Le Conseil d’Etat a-t-il qualifié le RN « d’extrême-droite » ?
Plusieurs journalistes, internautes et responsables politiques ont affirmé que le Conseil d’Etat aurait qualifié le Rassemblement national (RN) de formation d’« extrême droite », mais aussi La France insoumise (LFI) de formation de « gauche ». Les uns pour s’en féliciter, les autres pour le regretter. Cette controverse procède d’une lecture rapide de la décision rendue ce 11 mars 2024 par le Conseil d’Etat. En réalité, le RN est d’extrême droite parce que l’histoire l’enseigne, pas parce qu’un juge l’aurait décidé.
Par Arnaud Gossement, avocat, docteur en droit, professeur associé à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Le Conseil d’Etat a-t-il été interrogé sur la sensibilité politique des partis présentant des candidats aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024 ?
Non. En premier lieu, le Conseil d’Etat a été saisi d’une circulaire relative aux élections sénatoriales de 2023 et non aux candidats aux élections législatives anticipées de 2024. Plus précisément, il a été saisi, par le Rassemblement national (RN), de la question de la légalité d’une circulaire en date du 16 août 2023 par laquelle le ministre de l’intérieur a écrit aux préfets de manière à préciser les nuances politiques à attribuer aux candidats à ces élections sénatoriales. Le RN a demandé, principalement, l’annulation de cette circulaire en tant qu’elle classe les nuances « RN » dans le bloc de clivage « extrême-droite ». Par une décision n°488378 du 11 mars 2024, le Conseil d’Etat a rejeté cette requête. Nul ne peut savoir si le résultat du contrôle de légalité de la circulaire du 16 août 2023 aurait été le même pour la circulaire du 11 juin 2024 relative aux élections législatives de 2024. Les deux scrutins sont fort différents ainsi que les accords électoraux. La circulaire du 16 août 2023 a ainsi été rédigée alors qu’existait un accord portant création de la « NUPES » (« Nouvelle union populaire, écologique et sociale »). Le ministère de l’intérieur avait tenu compte de cet accord électoral entre partis de gauche pour inscrire, au sein du nuancier politique, dans la catégorie « gauche » les partis réunis par cet accord électoral. En 2024, les partis d’opposition de gauche se sont réunis dans une nouvelle alliance baptisée « Nouveau Front populaire ». La situation politique ayant changé et le ministère classant les partis les uns par rapport aux autres, il est prudent de ne pas gloser trop rapidement sur ce que pourrait être la solution retenue par le Conseil d’Etat si celui-ci doit se prononcer sur le nuancier politique actuel.
En deuxième lieu, le Conseil d’Etat n’a pas procédé à la qualification générale de la sensibilité politique des partis et n’a pas « validé » une analyse politique. Il a très exactement contrôlé la légalité d’une circulaire qui ne comportait pas non plus une telle qualification. Cette dernière ne prétend pas trancher un débat historique et politique. Elle se borne à répartir des partis, non pas en fonction d’un spectre idéologique mais les uns par rapport aux autres, sur un nuancier politique pour les seuls besoins de deux traitements automatisés de données à caractère personnel. En outre, comme le souligne justement la Rapporteure publique, ce nuancier politique se borne à présenter les nuances « susceptibles » d’être attribuées aux partis politiques concernés. Quelle que soit la nuance politique qui leur ainsi attribuée, les partis sont ensuite libres du choix de leur étiquette politique.
Pour quels motifs le Conseil d’Etat a-t-il rejeté la requête du RN ?
Il convient au préalable de souligner que le Conseil d’Etat a exercé un contrôle de « faible intensité » de la légalité de la circulaire du 16 août 2023. Au cas présent, ni la loi ni le décret ne précisent comment classer les partis politiques sur un nuancier. Ce travail est à la charge de l’administration, avant chaque scrutin et elle dispose pour ce faire d’une nécessaire marge d’appréciation. Dans ce contexte, le Conseil d’Etat n’a pas affirmé que le RN est d’extrême-droite : il a jugé que le nuancier politique, établi pour les élections sénatoriales de 2023 et pour les besoins de traitements automatisés de données à caractère personnel, ne comporte pas d’erreur manifeste d’appréciation. Et ce, comme le souligne très justement la Rapporteure publique, car la circulaire ne classe pas les partis politiques en fonction d’un spectre idéologique mais les uns par rapport aux autres. A notre sens, si l’on effectue un tel classement, il est difficile de contester que le Rassemblement national se situait, en 2023, à droite de partis se réclamant de droite et donc à l’extrême-droite. Par ailleurs, la circulaire litigieuse ne méconnaît pas le principe de sincérité du scrutin puisque, comme le relève la Rapporteure publique dans ses conclusions, le Rassemblement national est tout à fait libre d’utiliser l’étiquette qu’il souhaite. La circulaire du 16 août 2023 ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité de traitement des candidats car les formations dont ils se prévalent étant différentes, il est légal que leur traitement sur le nuancier politique soit également différent. La Rapporteure publique relève, à notre sens à raison, que la différence de situation repose sur l’existence d’un accord politique entre les partis réunis au sein de la « Nouvelle union populaire, écologique et sociale » (NUPES). De telle sorte que les auteurs de la circulaire étaient en droit de classer ces partis au sein du bloc « gauche » plutôt que le bloc « extrême gauche ».
Est-il regrettable que le Conseil d’Etat ne qualifie pas la sensibilité politique d’un parti ou d’un candidat ?
Prenons une hypothèse encore fictive mais pas tout à fait saugrenue : que se passerait-t-il si la droite républicaine disparaissait ? Le RN pourrait alors ne plus avoir de voisin à droite sur le nuancier politique du ministère de l’intérieur. Faudra-t-il alors considérer que la place du RN a changé sur le spectre idéologique parce qu’elle aurait changé sur le nuancier politique ? Il convient de s’interroger sur le motif pour lequel tant de commentaires ont indiqué, plus ou moins directement, que le Conseil d’Etat aurait validé une analyse politique selon laquelle le RN est d’extrême droite et LFI de gauche. Le souhait d’utiliser un argument d’autorité est sans doute important, mais cette stratégie est fragile et peut aussi alimenter une critique paradoxale d’une position politique que le juge n’a pourtant pas eue. Le juge administratif n’est pas et ne peut bien sûr pas être arbitre de ce type de débats politiques. A l’évidence, il appartient d’abord aux électeurs, aux historiens, aux spécialistes de sciences politiques (notamment) de se prononcer.