Loi Duplomb : un souffle nouveau pour le droit de pétition
L’impressionnant succès de la pétition contre la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, dite « loi Duplomb », a attiré l’attention sur une procédure très ancienne. Décryptage.
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Par Georges Bergougnous, Ancien Directeur du service des affaires juridiques de l’Assemblée nationale, Docteur en droit et Chercheur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Qu’est-ce que le droit de pétition ?
En plein essor durant la Révolution où il était courant que des pétitionnaires puissent s’exprimer à la tribune des assemblées, le droit de pétition a été supprimé sous l’Empire avant de réapparaitre sous les monarchies constitutionnelles, où il a pu être considéré comme un correctif au suffrage censitaire. Le droit de pétition est ensuite progressivement tombé en désuétude en perdant parallèlement son caractère politique au profit de l’évocation de situations le plus souvent individuelles. Il n’a d’ailleurs pas été consacré constitutionnellement sauf à voir dans le préambule de la Déclaration de 1789 la reconnaissance de ce droit lorsqu’il évoque les « réclamations des citoyens ».
Sous la Vème République, le droit de pétition est mentionné à l’article 4 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de manière au demeurant quelque peu négative, pour interdire qu’elles soient présentées à la barre des assemblées parlementaires, renvoyer à leurs Règlements les conditions dans lesquelles des pétitions écrites pourront être présentées et instituer des sanctions pénales pour réprimer les infractions à ces dispositions.
Ce droit, très largement ouvert, individuel ou collectif, avait perdu largement son intérêt, en raison de son absence de visibilité médiatique, des difficultés de recueil des signatures puis des délais de traitement. Il était en outre concurrencé par d’autres moyens d’intervention, tels que la sollicitation directe des parlementaires, le recours au Défenseur des droits ou l’essor des plateformes de recueil de signatures en ligne. Il l’était également par l’institution d’un droit de pétition devant le Conseil économique, social et environnemental par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Comment ce droit a-t-il été revigoré ?
Les assemblées ont cherché à moderniser l’usage de ce droit, à l’instar de plusieurs autres pays européens, comme l’Allemagne, la Belgique ou le Royaume-Uni. Depuis une réforme du Règlement de l’Assemblée nationale en 2019 (articles 147 à 151), les pétitions doivent désormais être transmises par voie électronique sur une plate-forme dédiée qui en permet aisément la cosignature.
Comme cela était le cas avant la réforme, le président de l’Assemblée transmet la pétition à une commission, qui est désormais la commission permanente compétente au fond alors qu’il s’agissait antérieurement de la seule commission des lois. La commission nomme un rapporteur qui peut en proposer, soit le classement, soit l’examen, auquel cas la commission publie un rapport reproduisant le texte de la pétition ainsi que le compte rendu de ses débats. Un « feuilleton » indiquant les décisions des commissions est distribué périodiquement aux membres de l’Assemblée permettant à tout député de demander qu’une pétition, si la conférence des présidents statue en ce sens, soit soumise à l’Assemblée.
Mais ces procédures traditionnelles se sont doublées de mécanismes innovants tendant à leur donner plus de vigueur.
Outre qu’il est désormais possible pour la commission d’auditionner leurs premiers signataires, les pétitions qui enregistrent 100 000 signatures sont mises en ligne sur le site de l’Assemblée, ce qui leur donne une visibilité supplémentaire. Celles dépassant 500 000 signataires domiciliés dans au moins trente départements ou collectivités peuvent faire l’objet d’un débat en séance publique, si la conférence des présidents le décide sur proposition du président de la commission compétente ou d’un président de groupe. Le Sénat a également procédé en 2021 à une réforme de son règlement pour introduire des dispositions similaires même si, parangon de la démocratie représentative, il se montre, comme antérieurement, plus réservé sur le champ d’intervention des pétitions. (voir les articles 87 et 88 du Règlement et la section XVIII de l’instruction générale du Bureau)
Quelle est la portée du droit de pétition ?
Si la rénovation du droit de pétition s’inscrit dans un mouvement tendant à mieux associer les citoyens à la vie politique, il ne faut pas se méprendre sur sa signification.
Sa portée a été encadrée tant par les assemblées que par le Conseil constitutionnel. Ce sont les instances parlementaires qui décident des suites à donner aux pétitions, en particulier les conférences des présidents qui choisissent d’organiser ou non un débat, une fois franchi le seuil nécessaire. Quant au Conseil, reprenant un standard de sa jurisprudence depuis 1959 (décision n°59-2 DC du 24 juin 1959), il a rappelé que les commissions, lorsqu’elles examinent une pétition, n’ont qu’un rôle d’information et il a censuré comme contraire à la séparation des pouvoirs la possibilité pour elles de décider d’auditionner des ministres (décision n°2019-785 DC du 4 juillet 2019).
Ensuite, on ne saurait commettre de confusion entre pétition et droit d’initiative législative. Rien n’empêchera des parlementaires de proposer l’abrogation de la loi, actuellement soumise au contrôle de constitutionnalité, une fois qu’elle aura été promulguée. Mais la pétition et le débat sans vote auquel elle donnera vraisemblablement lieu en séance en sont indépendants. On notera qu’une proposition d’un cinquième des parlementaires, première étape d’un referendum d’initiative partagée, serait en tout état de cause irrecevable, puisqu’elle ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une loi adoptée depuis moins d’un an.
Le Parlement devrait se réunir en session extraordinaire à la demande du Premier ministre au cours de la seconde quinzaine de septembre. Mais la conférence ne saurait y inscrire motu proprio un tel débat, l’Exécutif étant seul maitre de l’ordre du jour d’une telle session. Au cours de la session ordinaire qui suivra, il pourra effectivement être inscrit mais au cours d’une semaine parlementaire. Le Conseil constitutionnel a en effet rappelé expressément dans sa décision 785DC précitée que cette inscription ne peut se faire que dans le respect de l’article 48 de la Constitution.
Une seule pétition avait jusqu’à présent dépassé le seuil de 100 000 signataires, en 2023, sur la dissolution de la « BRAV-M », avant d’être classée par la commission des lois. Le changement d’échelle constaté avec le succès de celle concernant la « loi Duplomb » a entrainé un regain des dépôts mais il est encore trop tôt pour savoir si ce mode d’expression est appelé à devenir un instrument essentiel de démocratie participative.