Quelles sont les obligations des personnes convoquées par une commission d’enquête ?
Depuis le début de la présente législature, divers incidents sont venus émailler les auditions des commissions d’enquête. Le 10 juin dernier, un influenceur, entendu par la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, a quitté brutalement l’audition à laquelle il participait en visioconférence. Quelles sont les obligations qui s’imposent aux personnes auditionnées par les commissions d’enquête ?
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Par Corinne Luquiens, Secrétaire général honoraire de l’Assemblée nationale, ancienne membre du Conseil constitutionnel.
Des éléments de contexte peuvent-ils expliquer la multiplication de ces incidents ?
Si les incidents se multiplient, ce n’est évidemment pas sans lien avec l’augmentation très significative du nombre des commissions d’enquête. De tradition ancienne, ce mode d’exercice de la fonction de contrôle du Parlement avait pratiquement disparu au début de la Cinquième République, une seule commission ayant été créée avant 1973. La montée en puissance a été ensuite progressive. Leur nombre s’établit désormais autour de la vingtaine par législature. En un an, depuis les dernières élections, 9 commissions ont déjà été créées et deux sont en voie de l’être.
Cette situation est la résultante de l’augmentation du nombre des groupes au sein de l’Assemblée et de l’existence d’un « droit de tirage », qui permet à chacun d’entre eux d’obtenir, chaque année, la création d’une commission d’enquête. Ajoutons que les commissions permanentes peuvent demander à l’assemblée de se voir confier, pour une mission déterminée et une durée n’excédant pas six mois, les prérogatives des commissions d’enquête.
Il est assez frappant que la Présidente de l’Assemblée elle-même, peu susceptible d’être taxée d’antiparlementarisme, ait récemment déclaré qu’il y avait « peut-être un peu trop » de commissions d’enquête, déplorant, en outre, que certaines d’entre elles soient « instrumentalisées pour en faire des tribunes ».
Enfin, les auditions des commissions d’enquête, couvertes à l’origine par le secret, sont publiques, depuis 1991. Elles donnent généralement lieu à une retransmission en direct sur le site de l’Assemblée, dont les images peuvent être plus largement diffusées. Les incidents susceptibles de se produire ont donc un fort retentissement.
La participation à une audition d’une commission d’enquête est-elle, pour une personne convoquée, une simple faculté ou une obligation ?
L’ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires énonce, sans la moindre ambiguïté, que toute personne dont la commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à sa convocation. Sous réserve du secret professionnel, les personnes entendues sont tenues de déposer et le font sous serment.
Pourtant plusieurs personnes ont, ces derniers mois, contrevenu à ces dispositions. Ainsi, Alexis Kohler, secrétaire général de la présidence de la République, a-t-il refusé de se rendre, le 11 février, devant la commission des finances dans le cadre de l’enquête qu’elle conduisait sur le dérapage budgétaire en 2023 et en 2024. Par ailleurs, Pierre-Edouard Stérin, convoqué par la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France, ne s’est présenté à aucune des deux auditions successivement prévues en mai dernier. Enfin, l’influenceur Alex Hitchens a donc quitté, sans l’accord de la commission, la visioconférence à laquelle il participait.
L’obligation de participer à une audition d’une commission d’enquête est-elle assortie de sanctions ?
Selon les termes de l’ordonnance du 17 novembre 1958, une personne qui refuse de déposer ou de prêter serment encourt deux ans d’emprisonnement et 7 500 € d’amende. Le tribunal peut également prononcer une interdiction d’exercice des droits civiques pour une durée de deux ans. En outre, comme devant un tribunal, le faux témoignage est passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. C’est au président de la commission qu’il appartient d’engager les poursuites ou, si le rapport de la commission a été publié, au Bureau de l’assemblée.
Si aucune poursuite n’avait été engagée depuis 1958, seize procédures l’ont été à l’Assemblée nationale depuis deux ans, principalement pour faux témoignages. Il faut rappeler qu’une condamnation avait été prononcée en 2017 contre un pneumologue, auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur la pollution de l’air, qui avait omis de déclarer ses liens avec le groupe Total.
En revanche, aucune procédure n’a, jusqu’à présent, abouti pour refus de témoigner.
A la suite du recours engagé le 4 mars dernier contre le secrétaire général de la présidence de la République par le président de la commission des finances, la procureure de la République a considéré que l’infraction n’était pas caractérisée, Alexis Kohler avait avancé l’argument de la séparation des pouvoirs, le Parlement chargé de contrôler l’action du Gouvernement n’ayant pas compétence pour celle de la présidence de la République. Gageons que désormais les conseillers de cette institution qui avait parfois accepté de témoigner devant une commission d’enquête – y compris Alexis Kohler dans l’affaire Benalla – n’auront plus aucune raison de le faire !
Une action a également été lancée à l’encontre de Pierre-Emmanuel Stérin mais n’a pas encore donné lieu à jugement.
S’agissant d’Alex Hitchens, sans doute a-t-il accepté de comparaitre et a-t-il bien prêté serment. Mais en interrompant son audition, de sa propre initiative, il pourrait être considéré comme ayant omis des faits, ce qui, selon la jurisprudence, peut être assimilé à un faux témoignage. La commission d’enquête dispose désormais du choix de le convoquer à nouveau ou d’engager immédiatement des poursuites. Sa décision devrait intervenir rapidement.
Les décisions susceptibles d’être rendues dans ces deux affaires seront décisives pour l’autorité des commissions d’enquête parlementaires et l’avenir de leurs travaux.