exigera une discipline forte en termes de temps d’intervention des rapporteurs. Il va falloir gérer des débats à 80 ! Mais vous voyez, le CNB est un #ConfinéActif !

LCJ : Quels sont les mécanismes d’adaptation mis en place pour les avocats pour faire face à la situation ?

C. F-S. : Nous avons incité les avocats à poursuivre leur activité et à privilégier le télétravail ou le travail à distance. Le CNB met à leur disposition de nombreux outils numériques qui devraient leur faciliter la vie. Sans être exhaustive, ils peuvent utiliser la e-Convention d’honoraires qui permet de proposer des conventions d’honoraires dématérialisées qui peuvent même être signées électroniquement par le client  ou encore le Cloud privé de la profession : une adresse de messagerie certifiée fiable et sécurisée, disponible sur tous les dispositifs (ordinateur, mobile et tablette) offrant tous les avantages d’une suite de services nécessaires à l’avocat : carnet d’adresses, agenda, gestionnaire de tâches, espace de stockage 50 Go, partage de documents, messagerie instantanée pour échanger rapidement, suite bureautique en ligne, etc. . Il y a également e-Acte qui permet d’établir des actes d’avocat (transactions, cessions de parts etc…) de manière 100 % électronique ou encore la e-procédure participative qui permet de dématérialiser la phase de mise en état des procédures par avocats.

L’avocat dispose de tous les outils pour échanger à distance avec ses clients.

Il peut également s’inscrire sur avocat.fr, plateforme de consultation juridique qui permet aux avocats de développer leur clientèle en référençant leurs compétences et spécialisations, en fixant leurs tarifs et en leur permettant de prendre leur rendez-vous et de délivrer des consultations juridiques à distance. Elle leur permet aussi de proposer les paiements en ligne, à l’heure où les remises et les envois postaux sont aléatoires voire impossibles.

Enfin, nous avons mis en ligne toutes les formations utiles à nos confrères et consœurs afin qu’ils puissent être le plus à jour possible sur l’ensemble des problématiques juridiques auxquelles ils se trouvent aujourd’hui confrontés. Ils peuvent y accéder depuis un site dédié : formations.avocat.fr.

LCJ : Quel est votre rôle dans la collaboration avec les pouvoirs publics pour élaborer la législation d’exception ?

C. F-S. : Nous échangeons en permanence avec la Chancellerie. Actuellement, nous échangeons sur l’élaboration du droit qui sera mis en œuvre dans cette période d’urgence sanitaire, en veillant notamment à retrouver une situation normale à l’issue de l’urgence sanitaire. Il ne faudrait pas que des mesures prises dans un cadre exceptionnel se trouvent pérennisées à l’issue de la période qui les exige.

Notre premier point d’attention concerne les délais, notamment les délais de procédure, et la préservation des délais de recours, dans l’intérêt des parties. La question des délais dans les procédures civiles, commerciales, administratives et fiscales devrait être prochainement réglée.

Sur le volet pénal en revanche, le gouvernement a décidé de suspendre les délais de prescription de la peine et de l’action publique, à compter du 12 mars et jusqu’à 3 mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire alors même que la prorogation des délais accordés aux parties et à leurs avocats, y compris pour l’exercice d’une voie de recours, est très insuffisante. La profession s’oppose fermement à ce que les dispositifs dérogatoires prévus par l’ordonnance qui adaptera les dispositions du code de procédure pénale demeurent applicables 3 mois après la fin de la crise sanitaire (ex : visio audience sans accord de la personne / juge unique à la place de la collégialité).

Sur les questions touchant à l’organisation des juridictions, qui sont nécessairement impactées par la crise sanitaire, nous demandons à ce que l’avis des bâtonniers soit pris en compte. A titre d’exemple, si une juridiction du premier degré se trouve dans l’incapacité de traiter une partie de son contentieux, le premier président de la Cour d’appel du ressort dans lequel elle est située pourra désigner par ordonnance une autre juridiction du premier degré pour traiter de ce contentieux. Les bâtonniers compétents doivent être informés et consultés.

LCJ : Quelles sont vos préconisations pour ce qui relève de la défense de la profession auprès des pouvoirs publics, tant d’un point de vue sanitaire que d’un point de vue économique ?

C. F-S. : D’un point de vue économique, ce qui se joue ce n’est ni plus ni moins que la survie des cabinets. Que les avocats soient en exercice indépendant ou exercent à leur compte, ou qu’ils collaborent à une structure existante, il ne faudrait pas créer une situation d’inégalité avec les autres acteurs économiques. Or c’est précisément ce qui se passe.

D’ailleurs, nous avions pointé cette singularité de notre profession à l’occasion de la réforme des retraites comme lors du mouvement des gilets jaunes : un avocat libéral ne peut pas être confondu avec un salarié du secteur privé ou un fonctionnaire. Nous n’avons ni la protection sociale, ni les dispositifs de protection de l’emploi. Concrètement, un collaborateur ne peut pas être mis en chômage partiel aujourd’hui.

De manière générale, certaines des mesures prises actuellement témoignent d’une profonde incompréhension par les pouvoirs publics de nos modes de travail. Or notre profession se trouve déjà affaiblie par la dernière réforme de la justice et par celle des retraites qui est pour l’heure suspendue. Une partie importante de notre mobilisation concerne ces sujets et nous agissons vigoureusement auprès du ministère des Solidarités et de la Santé, du ministère du travail mais aussi de Bercy pour alerter sur les conséquences présentes et futures d’une telle situation. Nous avons aussi adressé un courrier au Premier ministre pour l’alerter sur les difficultés rencontrées par les cabinets d’avocats à l’heure de la crise sanitaire et l’inviter à y apporter des solutions.

Du point de vue sanitaire, il est évident que la crise en cours suppose de réduire les déplacements, d’où la diminution des requêtes en aménagement des peines. Sur ce sujet par exemple, nous avons demandé à ce qu’on puisse effectuer ces demandes par voie électronique.

Mais de manière plus générale, la majorité des tribunaux continue à tenir des audiences de comparution immédiate, devant le juge des libertés et de détention ou en contentieux des étrangers. Et aucune mesure de protection n’est appliquée : pas de gel hydroalcoolique, absence de masques de protection, alors même que la salle d’entretien avec le justiciable ne permet pas de tenir le mètre de distance recommandé.

Les avocats, les justiciables, les greffiers mais aussi les magistrats… nous pouvons tous être des porteurs sains. Voilà pourquoi nous demandons à ce que soient prises des décisions au plan national, déclinées dans les tribunaux. Pour l’instant, chaque chef de juridiction applique sa propre doctrine. La même problématique se pose dans les prisons : il faut mettre en place des moyens de communication de substitution, par exemple des parloirs téléphoniques pour les avocats et leurs clients, comme c’est déjà le cas pour nos clients et leur famille.

Les droits de la défense doivent continuer à s’exercer pendant la crise, mais pas au prix de vies humaines.

 

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