Par Aurore Laget-Annamayer, Professeure de droit public à l’Université Paris Dauphine-PSL

Du point de vue économique, l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché ferroviaire, en conduisant à une hausse de l’offre, devrait exercer une pression à la baisse sur les prix des billets de train. La concurrence incite en effet les opérateurs à être plus efficaces et à proposer des tarifs plus compétitifs pour attirer les passagers De plus, elle stimule l’innovation et l’amélioration des services, ce qui peut également contribuer à une baisse des prix à long terme. Ces processus ont été effectivement observés dans le cas du secteur aérien ou des télécommunications par exemple. Pourtant, en matière ferroviaire, les choses sont plus complexes car divers paramètres doivent être pris en compte qui pourraient conduire à terme à limiter cet effet.

Distinguer les services librement organisés des lignes conventionnées

L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire des voyageurs en France se réalise selon deux modalités distinctes. La concurrence sur les services librement organisés (SLO) tout d’abord, actée depuis le 12 décembre 2020, se traduit par la reconnaissance d’un droit d’accès au réseau à de nouveaux opérateurs – dont Trenitalia depuis le 18 décembre 2021 ou Renfe Viajeros depuis le 13 juillet 2023 – et celle sur les services conventionnés (régionaux avec les TER, ou nationaux avec les trains d’équilibre du territoire dits TET) implique, depuis le 24 décembre 2023, une mise en concurrence obligatoire des contrats de service public de transport pour attribuer à un opérateur les lots en cause.

Or la tarification n’est pas la même pour ces deux modalités. Pour les SLO, dits services commerciaux, les tarifs sont librement fixés par les opérateurs, alors que pour les services conventionnés, les régions (pour les TER) ou l’Etat (pour les TET) décident des tarifs. Les concours publics y représentent d’ailleurs l’essentiel des financements et l’usager ne paye déjà que 25% du prix du billet. La concurrence sur ces services conventionnés devrait dès lors se traduire davantage par un enrichissement de l’offre de service ferroviaire, même si une baisse des concours publics, profitable au contribuable, est possible. Ainsi, Transdev qui a remporté un lot en Région PACA, a promis un doublement de l’offre à coût constant tandis que dans les régions Haut de France et Pays de la Loire, le coût du service baisse de 20 à 25% pour les lignes réattribuées à SNCF Voyageurs. Cela n’empêche pas certaines régions de mettre en place en plus des tarifications attractives pour doper la fréquentation ferroviaire sur les TER pour certaines catégories de voyageurs.

La marge de manœuvre est en revanche plus grande sur les services commerciaux, en particulier pour les nouveaux entrants qui ne sont pas soumis aux tarifs réglementés, et c’est la raison pour laquelle la baisse des prix liée à l’arrivée de Trenitalia sur la ligne grande vitesse Paris / Lyon est déjà visible. L’arrivée ou la perspective de l’arrivée de ces nouveaux opérateurs incite également SNCF Voyageurs à ajuster ses prix pour rester compétitive, comme l’a montré l’offre low cost Ouigo mise en place par le Groupe SNCF.

Un ajustement tarifaire pérenne ?

Cet ajustement tarifaire a néanmoins des limites. En effet, une part importante du prix du billet de train est liée au niveau des « péages » ou redevances d’infrastructure que les opérateurs doivent payer au gestionnaire d’infrastructure SNCF Réseau pour utiliser le réseau ferré. Ces redevances permettent de financer l’investissement, l’entretien et le renouvellement du réseau. Or, en France, elles sont parmi les plus élevées d’Europe et continuent à augmenter chaque année. Si elles représentent environ 15% du prix du billet pour les TER, la proportion varie entre 35% et 40% du prix du billet sur les SLO. Ainsi, pour l’instant, le financement des infrastructures repose en France principalement sur le voyageur. C’est la raison pour laquelle les nouveaux entrants plaident pour une baisse de ces redevances afin de stimuler le marché ferroviaire et permettre une baisse des prix des billets, à l’instar du modèle italien. L’équation n’est pas simple car il s’agit de faire évoluer la tarification pour favoriser le développement de l’offre sans remettre en cause l’équilibre économique fragile de SNCF Réseau qui fixe ces redevances sous le contrôle de l’Autorité de régulation des transports.

Enfin, les nouveaux entrants (Trenitalia, Renfe Viajeros) sur le SLO ont négocié avec SNCF Réseau des réductions des redevances pour accompagner le lancement de leurs services ferroviaires pour leurs trois premières années d’exploitation, ce qui explique aussi leur politique commerciale « agressive » pour conquérir de nouvelles parts de marché. La question se pose de la pérennité de ces politiques commerciales.

Une tarification fondée sur le yield management

Au-delà du niveau des tarifs, les usagers du transport ferroviaire dénoncent depuis longtemps leur complexité. Pour une même classe de réservation et sur un même train, de nombreux tarifs différents existent et les usagers ont bien du mal à s’y retrouver. Ceci est lié à la mise en place progressive depuis les années 90 d’un système de tarification fondé sur le principe du yield management visant à augmenter la fréquentation des trains tout en optimisant la tarification. Ce principe, qui permet la modulation des tarifs en fonction du taux de remplissage des trains, est utilisé par SNCF Voyageurs et par les nouveaux entrants. Ainsi, plus la demande est forte, plus les tarifs augmentent sur un même train. Dans cette logique, un renforcement de l’offre ferroviaire pourrait donc se traduire par une baisse des prix moyens sur certains trajets. Mais encore faut-il que l’offre ferroviaire puisse effectivement se développer !

Or, de nombreux obstacles (institutionnels, techniques, technologiques) demeurent qui empêchent d’envisager à court terme un réel choc de l’offre ferroviaire et un développement effectif de la concurrence. La pénurie du matériel roulant est à cet égard un facteur contraignant non seulement pour les nouveaux entrants qui peinent à acquérir de nouveaux matériels mais aussi pour l’opérateur historique. Ainsi les premiers TGV nouvelle génération commandés en 2018 par SNCF Voyageurs (dit TGV M) ne seront livrer qu’en 2025 avec quelques années de retard. Cette pénurie est aussi la conséquence de la politique industrielle de SNCF Voyageurs qui a retiré près de 200 rames TGV en dix ans et n’en a remplacé que la moitié. Comment dans ces conditions répondre à l’accroissement de la demande et envisager une baisse des prix ?

Certes, au-delà du niveau des prix du billet de train, la concurrence a des effets très visibles sur l’amélioration de la qualité des services, la diversification de l’offre ferroviaire, et entraine un accroissement de la demande. Mais si l’on souhaite augmenter fortement la part modale du ferroviaire nécessaire dans le cadre de la transition écologique, il convient de ne pas oublier que le signal prix reste un critère important pour le client dans le choix de son mode de transport. C’est une des conditions pour que le report modal des passagers devienne une réalité. Des solutions ponctuelles existent, tel le pass rail illimité pour les jeunes de moins de 27 ans sur tous les trains TER et Intercités pour l’été 2024 annoncé par Patrice Vergriete le 5 avril 2024. Il n’est néanmoins pas certain que l’Etat soit enclin à faire trop efforts financiers supplémentaires, alors qu’il a déjà repris ou effacé 35 milliards d’euros de la dette de SNCF Réseau depuis la réforme ferroviaire de 2018.