Par Carole Hardouin-Le Goff, Maître de conférences à l’université Paris Panthéon Assas, Responsable du Master Droit parcours Protection de l’enfance.

Quelles sont les origines d’un tel rapport d’information ?

Le rapport d’information sur la définition pénale du viol s’inscrit dans une période clé au parlement en ce qui concerne la lutte contre les violences faites aux femmes. Il s’intercale en effet entre un précédent rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes du Sénat, déposé le 6 décembre 2024, sur le consentement et la définition pénale du viol et un rapport du 28 janvier 2025 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur une proposition de loi du 3 décembre 2024 visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Dans un contexte de tergiversations, depuis plusieurs années en France, sur l’intégration du non consentement dans la définition du viol, une mission d’information transpartisane a été mise en place dès décembre 2023 par la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Cette mission fait suite à l’opposition ferme de la France, lors de la préparation d’une directive européenne du 14 mai 2024 relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui, dans un souci d’harmonisation des législations européennes, intégrait le non consentement dans la définition européenne du viol.

Le rapport d’information convainc-t-il quant à la nécessité de modifier la définition du viol en droit positif français ?

Selon le rapport d’information, s’il est fondamental qu’une norme soit posée dans la définition du viol, celle du rapport non consenti, le droit ne résoudra cependant pas tout, en raison de cette « culture du viol » dont le procès des viols de Mazan atteste et de la vulnérabilité statutaire et sociale qui caractérise majoritairement les victimes de viol. S’ajoutent des délais de traitement trop longs, le manque de moyens de la chaîne judiciaire et un taux de condamnation extrêmement faible au vu du nombre de plaintes déposées, ce qui suscite un sentiment d’impunité chez les violeurs. L’échec de la protection des victimes est donc ici dénoncé, de même que leur victimisation secondaire due à la concentration d’interrogatoires et d’investigations sur la victime dont la parole est questionnée. La récurrence de nombreux stéréotypes est, de plus, attribuée au silence de la loi sur le consentement dans la définition des agressions sexuelles, alors même qu’une telle insertion dans le texte d’incrimination ne serait finalement qu’une mise en conformité avec ce qui se passe en pratique, aux dires de magistrats entendus par la mission d’information. Certaines réalités sont encore refoulées et, dès lors, moins bien traitées judiciairement, en l’occurrence le fait que le viol soit majoritairement un crime de proximité. Et puis, il y a ces zones grises auxquelles l’intégration de l’absence de consentement mettraient fin car, pour les membres de la mission d’information, s’il y a zone grise, alors il y a déjà absence de consentement. Le contexte international incite enfin à réformer la définition du viol, comme l’ont fait, en ce sens, nombre de pays voisins, au moins pour rendre notre législation conforme à la convention d’Istanbul que nous avons ratifiée. Par ailleurs, le rapport insiste sur la non remise en cause de la présomption d’innocence puisqu’en premier lieu, le viol ne reposerait pas sur une présomption de non consentement de la victime et, en second lieu, il appartiendrait toujours au parquet de rapporter la preuve de la réunion de tous les éléments constitutifs du viol. De même, il n’y a pas lieu de craindre un renversement de la charge de la preuve sur la victime puisqu’au contraire, la réforme vise à corriger la pratique actuelle et à limiter la victimisation secondaire. Quant aux inquiétudes des féministes qui scandent « les pièges du consentement », des garde-fous ont été précisément pensés dans le rapport d’information, en l’occurrence la prise en compte des circonstances dans lesquelles le consentement est recueilli et de la situation dans laquelle se trouve la plaignante.

Comment le rapport d’information apprécie-t-il les dernières solutions jurisprudentielles sur le viol ?

Le rapport note l’importance de la jurisprudence en la matière, qu’il qualifie de variée et parfois d’innovante, mais qui peinerait toujours à combler le silence de la loi sur la notion de consentement. Y est clairement opposée la tendance de la jurisprudence à une interprétation extensive de la matérialité du viol (avec l’enrichissement de la notion de contrainte et de surprise) au contraire d’une approche plus restrictive s’agissant de son intentionnalité. Car seul le fait pour l’auteur d’ignorer sciemment une absence de consentement claire et non contestable permettrait de retenir l’intention coupable. En revanche, l’indifférence au consentement ne caractériserait pas une telle intentionnalité, ce qu’il faudrait légalement autoriser. En outre, l’absence de consentement ne suffit pas à caractériser un viol, à défaut de recours à la violence, contrainte, menace ou surprise. Or, selon la mission d’information, dans les cas de sidération, l’intentionnalité de l’auteur d’outrepasser son refus est bien plus difficile à rapporter. S’agissant de la matérialité du viol, en l’occurrence des éléments de contrainte ou de surprise, un manque de systématisation et de constance absolue de la part des juges est regretté. Pour contrer de telles fluctuations jurisprudentielles, la mission parlementaire estime nécessaire d’introduire l’absence de consentement dans le texte d’incrimination du viol. La mission regrette donc l’impuissance de la jurisprudence, malgré ses innovations, à compenser le silence de la loi en matière de consentement, ce qui est à la source, selon elle, d’un trop grand nombre de classements sans suite, d’ordonnances de non-lieu, de verdicts parfois aléatoires, et crée une inégalité des victimes devant la justice pénale.

Quelle est la portée d’un tel rapport d’information ?

La portée est conséquente puisqu’une proposition de loi qui intègre l’absence de consentement dans la définition du viol en résulte. La proposition de loi encadre la notion même de consentement, lequel doit avoir été donné librement, doit être spécifique et peut être retiré avant ou pendant l’acte sexuel. Il doit être apprécié au regard des circonstances environnantes et ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance de la personne. Il peut être exclu si l’acte sexuel est commis notamment avec violence, contrainte, menace ou surprise et en cas d’exploitation d’un état ou d’une situation de vulnérabilité de la personne. L’état de sidération ou de vulnérabilité, de même que la signature d’un contrat préalable comme cela peut être le cas dans l’industrie pornographique…, ne seraient donc plus des obstacles à la preuve du défaut de consentement.