Obsolescence programmée : de la plainte à la sanction ?
L’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) a annoncé avoir déposé plainte contre le fabricant HP pour obsolescence programmée par voie logicielle de ses imprimantes et pour entrave au reconditionnement et à la restauration de fonctionnalité des cartouches d’encre HP rechargées ou reconditionnées en dehors de ses circuits agréés. Le motif de la plainte n’est pas nouveau ; qu’en est-il de ses chances d’aboutir ?
Par Anne-Cécile Martin, Maître de conférences en droit privé, Université Sorbonne Paris Nord.
Existe-t-il une réglementation française en matière d’obsolescence programmée ?
Oui, depuis 2015, la pratique de « l’obsolescence programmée » est constitutive d’un délit. L’article L. 441-2 du Code de la consommation, quelque peu amendé depuis son introduction, interdit « le recours à des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le responsable de la mise sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie ». Cette définition, très large, devrait permettre d’appréhender une multiplicité de formes d’obsolescence programmée (v. not. : « de fonctionnement » ou « d’incompatibilité » : Rapport ADEME, juil. 2012, p. 14). Le dispositif a en outre été complété par l’interdiction de pratiques d’obsolescence programmée plus indirectes consistant notamment à limiter ou entraver – dans certaines conditions – les possibilités de réparation ou de restauration des fonctionnalités des produits (art. L. 441-3 et s. C. consom.). Au demeurant, et avant 2015, de telles pratiques étaient déjà susceptibles d’être appréhendées sur le fondement de leur déloyauté – spécialement par tromperie – à l’égard du consommateur (v. art. L. 121-1 et s. et L. 441-1 C. consom). Le choix de créer une infraction autonome dans notre droit français est une mesure – parmi d’autres (ex. affichage obligatoire d’un indice de durabilité pour certains produits) – qui témoigne de l’importance accordée à la lutte contre l’obsolescence programmée.
Qu’en est-il à l’échelle de l’Union européenne ?
La préoccupation est partagée à l’échelle de l’Union européenne. Depuis l’adoption en 2017 d’une résolution du Parlement européen sur une durée de vie plus longue des produits, le dispositif ne cesse d’ailleurs de se renforcer. Les mesures sont très nombreuses et visent non seulement à protéger le consommateur mais également à promouvoir le développement d’une économie plus durable. On relèvera, parmi elles, l’insertion de plusieurs pratiques d’« obsolescence précoce », y compris « programmée », à la liste de celles considérées comme déloyales en toutes circonstances à l’égard du consommateur (Directive 2005/29/CE mod. par Directive (UE) 2024/825 applicable au 27 sept. 2026). L’adoption en mai dernier de la directive sur le droit à la réparation (v. CP Parlement européen, 23 avr. 2024), qui vise plus largement à lutter contre l’« élimination prématurée de biens réparables », conforte le mouvement et les objectifs.
Que risquent concrètement les entreprises qui font l’objet de telles plaintes ?
Les auteurs de pratiques d’obsolescence programmée encourent, en France, des peines d’emprisonnement (2 ans) et d’amende d’un montant de 300 000 euros pouvant être porté à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel. À ce jour aucune condamnation sur le fondement de l’article L. 441-2 du code de la consommation ni de ses incriminations voisines n’a été, à notre connaissance, prononcée. Plusieurs plaintes ont toutefois été déposées, et une entreprise a récemment accepté de payer une amende dans le cadre d’une transaction pénale pour des pratiques qualifiées non pas d’obsolescence programmée mais de trompeuses (v. en France : CP DGCCRF, 7 fév. 2020 ; comp. en Italie : ex. CP AGCM, 9 dé. 2020), pour lesquelles les sanctions pénales encourues sont d’ailleurs plus élevées. L’absence de condamnation sur le fondement de l’article L. 441-2 s’explique sans doute, en partie, par la difficulté de rapporter la preuve des éléments constitutifs du délit d’obsolescence programmée. La démonstration devrait commander, en effet, non seulement de déterminer la durée de vie du produit pour en caractériser la réduction mais aussi, de prouver la technique et le caractère intentionnel de cette réduction. La difficulté est encore plus grande dans des hypothèses mêlant obsolescence programmée directe et indirecte du produit. La plainte récemment déposée contre HP en est l’illustration. L’association évoque notamment une obsolescence programmée des imprimantes liée en partie à celle – également programmée mais a priori (quoi que cela soit aussi contesté) plus naturellement – des cartouches d’encre. L’association vise d’ailleurs, outre l’article L. 441-2, l’article L. 441-3 du Code de la consommation qui interdit « toute technique, y compris logicielle, par laquelle un metteur sur le marché vise à rendre impossible la réparation ou le reconditionnement d’un appareil ou à limiter la restauration de l’ensemble des fonctionnalités d’un tel appareil hors de ses circuits agréés ». Il n’est en outre pas exclu, à ce stade, que l’argument d’une éventuelle tromperie sur les qualités essentielles du produit ou, plus largement, d’une pratique déloyale à l’égard du consommateur vienne nourrir les débats. Et dans tous les cas, le contenu de l’information éventuellement délivrée au consommateur – notamment sur la durabilité du produit – ainsi que de possibles justifications de la limitation fonctionnelle reprochée devraient être questionnés.
Quoi qu’il en soit, le choix de fonder la plainte sur le délit d’obsolescence programmé n’est pas neutre. Il conforte le fait que l’interdiction de la pratique vise, au-delà de la seule protection du consommateur, à lutter plus globalement contre des modèles économiques reposant sur l’organisation d’une dépendance du consommateur à l’acte de (re)consommation. A cet égard, les risques de plaintes sur un tel fondement pourraient avoir quelques vertus prophylactiques.
L’avenir dira si les tribunaux en conforteront les effets dissuasifs.