Par Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris

Jacques Chirac, Stéphanie de Monaco, Claire Chazal, Kate Middleton, Christophe Dechavanne et maintenant Fabien Galthié, on pourrait allonger encore la liste… Ils sont nombreux à avoir vu s’afficher leurs photos, nus ou quasi-nus, sur les Unes des magazines people sans aucune autorisation. C’est presque un classique ! Cette fois, c’est donc l’entraîneur de l’équipe de France de rugby fraichement éliminée de son Mondial organisé en France, qui s’est fait surprendre dans le plus simple appareil sur une plage normande aux côtés de sa compagne Héléna Noguerra, la photo s’étalant en Une du n°1873 de l’hebdomadaire Voici, en date du 27 octobre 2023. Qu’il y ait ici une transgression, comme cela a été le cas pour les autres personnalités citées, c’est fort probable, mais pour autant ces situations juridiques en apparence simples sont plus complexes qu’elles n’y paraissent.

Rappelons tout d’abord que les intéressés se trouvant sur une plage publique, la captation et la publication de leur image n’est en rien une infraction pénale, les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal étant réservés aux captations réalisées dans des lieux privés auxquels on ne peut accéder librement. Quant au nouvel article 226-2-1 du Code pénal destiné à lutter contre le « revenge porn », certains éléments constitutifs du délit sont manquants, ce qui conduit à exclure son utilisation.

Il s’agit donc exclusivement d’un litige de nature civile, fondé sur l’article 9 du Code civil, dans lequel le seul enjeu est celui de la réparation du préjudice moral subi par le couple du fait de ces atteintes à la vie privée et au droit à l’image, avec l’intervention éventuelle d’un juge des référés, si les demandeurs choisissent cette voie judiciaire, largement ouverte depuis des arrêts du 12 décembre 2000 (Civ. 1re, 12 déc. 2000 ; Civ. 1re, 12 déc. 2000), selon lesquels « la seule constatation de l’atteinte au respect de la vie privée et à l’image caractérise l’urgence et ouvre droit à réparation ». Cette affirmation est loin d’être exempte de critiques, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter ici. Quant à se lancer dans un référé pour tenter d’obtenir une interdiction, les conseils du couple l’ont vraisemblablement exclu très vite, tant il est vrai que ce type de procédure échoue de manière quasi systématique sur le terrain de la proportionnalité, a fortiori quand il s’agit comme en l’espèce d’un lieu public, d’une personnalité publique au cœur de l’actualité et d’un couple qui n’a rien de clandestin.

Il revient donc au juge civil d’arbitrer le dommage résultant de ce type de violation des droits de la personnalité en procédant à une balance des intérêts, qui l’amène à soupeser les éléments atténuateurs et aggravants du préjudice moral subi pour en tirer un montant corrélé le mieux possible à ces différents facteurs, sachant qu’en ce domaine, la jurisprudence a posé pour principe depuis 1996 que le préjudice est inhérent à la faute (Civ. 1re, 5 nov. 1996, JCP 1997. II. 22805, note J. Ravanas). Mais au-delà du premier euro de réparation, l’appréciation in concreto s’impose. La Cour européenne des droits de l’homme s’est efforcée de guider les juges internes par 2 arrêts fondamentaux rendus en Grande chambre le 7 février 2012 (CEDH 7 févr. 2012, Axel Springer AG c/Allemagne ; CEDH 7 févr. 2012, Von Hannover c/Allemagne), selon lesquels il doit être tenu compte des critères suivants : la contribution de la publication en cause à un débat d’intérêt général ; la notoriété de la personne visée et l’objet de la publication ; le comportement antérieur de la personne concernée ; le contenu, la forme et les répercussions de la publication ; les circonstances de la prise des photos ou le mode d’obtention des informations et leur véracité, selon la nature de l’atteinte ; et enfin la gravité de la sanction. Interviennent donc toute une série de nuances qui excluent d’envisager cette matière de manière manichéenne. Ces affaires se situent toujours dans une gamme de gris.

Concrètement, si le sujet d’intérêt général est en l’occurrence compliqué à soutenir, bien qu’il s’agisse quand même de la phase de décompression du responsable de l’équipe nationale après sa sortie prématurée de la Coupe du monde de rugby, les titres People tentent souvent de se situer dans le sillage d’un évènement d’actualité, pour attirer l’affaire dans cette orbite. C’est ainsi que Voici évoque la « troisième mi-temps » du sélectionneur, manière de raccrocher son article au sujet sportif du moment.

Mais ce sont plutôt d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte pour minimiser ou au contraire aggraver la transgression. Le premier est évidemment celui du caractère public de la personnalité en cause, qui doit par définition admettre une réduction de sa sphère secrète, a fortiori lorsqu’il se sait au cœur de l’actualité. En l’occurrence se mettre à nu sur une plage publique alors que n’importe quel badaud est équipé d’un smartphone permettant de capturer la scène est une prise de risque majeure qui ne peut être que consciente. Le juge s’interrogera ensuite sur la sensibilité des intéressés par rapport à l’affichage de la nudité. On sait par exemple que Fabien Galthié a eu un rôle dans le lancement des fameux calendriers des « dieux du stade », ce qui ne montre pas de sa part une pudeur maladive. On scrutera ensuite les images qui seront d’autant plus préjudiciables que les organes sexuels de l’intéressé seront dévoilés. On recherchera également si le couple est déjà public ou au contraire clandestin, et mieux encore, s’il s’est déjà médiatisé lui-même, ce qu’on appelle dans notre jargon d’audience sa « complaisance », élément qui a une influence considérable et d’ailleurs logique : celui qui affiche volontiers sa vie privée souffre nécessairement moins de la publicité autour de celle-ci, par comparaison avec celui qui la garde jalousement secrète vis-à-vis du public. Intervient ici la prise en compte de toutes les stratégies de communication développées par les vedettes pour entretenir leur notoriété, qui leurs reviennent souvent en boomerang.

C’est de l’analyse concrète de ces critères (et d’autres le cas échéant laissés à l’imagination des plaideurs), que le juge tirera un chiffre de préjudice moral qui dépasse rarement quelques milliers d’euros, censé réparer la souffrance subie par les intéressés pour avoir vu leur vie privée et leur image publiées sans autorisation. Ce chiffre ne manquera pas d’interroger : insuffisant pour les uns car nullement dissuasif ; excessif pour les autres car le préjudice est tout au plus symbolique, les sommes attribuées étant en outre exonérées d’impôts et de charges sociales, de sorte qu’il faut les quadrupler si on veut les comparer avec une rémunération. Ce débat dure depuis plus de 50 ans et n’est pas près de s’éteindre.

Des expérimentations ont été tentées par le passé pour changer de méthodologie. Ainsi, dans les années 90, le tribunal de Nanterre s’était lancé dans une approche par la récidive : plus un titre people récidivait par rapport à une personnalité donnée, et plus l’indemnisation augmentait, au point d’arriver à des montant qui étaient totalement décorrélés des préjudices réels. Lorsque le tribunal s’est rendu compte qu’il accordait – tous dossiers confondus – 3 millions de francs (450.000 euros environ) par an à chacune des princesses de Monaco, montants exonérés de toutes taxes et charges sociales, il est redescendu dans la fourchette habituelle, constatant l’impasse de cette expérience qui conduisait manifestement à un enrichissement injustifié des intéressées. D’autres propositions ont vu le jour comme le concept de la faute lucrative, ou encore bien entendu la mise en avant de la fonction de peine privée qui doit être attribuée pour partie aux indemnités dans cette matière, mais ce fut à chaque fois un échec. Le droit positif reste donc pour l’heure têtu : il s’agit d’indemnisation d’un préjudice, exercice qui ne saurait conduire à l’enrichissement de la victime selon un principe général du droit de la réparation. Pour ce faire, il n’existe à notre sens aucune autre façon de procéder que l’approche par la balance des intérêts.