Par Sylvain Jacopin, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Caen-Normandie.

Que prévoit le texte pour responsabiliser davantage les parents ?

Si le code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur le 30 septembre 2021 a renforcé le droit d’information des parents sur les procédures pénales mettant en cause leurs enfants, il a également renforcé leurs devoirs à ce titre (art. 311-5 CJPM : recours à la force publique + amende / peine de stage). Dans sa circulaire du 5 juillet 2023, publiée dans le contexte des émeutes urbaines, le garde des Sceaux avait expressément invité les parquets à « requérir le prononcé de ces stages et amendes en cas d’absence sans motif légitime des représentants légaux à l’audience concernant leur enfant mineur ».

L’une des mesures phares de la proposition de loi a pour objet de compléter le dispositif en modifiant l’incrimination du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales prévu à l’article 227-17 du code pénal. Actuellement, l’infraction ne saurait être retenue en l’absence d’un résultat effectif du comportement défaillant des parents sur l’enfant mineur. Le délit de soustraction est ainsi une infraction dite « matérielle », en ce qu’elle implique, pour être constituée, la caractérisation des conséquences sur l’enfant de la violation par le parent de ses obligations légales. L’idée est donc de transformer le délit en infraction formelle : la proposition de loi, en substituant dans l’incrimination l’expression « de nature à » à celle de « au point de » assouplit donc les conditions d’application de l’infraction. Il suffira ainsi de démontrer le fait que la soustraction intentionnelle du parent à ses obligations légales est simplement « de nature à », c’est-à-dire susceptible de porter atteinte à leur enfant. En contrepartie de cet assouplissement, l’article 1er précise les éléments constitutifs de la soustraction, en conditionnant celle-ci au « caractère répété » ou à la « gravité » de la défaillance du parent, permettant de mieux encadrer l’office du juge lorsqu’il doit caractériser le délit de soustraction.

Est également envisagée la création d’une circonstance aggravante, lorsque cette soustraction a conduit l’enfant mineur à commettre plusieurs crimes et délits et prévoit la possibilité de prononcer une peine complémentaire de travail d’intérêt général au titre de cette infraction. La condition tenant à la pluralité des infractions commises devrait être discutée, car elle implique d’attendre le terme de plusieurs procédures pénales à l’encontre de l’enfant mineur. Cette circonstance aggravante ne saurait viser aussi des cas où le parent inciterait son enfant mineur à commettre un crime ou un délit, car un tel comportement est en effet déjà incriminé à l’article 227-21 du code pénal. Cette circonstance aggravante concerne donc le seul parent défaillant, et non le parent complice ou receleur des actes de délinquance de son enfant dont le comportement peut déjà être incriminé en l’état du droit.

Il s’agit aussi d’instaurer une obligation pour les parents de déférer aux convocations, aux audiences et aux auditions du juge des enfants statuant cette fois-ci en matière d’assistance éducative, et de donner la possibilité au juge des enfants de condamner à une amende civile les parents qui ne respectent pas une telle obligation. Le dispositif inédit proposé ici n’est pas redondant avec l’article L. 311-5 CJPM, dès lors que ce dernier n’a vocation à s’appliquer qu’en matière pénale. Le système s’inspire ainsi du mécanisme prévu par l’article 411-1 du code civil en matière de tutelle.

Le texte prévoit également une procédure de comparution immédiate pour les mineurs âgés d’au moins 16 ans. Quels en sont les critères ? 

Il est proposé de créer, aux articles L. 423-4 et L. 521-28 du CJPM, une procédure de comparution immédiate pour les mineurs âgés d’au moins 16 ans, applicable lorsque ceux-ci encourent une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à sept ans, ou, en cas de délit flagrant, supérieure ou égale à cinq ans, et que les faits ont été commis en état de récidive légale. Le mineur ne peut être jugé devant le tribunal pour enfants le jour même qu’avec son accord recueilli en présence de son avocat. La création d’une telle procédure est présentée comme de nature à offrir un outil supplémentaire aux services judiciaires pour adapter l’orientation des poursuites et les délais de jugement en considération du parcours délinquant d’un mineur récidiviste ayant commis des infractions graves.

Or, le CJPM a déjà largement et profondément modifié le déroulement du procès pénal des mineurs, avec l’instauration d’une procédure de droit commun qui se décompose désormais en deux phases : un jugement sur la culpabilité qui doit intervenir entre dix jours et trois mois après la saisine de la juridiction par le parquet, puis un jugement sur la sanction six à neuf mois après la déclaration de culpabilité. Entre les deux, le mineur déclaré coupable est soumis à une période de mise à l’épreuve éducative. Cette césure du procès pénal devait déjà accélérer la décision sur la culpabilité, pour une indemnisation plus rapide des victimes. Le CJPM permet en outre de tenir une audience unique, dans certains cas où une telle césure ne serait pas opportune, compte tenu notamment de la gravité des faits. Prévue à l’article L. 423-4 du CJPM, cette procédure exceptionnelle d’audience unique destinée à juger rapidement les actes les plus graves commis par un mineur déjà suivi a remplacé la « procédure de présentation immédiate » antérieurement prévue par l’ordonnance du 2 février 1945 (loi 5 mars 2007). La tendance sécuritaire, par le recours à un système de procédures accélérées dans la justice pénale des mineurs et proches de celles applicables à un majeur, n’est donc pas nouvelle, mais elle n’avait pas encore frontalement atteint le CJPM. Au contraire, l’article L. 423-5 exclut l’application de la procédure de comparution immédiate pour le jugement des mineurs. C’est la raison pour laquelle la nouvelle procédure de comparution immédiate est ici encadrée par plusieurs conditions cumulatives, prévues à l’article L. 423-4 du CJPM, relatives, pour les unes, à la peine encourue et à l’âge du mineur et, pour les autres, à la situation du mineur. La comparution immédiate serait ainsi réservée aux mineurs âgés d’au moins 16 ans poursuivis pour des délits graves commis en état de récidive légale, pour lesquels est encourue : 1° une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à sept ans ; 2° ou, en cas de délit flagrant, une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Or, ces infractions concernent facilement beaucoup de mineurs. Il suffit de constater par exemple un vol commis en réunion, la circonstance aggravante entraînant une peine de 5 ans d’emprisonnement. De même, si les faits sont commis dans un établissement scolaire, ou aux abords, ou encore dans un transport en commun (ou dans un lieu destiné aux transports). Par contre, la procédure est exclue à l’égard d’un mineur primo-délinquant, ce qui est une limite importante à ce type de procédure.

Pour s’assurer que le tribunal disposera d’éléments de personnalité suffisants et actuels sur le mineur en cause, il faut en outre que le mineur en cause soit déjà connu (exigence d’un rapport datant de moins d’un an faisant suite à une mesure éducative, une mesure judiciaire d’investigation éducative, une mesure de sûreté, une déclaration de culpabilité ou une peine prononcée dans le cadre d’une autre procédure) ou qu’un recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE) soit déjà établi à son égard. A cet égard, il est prévu en outre que l’article L. 322-2 CJPM soit aussi modifié pour que le RRSE soit remplacé par une « note de situation actualisée » lorsque le mineur fait déjà l’objet d’une mesure éducative, d’une mesure judiciaire d’investigation éducative ou d’une mesure d’assistance éducative.

Le texte prévoit également d’assouplir les règles d’atténuation des peines applicables aux mineurs âgés de plus de 16 ans. Selon quelles modalités ?

La règle d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge a été érigée au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002. C’est au stade de la peine de référence, ce que l’on dénomme très maladroitement « l’excuse de minorité », qu’intervient la règle de « l’atténuation de responsabilité pénale », dans le sens d’une cause légale d’atténuation de peine, ou plus concrètement d’une « diminution de moitié de la peine » (art. L. 121-5 CJPM). Le dispositif actuel reconduit l’ordonnance du 2 février 1945, en limitant le pouvoir du juge dans le prononcé d’une peine à l’encontre des mineurs ayant donc au moins 13 ans et auteurs d’infractions, par un abaissement de moitié du quantum de peine légalement encourue applicable à de tels mineurs.

L’article L. 121-7 CJPM, quant à lui, a remplacé l’ancien article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945, qui organisait déjà la possibilité d’exclure la diminution de peine pour les mineurs âgés de 16 à 18 ans sous certaines conditions. Cette disposition avait notamment été modifiée dans le passé par la loi du 10 août 2007 qui avait assoupli les conditions dans lesquelles il était possible d’y déroger pour les mineurs âgés de plus de 16 ans. Il s’agissait en 2007 – et pour la première fois – d’une véritable inversion entre le principe et l’exception. Et, également pour la première fois, c’est la mise en oeuvre de la diminution de peine qui devait être motivée si les juges entendaient en faire néanmoins bénéficier le mineur. La motivation devenait « nécessaire pour justifier une décision de clémence ». La récidive était donc déjà le critère d’un régime de pénalité moins spécifié et applicable au mineur. La loi du 15 août 2014 était revenue sur cette nouvelle architecture de l’atténuation légale, en rétablissant le régime antérieurement applicable. La raison majeure ? Le dispositif n’était tout simplement pas appliqué par les juges, lesquelles motivaient toujours pour faire jouer l’exception, et donc appliquer la diminution de peine favorable.

Aujourd’hui, si le principe de diminution de moitié de la peine souffre encore d’une exception pour les mineurs de 16 à 18 ans, c’est précisément l’exigence d’une motivation spéciale des juges pour l’écarter qui sacralise le dispositif. C’est bien la motivation spéciale qui justifie à l’heure actuelle l’exception, à savoir la non application de la diminution de peine.

La proposition de loi tend à supprimer le caractère exceptionnel de la dérogation à ces règles. Elle vise également à dispenser les juridictions de l’obligation de motiver spécialement leur décision visant à exclure l’application de ces règles, lorsque les faits commis par le mineur l’ont été en situation de récidive légale. La règle de l’article L. 121-5 du CJPM ne s’applique donc pas, mais il est toutefois prévu que le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent là encore en décider autrement par une décision spécialement motivée.

Il s’agit aussi de prévoir un renversement du principe d’atténuation des peines pour les mineurs âgés de plus de 16 ans lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1° le mineur en cause est poursuivi une nouvelle fois en état de récidive légale ; 2° pour avoir commis certaines infractions graves, à savoir un crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne, un délit de violences volontaires, un délit d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences. On retrouve ici certains aspects de la loi du 5 mars 2007 qui avait assoupli les conditions de dérogation à l’applicationde la diminution légale de peinepour permettre au tribunal pour enfants ou à la cour d’assises des mineurs d’écarter, pour les mineurs de plus de seize ans, l’atténuation de responsabilité pénale non seulement, « compte tenu des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur », mais aussi « parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne et qu’ils ont été commis en état de récidive légale ». Le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs peuvent néanmoins en décider autrement et prévoir, par une décision spécialement motivée, leur application. Dans le cadre du passé, le conseil constitutionnel avait validé le système (décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007 sur la loi relative à la prévention de la délinquance, cons. 24 à 30). Une telle rupture ne pourrait se concevoir en effet que dans le respect de l’individualisation judiciaire. La motivation spéciale devra s’articuler cette fois-ci autour d’une faveur de clémence (la diminution de moitié). A cet égard, il faut rappeler que le principe de personnalisation des peines est encore plus marqué chez le mineur que chez le majeur. Par ailleurs, cette nouvelle défiance vis-à-vis des juges amène à penser (comme par le passé) que la pratique judiciaire continuera à appliquer l’exception au détriment du principe.