Par Hélène Pauliat, professeure de droit public à l’université de Limoges

La question mérite d’être posée à l’heure où le maintien de l’écriture inclusive dans les textes suscite des débats passionnés. Lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts, le président de la République déclarait : « Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets ou des choses pour le rendre visible ». Mais une grande partie de la classe politique et de la société estiment que l’écriture inclusive donnerait une réelle visibilité aux femmes. Que disent alors les textes ?

Un constat : pas de textes consacrant l’usage de l’écriture inclusive, mais des textes proscrivant cet usage

L’écriture inclusive ne figure dans aucune disposition de textes législatifs ou réglementaires, pourtant très nombreux en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. La pratique s’est instaurée, progressivement, dans les documents publics et privés. Qui ne l’utilisait pas était considéré comme admettant que le masculinisme et le patriarcat véhiculé par la langue de Vaugelas.

Rapidement pourtant, les difficultés de son utilisation ont conduit à proscrire son utilisation dans certaines situations : ainsi la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française préconise-t-elle, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel, « de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, qui désigne les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. Outre le respect du formalisme propre aux actes de nature juridique, les administrations relevant de l’Etat doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme ».

Prolongeant cette analyse, la circulaire du ministre de l’Education nationale du 5 mai 2021 souligne qu’il convient « de proscrire le recours à l’écriture dite « inclusive », qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique. L’adoption de certaines règles relevant de l’écriture inclusive modifie en effet le respect des règles d’accords usuels attendues dans le cadre des programmes d’enseignement ». En outre, selon la circulaire, cette écriture, qui se traduit par la fragmentation des mots et des accords, constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit et constitue un obstacle pour l’accès à la langue d’enfants confrontés à certains handicaps ou troubles des apprentissages.

Plus récemment, le Sénat a adopté, le 30 octobre 2023, une proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture inclusive, qui modifie la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française ; serait nul de plein droit tout acte juridique usant de l’écriture dite inclusive (documents administratifs, règlements intérieurs, contrats de travail…). C’est donc une interdiction pure et simple de l’écriture inclusive que souhaite consacrer la chambre haute.

Quant à la jurisprudence, elle tente un équilibre au regard du droit. Ainsi le tribunal administratif de Paris avait décidé qu’il ne résulte d’aucun texte ou de principe que l’écriture inclusive ne relève pas de la langue française. Le Conseil d’Etat, dans une affaire où la question principale ne portait pas sur ce point, estimait que l’utilisation sur deux mots de l’écriture inclusive ne méconnaissait pas l’article 2 de la Constitution, selon lequel La langue de la République est le français. Il a également jugé que la circulaire précitée de 2017 ne saurait être regardée comme ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, en méconnaissance de l’article 1er de la Constitution ou des textes européens.

Et pour la première fois, un juge du fond a annulé une délibération du conseil d’administration d’une université au motif que la rédaction d’un texte en écriture inclusive atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme.

Une réalité : faire de l’usage de l’écriture inclusive un vecteur idéologique confortable

Une partie de la gauche a fustigé la proposition de loi du Sénat, en l’estimant inconstitutionnelle, rétrograde et réactionnaire… La question n’est pas là. La société semble estimer, de plus en plus fréquemment, que les mots suffisent pour changer une culture ou des pratiques ; pire, le simple fait d’utiliser l’écriture inclusive permettrait à une entité de considérer qu’elle remplit ses obligations de parité. Le danger réside dans cette volonté supposée de rendre visibles les femmes derrière une écriture largement illisible, alors que les mesures concrètes sont laissées dans l’ombre.

Le débat avait commencé avec la féminisation des noms de fonctions (Circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de Laurent Fabius, peu appliquée ; Circulaire du 6 mars 1998 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre de Lionel Jospin), à laquelle le Conseil d’Etat et l’Académie française n’ont rien trouvé à redire.

Ainsi, plutôt que de se donner bonne conscience par l’utilisation de néologismes ou de termes peu lisibles, mieux vaudrait prendre à bras le corps la question de l’égalité femmes-hommes, principalement dans le déroulement des carrières et dans les rémunérations, sur laquelle le législateur revient (trop) souvent. Faire reculer le plafond de verre en informant sur les métiers, les responsabilités, changer les modes de raisonnement, la culture, donner l’envie aux femmes de se lancer dans des carrières traditionnellement réservées aux hommes, une telle politique prend plus de temps, plus de réflexion, plus d’engagement que pratiquer (et s’en satisfaire) une écriture devenue illisible.