Par Clémentine Legendre, Professeure de droit privé et sciences criminelles à l’Université de Lorraine

Quel est aujourd’hui le sort réservé aux athlètes russes et biélorusses ?

La réaction de la communauté sportive à l’intervention russe, en Ukraine, a été très rapide. Dans les jours qui ont suivi le déclenchement du conflit, de nombreuses organisations sportives internationales ont annulé les évènements sportifs devant se dérouler en Russie et interdit la participation d’athlètes russes ou biélorusses aux compétitions. Le conflit se prolongeant, des voix ont commencé à s’élever pour soutenir une réintégration de ces athlètes.

Le Comité international olympique (CIO) a ainsi adopté des recommandations adressées aux fédérations internationales pour les encourager à maintenir l’exclusion des équipes russes mais à admettre la participation d’athlètes individuels, sous bannière neutre, à certaines conditions. Ces recommandations n’ont toutefois pas vocation à s’appliquer pour les Jeux Olympiques de 2024. Le CIO a, à cet égard, précisé qu’il prendrait une décision « en temps voulu, à sa seule discrétion ». L’affirmation est claire. Est-elle néanmoins réaliste ? La légalité de l’exclusion généralisée des athlètes russes et biélorusses des Jeux Olympiques de 2024 est tout sauf évidente.

L’exclusion des athlètes russes et biélorusses des Jeux olympiques 2024 serait-elle légale ?

Cette exclusion pourrait, d’abord, heurter le principe de neutralité politique, l’un des principes fondamentaux de l’olympisme. Elle pourrait, ensuite, méconnaitre le principe de traitement équitable, la réaction de la communauté sportive ayant été plus vigoureuse après l’intervention en Ukraine que pour d’autres conflits armés. Ces différents arguments ont toutefois été repoussés par les arbitres du Tribunal arbitral du sport qui ont admis la légalité des premières décisions d’exclusion en les jugeant proportionnées à l’objectif recherché, à savoir le bon fonctionnement des compétitions. Ces sentences arbitrales ne viennent cependant pas clore le débat, d’autres instances juridictionnelles pourraient retenir une solution différente.

Surtout, l’exclusion des athlètes russes et biélorusses pourrait être contestée sur un autre fondement, celui de la méconnaissance du principe de non-discrimination à raison de la nationalité, très largement consacré par les droits nationaux et européens. Le manquement à ce principe parait, en effet, difficilement contestable. La décision d’exclure les athlètes russes et biélorusses des Jeux olympiques de Paris reviendrait à traiter moins favorablement certains citoyens en raison de leur nationalité. Toute atteinte à ce principe n’est toutefois pas sanctionnée. Une mesure discriminatoire peut être admise pourvu qu’elle soit nécessaire, légitime et proportionnée au but recherché.

L’atteinte au principe de non-discrimination à raison de la nationalité pourrait-elle être justifiée ?

La légitimité du but poursuivi devrait pouvoir être démontrée. L’exclusion pourrait, en effet, être justifiée par l’objectif d’assurer le bon déroulement des Jeux Olympiques, objectif a priori légitime. La proportionnalité de la mesure parait plus discutable. D’autres mesures, moins attentatoires aux droits fondamentaux, pourraient permettre d’atteindre le même objectif. On songe évidemment à l’admission des sportifs russes et biélorusses sous bannière neutre.

Cette mesure n’exclut toutefois pas tout incident. Il suffit, pour s’en convaincre, de songer à une récente compétition d’escrime dans laquelle l’athlète victorieuse, ukrainienne, a été disqualifiée après avoir refusé de serrer la main de son adversaire de nationalité russe. Les compétitions internationales récemment organisées avec les athlètes russes sous bannière neutre se sont cependant, dans l’ensemble, bien déroulées. Les difficultés ne sont donc que marginales.

Qu’en conclure ?

L’exclusion des athlètes russes risque d’apparaitre comme une discrimination injustifiée, le bon fonctionnement des compétitions pouvant globalement être atteint par une autre mesure, plus respectueuse des droits des athlètes. Le CIO serait ainsi bien inspiré d’admettre la participation individuelle des athlètes russes et biélorusses sous bannière neutre.

La mesure lui permettrait de sauvegarder les droits fondamentaux des sportifs tout en maintenant une sanction à l’égard de la Russie en interdisant aux athlètes de représenter leur pays. Mme Alexandra Xanthaki, la rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le domaine des droits culturels s’est ainsi exprimée en faveur de cette option, après avoir émis de sérieux doutes sur la conformité au principe de non-discrimination d’une exclusion généralisée des athlètes russes[3]. La balle est donc désormais dans le camp du CIO.