Par Anne Stevignon, Avocate à la Cour, chercheuse associée à l’ISJPS (UMR 8103)

« SAY on Climate » est une expression visant à encourager les entreprises à rendre des comptes sur leurs actions en matière de lutte contre le changement climatique. Il s’agit d’une extension du concept du « say on pay », qui permet aux actionnaires de voter sur la rémunération des dirigeants d’une entreprise. Le « say on climate » propose un mécanisme similaire, mais cette fois avec pour but que les actionnaires puissent exprimer leur avis sur les politiques, les objectifs et les rapports de durabilité environnementale des entreprises. Objectif ? Accroître la transparence et la responsabilité de ces dernières.

Qu’est-ce que le « Say on climate » ?

Le « Say on climate » est la pratique par laquelle une entreprise organise un vote consultatif sur sa stratégie climatique lors de son assemblée générale. Inconnue il y a encore trois ans, cette pratique s’est répandue en France. En 2021, seules les sociétés TotalEnergies, Vinci et Atos avaient consulté leurs actionnaires sur leur stratégie. En 2022, douze entreprises françaises cotées avaient organisé un tel vote, dont Carrefour, EDF, Engie ou Nexity. En 2023, les stratégies climatiques de 9 sociétés dont Schneider Electric, TotalEnergies et Amundi ont été approuvées par leurs actionnaires (V. FIR et ADEME, Bilan Say on Climate 2023, juin 2023).

Un certain nombre d’actionnaires soutiennent la généralisation de ce type de pratique. En mars 2023, une tribune signée par 48 détenteurs, gestionnaires d’actifs, parties prenantes de l’industrie financière et le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) appelait ainsi à une amélioration du dialogue actionnarial sur la stratégie climatique.

À l’heure actuelle, il n’existe pas de cadre réglementaire concernant cette pratique. Deux rapports récemment publiés ont appelé à réglementer le « Say on climate » et le dépôt de résolutions climatiques par des actionnaires : le premier a été publié par le Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) en décembre 2022 et le second par la Commission consultative climat et finance durable de l’AMF en mars 2023. Le rapport du HCJP préconise l’adoption, notamment par des codes de gouvernement d’entreprise, de recommandations de soft law afin de prévoir le cadre général de ces résolutions.

Que prévoyait l’amendement du projet de loi sur à l’industrie verte relatif au « Say on climate » ?

Le 11 juillet dernier, un amendement sur le « Say on Climate » a été déposé par le député Alexandre Holroyd dans le projet de loi relatif à l’industrie verte. L’amendement visait à insérer un nouvel article dans le code de commerce selon lequel les sociétés cotées seraient tenues d’établir une « stratégie climat et durabilité » dont le contenu et les modalités de la publicité devaient être ultérieurement fixés par décret en Conseil d’État. Cette stratégie devait faire l’objet d’un projet de résolution à titre consultatif soumis tous les trois ans à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires et lors de chaque modification importante de la stratégie. Le conseil d’administration aurait dû « prendre en considération » le résultat du vote à titre consultatif. Il était également prévu qu’un rapport annuel sur la mise en œuvre de la stratégie climat et durabilité soit établi et soumis à l’approbation de l’assemblée générale.

Cet amendement, adopté le 21 juillet 2023 par l’Assemblée nationale en première lecture contre l’avis du gouvernement, a finalement été retiré par les deux rapporteurs généraux du texte le 10 octobre. Si cet amendement avait été retenu, la France aurait été le premier pays à généraliser la pratique du « Say on climate ».

Que peut-on augurer pour la suite ?

Les assemblées générales sont désormais un lieu privilégié de discussion de la stratégie climatique des entreprises. La saison des assemblées générales 2023, particulièrement mouvementée, en a fourni une illustration. Il est donc attendu qu’un nombre croissant d’entreprises soumettent à un vote consultatif leur stratégie climatique et il est possible que cette stratégie n’emporte pas toujours le vote favorable d’une majorité des actionnaires, comme cela a été le cas jusqu’à présent.

Les entreprises seront en tout état de cause tenues de formaliser davantage leur plan de transition vers une économie durable avec l’entrée en vigueur prochaine de la directive dite « CSRD » sur le reporting de durabilité des sociétés (Dir. [UE] 2022/2464 du 14 déc. 2022, art. 19 bis nouveau de la directive 2013/34/UE). L’obligation de publier un plan de transition figurera également dans la future directive européenne relatif au devoir de vigilance (art.15 CSDDD). L’autorité nationale dont la création est envisagée à ce titre pourrait même être compétente pour exercer un contrôle sur le contenu du plan de transition (v. la proposition de la Commission européenne du 23 février 2022, art. 17 ; la position du Parlement européen du 1er juin 2023, amendement 257 ; le Conseil de l’Union européenne, dans son orientation générale du 1er décembre 2022, s’est cependant montré favorable à la mise en place d’un contrôle purement formel).

En définitive, à l’heure où il est attendu des entreprises qu’elles engagent un virage particulièrement ambitieux assurant leur soutenabilité, la pratique régulière du « Say on climate », qu’elle soit rendue obligatoire par une loi ou non, semble désormais incontournable.