Par Aude-Solveig Epstein, Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre, Visiting Assistant Professor à NYU Abu Dhabi

Quel rôle jouent actuellement les COP dans la lutte contre le changement climatique, et comment cette perception évolue-t-elle au fil des éditions ?

Aucune Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et aux traités pris pour son application, à commencer par l’Accord de Paris (2015), n’est intrinsèquement bonne ou mauvaise. Une COP regroupe beaucoup trop d’activités pour donner lieu à un jugement manichéen. Ce n’est pas seulement le lieu où les États parties aux traités internationaux sur le climat conclus dans le cadre des Nations Unies suivent la mise en œuvre et négocient les évolutions. C’est aussi la plus grande conférence internationale sur le climat, une vitrine pour les activités des entreprises et des associations en matière de changement climatique, un haut-lieu du networking pour les entrepreneurs du climat, etc. En outre, ces conférences multilatérales, bien qu’elles attirent de plus en plus la lumière médiatique, n’apparaissent plus tellement comme le centre de gravité de l’action climatique.

De COP en COP, les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, l’idéal d’un intérêt climatique commun à toute l’humanité s’étiole, et il est clair que la position de chaque État dans les négociations est avant tout déterminée par la situation et les rapports de force politiques qui prévalent sur sa scène intérieure. Le droit international du climat se construit suivant une logique “bottom-up”. Dans cette perspective, on ne pourra tirer les leçons de la COP 28 qu’une fois que les États en auront transposé les orientations, notamment à travers leur prochaine contribution déterminée au niveau national (NDC). Celle-ci, publiée en 2025, devra représenter un progrès par rapport à leur NDC actuelle, refléter leur plus haut niveau d’ambition possible, et tenir compte des leçons que les Parties tirent du premier bilan mondial de la mise en œuvre de l’Accord de Paris dans la décision finale issue de la COP 28.

Quels sont les chiffres clés à retenir de la COP 28 ?

Depuis un an, trois juridictions internationales ont été saisies de demandes d’avis consultatifs sur les responsabilités des États face au changement climatique : la Cour internationale de justice, le Tribunal international sur le droit de la mer et la Cour inter-Américaine des droits de l’homme. Fait marquant, ces demandes d’avis sont déposées non pas par des associations, mais par des États, ce qui donne à penser que le contentieux climatique pourrait, dans les années qui viennent, prendre une tournure de plus en plus internationale. Pour comprendre cette évolution, deux séries de chiffres sont importantes.

La première concerne l’incapacité des politiques publiques actuelles à remédier à la crise climatique. Plus précisément, l’article 2 de l’Accord de Paris (2015) formule l’objectif de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C

par rapport aux niveaux préindustriels » (art. 2). En 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a documenté l’aggravation considérable des risques qui résulterait d’une augmentation moyenne des températures de +2 °C d’ici 2100, par rapport à un scénario à +1,5 °C. Même si une augmentation de +1,5 degrés serait littéralement catastrophique sur certains plans (par exemple, la quasi-totalité des barrières de corail dépérirait), la cible de +1,5 °C continue d’être globalement présentée comme le Graal des politiques climatiques. Or, le premier bilan mondial de la mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris, publié quelques jours avant la COP 28 et servant de base aux négociations intervenues à Dubaï, conclut que pour limiter l’élévation des températures moyennes à +1,5 °C, il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43% entre 2019 et 2030. Les politiques climatiques annoncées par les États parties paraissent bien loin de cette cible : leur mise en œuvre permettrait une diminution moyenne des émissions de seulement 2% entre 2019 et 2030, laissant entrevoir une augmentation des températures de l’ordre de 2,1 °C à 2,8 °C d’ici 2100.

Une autre série de chiffres importante concerne les transferts financiers Nord-Sud. En 2009, les États développés se sont engagés à fournir 100 milliards de dollars annuels de financement climat aux États en développement d’ici 2020. La décision finale issue de la COP 28 note qu’il est probable que cet objectif ait été atteint en 2022. Toutefois, l’association OXFAM estime les paiements effectifs plus proches de 25 milliards de dollars, notamment parce qu’elle refuse de tenir compte des prêts consentis à des taux de marché. En tout état de cause, les sommes en jeu sont bien en-deçà des quelque 5 trillions de dollars annuels dont les Parties à l’Accord de Paris s’accordent à reconnaître qu’ils seront requis pour permettre aux pays en développement de s’adapter au changement climatique et de décarboner leur mix énergétique.

Derrière les discussions sur les chiffres, il y a aussi un débat juridique sur les fondements de ces transferts financiers. Servent-ils à inciter les pays pauvres à faire le pari d’un développement économique décarboné ou à compenser les dommages causés par les émissions historiques des pays développés ? Ces derniers se sont toujours opposés à la reconnaissance de leur responsabilité juridique pour les dommages causés par le changement climatique. Toutefois, ils ont avalisé le concept de « pertes et dommages » en 2015 lors de la COP 21 à Paris, puis accepté la création d’un fonds destiné à leur compensation lors de la COP 27 qui s’est tenue à Charm el-Cheikh l’an dernier. Restait à abonder ce fonds, ce qui a été fait dès l’ouverture de la COP 28, avec des engagements financiers à hauteur de 792 millions de dollars. Ce montant est très en-deçà, là encore, des pertes induites par le changement climatique dans les pays en développement.

Dans ce contexte, le contentieux climatique pourrait non seulement s’internationaliser, mais aussi inclure de nouveaux types de requêtes centrées sur les enjeux d’adaptation au changement climatique.

Cette COP 28 s’inscrit elle dans la continuité des COP précédentes ?

Sur bon nombre de points, la COP 28 s’inscrit dans la continuité des précédentes. Les règles de procédure, qui restent inchangées, ont permis l’adoption de l’accord final à un moment où les représentants des États insulaires particulièrement vulnérables à la montée des eaux n’étaient pas dans la pièce. On retrouve, dans la décision finale issue de la COP 28, les grands principes du régime international du climat, y compris le droit au développement de tous les États et le principe de responsabilité commune mais différenciée, qui servent à justifier la très grande marge de manœuvre dont chaque État dispose pour déterminer son propre niveau d’ambition climatique.

Aucun accord n’a été trouvé sur le fonctionnement du marché international de crédits carbone issu de l’Accord de Paris, si bien que celui-ci ne peut toujours pas démarrer. Les mesures opérationnelles adoptées dans la décision finale restent essentiellement informationnelles, avec par exemple l’organisation d’un dialogue annuel pour faciliter le partage de bonnes pratiques sur l’intégration des résultats du bilan mondial sur la mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris lors de la préparation des prochaines contributions déterminées au niveau national.

Quantité de dispositions restent très floues, y compris sur des points aussi cruciaux que la définition et les objectifs de l’adaptation au changement climatique ou encore les objectifs et les modalités des transferts de technologie. Même les conflits d’intérêt à la tête des COP paraissent une constante historique. L’annonce de la tenue de la COP 28 dans le 7e exportateur mondial de pétrole, sous la présidence du dirigeant de la compagnie pétrolière nationale, a fait grincer des dents les activistes du climat du monde entier. Le tollé médiatique a été amplifié par la révélation du fait que l’équipe de négociation émiratie insérait des points de discussion sur de possibles deals pétroliers lors des rendez-vous de préparation de la COP avec les délégations étrangères. Toutefois, Fabrice Nicolino montre dans son dernier livre comment une personnalité comme Maurice Strong, connue pour être l’un des artisans du régime climatique international dans les années 1980-1990, disposait lui-même de liens d’intérêts avec l’industrie pétrolière…

Peut-on relever néanmoins quelques avancées ?

Il y a tout de même des inflexions. D’abord, la communauté internationale endosse l’objectif de tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici à 2030 et de faire transitionner le mix énergétique hors des énergies fossiles. Certains analystes ont donc célébré la fin annoncée des énergies fossiles. Les investisseurs ne semblent toutefois pas l’entendre de cette oreille. Le cours de bourse des compagnies pétrolières a effectivement grimpé après l’annonce de la décision finale de la COP 28, ce qui tend à signifier que les investisseurs ont surtout pris note du flou des objectifs affichés (incertitude sur l’année de référence pour calculer le triplement de la capacité installée d’énergies renouvelables, indétermination du calendrier de sortie des énergies fossiles, focalisation sur le seul mix énergétique, etc.), de la latitude laissée à chaque État de les décliner à sa façon, de la valorisation, par le texte final, des technologies de capture et de stockage des émissions et de la condamnation des seules subventions aux énergies fossiles qui sont « inefficaces » et « ne répondent pas à des objectifs de lutte contre la pauvreté énergétique ou de transition juste ».

Ensuite, même si le texte final reste très centré sur les systèmes énergétiques, la COP 28 restera peut-être dans les mémoires comme une étape importante vers l’inclusion d’autres secteurs, notamment l’industrie agro-alimentaire, le commerce et la finance, dans le champ de la gouvernance internationale du climat. Un pavillon et une journée thématique ont été consacrés aux questions de commerce. Le texte final évoque pour la première fois les émissions de méthane et la transition des systèmes agro-alimentaires. Il mentionne par ailleurs le rôle des banques centrales et des régulateurs financiers dans la fourniture aux marchés des signaux requis pour combler le déficit d’investissement dans les activités durables.