Le contrat sportif : quelles règles applicables ?
Par G. Simon – Professeur émérite – Université de Bourgogne Franche-Comté
La semaine dernière, le Parisien informait de la signature par Kylian Mbappé avec le PSG de ce que le journal appelait le « contrat du siècle ». Le quotidien abondait de détails (démentis par le club) et mettait ainsi en lumière certaines des singularités du contrat sportif : rémunération mirobolante, durée de deux ans avec option pour une troisième année à la discrétion du joueur, primes diverses en plus d’un salaire. Le Parisien conclut à la signature d’un contrat « inédit ». Afin d’apprécier la rigueur de ce qualificatif, il convient de revenir, d’une manière plus générale, sur les règles applicables au contrat sportif et à sa rupture, alors que les rumeurs de velléités de départ de l’attaquant du PSG avaient couru il y a encore peu de temps.
Juridiquement, quelle est la qualification d’un contrat sportif et donc du contrat qui lie K. Mbappé au PSG ?
Le professionnalisme dans le sport existe depuis longtemps, non seulement dans les sports collectifs comme le football, le basket, le rugby, etc., mais aussi dans les sports individuels comme le tennis, la boxe, les sports mécaniques, le cyclisme, etc. Ce terme de professionnalisme signifie qu’un sportif tire des revenus de cette activité. Lorsque la rémunération est versée par un employeur sous l’autorité duquel le sportif est placé, la relation qui les lie est une relation de travail en application des critères du droit du travail. C’est pourquoi, les contrats des sportifs (tels que K. Mbappé) conclus avec un club employeur (comme le PSG) moyennant une rémunération versée par ce dernier sont bien évidemment des contrats de travail.
Cependant les nombreuses spécificités de l’activité sportive ont conduit le législateur à adopter par une loi du 27 novembre 2015, un certain nombre de dispositions dérogatoires au droit commun du travail qui figurent aux articles L222-2-1 et suivants du code du sport. En particulier, les contrats de travail doivent être conclus pour une durée déterminée, ceci dans le but « d’assurer la protection des sportifs et entraîneurs professionnels et de garantir l’équité des compétitions » (article L222-2-3 du code du sport). Cette durée ne peut être inférieure à la durée d’une saison sportive, c’est-à-dire un an, ni supérieure à 5 ans. En imposant ainsi le recours au CDD, la loi de 2015 entérine la pratique des CDD dits d’usage conclus avec les sportifs et les entraîneurs, sous réserve toutefois qu’ils correspondent à des emplois temporaires par nature, condition à géométrie variable et, partant, empreinte d’incertitude juridique à laquelle l’obligation légale met heureusement fin.
L’une des conséquences de l’obligation de recourir à un CDD en matière sportive est que la succession de CDD est tout à fait licite puisque ce contrat est la forme obligatoire. Il n’y a donc pas risque de requalification du CDD en CDI comme en droit commun du travail.
En revanche, les contrats conclus entre un club employeur et un sportif ou un entraîneur en vue de l’exploitation commerciale de leur image ne sont pas considérés comme des contrats de travail et la rémunération que le sportif ou l’entraîneur perçoit à ce titre ne constitue pas un salaire (article L222-2-10-1 du code du sport).
Aux termes d’un CDD sportif, quelles obligations pèsent sur le joueur et le club ?
De manière tout à fait classique, le sportif perçoit une rémunération en contrepartie du travail fourni sous l’autorité du club employeur. La rémunération comprend le salaire mensuel et les primes diverses et variées occasionnées par l’activité (primes de victoire, de participation aux rencontres, de classement, etc.). A cet égard, les informations relayées par le Parisien quant au CDD conclu entre le PSG et K. Mbappé sont assez peu surprenantes sur le principe : un salaire, une prime de signature (pour inciter le joueur à signer dans ce club plutôt qu’un autre), une prime de fidélité versée à chaque fin de mercato (période au cours de laquelle les transferts de joueurs entre clubs sont autorisés) si le joueur décide de poursuivre.
Les obligations du sportif dont le détail détermine l’objet et l’étendue de son travail peuvent figurer dans le contrat mais sont le plus souvent fixées dans des documents extérieurs qui sont autant de sources à ces obligations, notamment dans des conventions collectives propres à la discipline sportive quand elles existent, comme la Charte du Football Professionnel et également dans les règlements intérieurs des clubs.
Bien sûr, l’obligation principale du sportif est de participer aux entraînements et aux compétitions de son club. Mais elle va au-delà du simple ressort compétitif : le sportif sera tenu de participer aux actions éducatives et promotionnelles menées par le club. En dehors du temps de travail, on considère que le sportif a une fonction de représentation de son club qui se traduit notamment par une obligation de comportement respectueuse de l’image et de la réputation de son club employeur, ce qui pose le problème des limites du respect de la vie privée et de la liberté individuelle.
Quant au club, celui-ci doit offrir au sportif qu’il emploie, outre la rémunération, des conditions lui permettant d’exercer son métier. L’article L222-2-9 du code du sport énonce à cet effet que « tout au long de l’exécution du contrat de travail, le club offre au sportif des conditions de préparation et d’entraînement équivalentes à celles des autres sportifs professionnels salariés ». Cette disposition vise le cas des joueurs qui, bien que sous contrat, sont peu ou pas utilisés par le club pour des raisons sportives (choix de l’entraîneur de ne pas retenir un joueur) ou extra sportives (mésentente avec les dirigeants). Cette situation a pu conduire dans le football professionnel à la constitution, au sein de l’effectif des joueurs, de ce que l’on nomme familièrement des « lofts », c’est-à-dire un ensemble de joueurs sous contrat écartés du groupe professionnel qu’il s’agisse des entraînements ou des activités du club. Ce « loft » ou cette mise à l’écart a pu être utilisé par les clubs comme un moyen de pression pour contraindre un joueur toujours sous contrat à accepter une rupture avant le terme fixé. La Charte du Football a entendu réagir à cette pratique très attentatoire aux droits des sportifs en tentant d’en limiter les effets.
Dans la perspective de protéger les joueurs, l’article 507 de la Charte du Football Professionnel distingue aujourd’hui deux périodes où des groupes d’entraînement peuvent être constitués : l’une, allant du 1er juillet au 31 août où un « loft » peut être formé à condition que le groupe reçoive des conditions de préparation et d’entraînement identiques à celles du groupe professionnel ; l’autre, du 1er septembre au 30 juin : dans ce cas le second groupe doit comprendre un minimum de 10 joueurs sous contrat (8 en Ligue 2) et n’être constitué que « pour des motifs exclusivement sportifs liés à la gestion de l’effectif ». Le club de Reims a été ainsi condamné pour atteinte à la dignité d’un joueur abusivement placé à l’écart du groupe professionnel.
Alors que les rumeurs selon lesquelles K. Mbappé aurait souhaité rompre son contrat au PSG ont couru encore récemment, quelles sont les règles de rupture du CDD sportif ?
Le contrat de travail du sportif cesse normalement de produire ses effets au terme de sa durée déterminée. Cependant, conformément à l’article L1243-1 du code du travail, une rupture anticipée du CDD est possible dans 4 cas : par accord des parties, en cas de faute grave de l’une des parties, en cas de force majeure ou en cas d’inaptitude professionnelle constatée par le médecin du travail. En dehors du commun accord, la cause de rupture la plus fréquente est l’existence d’une faute grave définie comme un manquement à une obligation qui rend impossible le maintien de la relation de travail. Sont ainsi constitutives de fautes graves les absences ou retards répétés du sportif aux entraînements, les altercations avec les membres du groupe ou le staff technique, des propos par voie de presse dénigrant la politique du club.
Rares sont cependant les situations où c’est le club qui décide de rompre le contrat pour faute grave car il se prive ainsi de la possibilité de transférer le joueur dans un autre club moyennant indemnité.
C’est plutôt le joueur qui sera le plus souvent à l’initiative de la rupture anticipée en invoquant une faute grave de la part du club, lequel par exemple ne lui fournirait pas les conditions lui permettant l’exercice de son métier. Dans cette hypothèse, le joueur n’aurait pas droit à des indemnités de rupture sauf à démontrer l’existence d’un préjudice.
En revanche, si la faute grave du club alléguée par le joueur le club employeur a droit, selon la jurisprudence « à des dommages-intérêts correspondant au préjudice subi ». Dans ce cas, il revient au club de démontrer la réalité et l’étendue du préjudice lié au départ anticipé du joueur. Pourrait être ainsi invoqués dans le cas de K. Mbappé le rôle et l’image du joueur pour le club du PSG, la difficulté de trouver un joueur équivalent sur le « marché des footballeurs », etc.
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