Un député européen peut-il librement choisir ses assistants parlementaires ?
Au-delà des procès liés aux assistants des eurodéputés du Modem et RN, le Parlement européen s’est opposé - selon un article du Canard enchainé relayé par Le Monde - au choix d’un assistant parlementaire par un député européen, en l’occurrence, le président du RN, M. Bardella. Une situation qui contrevient au principe du libre choix des assistants parlementaires.
Par Didier Blanc, Professeur de droit public, Université Toulouse Capitole, Vice-président de l’Association française d’études européennes
Un député européen peut-il choisir librement ses assistants parlementaires ?
La décision de 2005 du Parlement européen relative au statut de ses membres pose clairement en son article 21 le principe du libre choix d’un assistant parlementaire par tout député européen. Toutefois, sa portée varie selon la catégorie d’assistants concernés.
On trouve d’une part les assistants accrédités, c’est-à-dire en poste dans l’un des trois lieux de travail du Parlement européen (Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg). S’ils sont au service de leur député européen, ils bénéficient d’un contrat direct avec le Parlement européen et relèvent ainsi du régime applicable aux autres agents de l’Union. Si bien que le député européen choisit son assistant parlementaire, mais il ne le rémunère pas et ne contracte pas avec ce dernier.
La seconde catégorie est formée d’autre part des assistants locaux qui sont dans une position symétriquement inverse en ce sens qu’ils bénéficient d’un contrat de travail suivant les termes fixés par la législation de l’État membre d’élection du député européen – pour M. Bardella, le droit français. Il revient ensuite au Parlement européen de prendre à sa charge les frais afférents à l’activité de l’assistant parlementaire local, ainsi désigné car œuvrant dans l’État membre et non dans l’institution européenne. D’évidence cette localisation crée les conditions favorables à des détournements de fonds publics européens en facilitant le caractère fictif de l’emploi de certains assistants locaux, d’autant que le cadre territorial français est particulièrement étendu. Censés agir dans la circonscription du député européen, les assistants locaux voient leur régime fixé par le droit national, considérant qu’ils sont plus au service de leur député que du Parlement européen. Il y a là un biais qui mériterait d’être éclairci le cas échéant pour unifier le statut des assistants parlementaires européens, quel que soit leur affectation. En tout état de cause, le Parlement européen n’est pas démuni s’agissant du choix des assistants.
Le Parlement européen peut-il exercer un contrôle quant au choix du député européen ?
En leur qualité d’agents de l’Union européenne les assistants accrédités doivent remplir certaines conditions fixées par le règlement applicable aux autres agents. Outre la maitrise a minima d’une langue étrangère, ils doivent en particulier avoir atteint au choix : un niveau d’enseignement supérieur sanctionné par un diplôme ; un niveau d’enseignement secondaire sanctionné par un diplôme donnant accès à l’enseignement supérieur et une expérience professionnelle appropriée de trois années au moins ou lorsque l’intérêt du service le justifie, une formation professionnelle ou une expérience professionnelle de niveau équivalent. Il est parfaitement clair que dans l’hypothèse où un candidat ne satisfait pas les conditions requises, au demeurant plutôt souples, le Parlement européen est en droit de s’y opposer ; pas d’Incitatus parmi le personnel de l’Union !
Rien de tel pour les assistants locaux, à cette réserve près que les mesures d’application du statut du député européen arrêtées par le bureau de l’assemblée exigent que tout contrat de travail ou de prestation de service conclu par un député européen doit obligatoirement être géré par un tiers payant. En vertu des obligations pesant sur ce tiers payant et posées par le Parlement européen, celui-ci contrôle l’exercice de la fonction d’assistant parlementaire ne serait-ce qu’en rappelant cette évidence qu’il prend seulement en charge « les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liés à l’exercice du mandat parlementaire des députés ». Suivant les informations fournies par la presse, le Parlement européen, son bureau selon toute vraisemblance, s’est opposé au choix fait par M. Bardella en raison en particulier de la quotité de travail du futur assistant, laquelle en deçà d’un certain seuil conduit à douter de sa réalité. Le caractère préventif du refus opéré est en soi problématique. Aussi le député européen concerné est-il en droit de le contester.
Comment assurer la défense du libre choix des députés européens ?
Non seulement l’Union européenne est fondée sur les valeurs de l’État de droit au sens de l’article 2 TUE, mais elle est tout autant une Communauté, puis une Union de droit selon la Cour de justice. De sorte qu’un contrôle sur la légalité du refus du Parlement européen peut sans mal être porté devant le juge compétent, en l’occurrence le Tribunal de l’Union dans un délai de deux mois. Tel semble être le cas, comme l’indique l’inscription au greffe du tribunal, d’une affaire T-623/24, Bardella et autres contre Parlement européen. Sans préjuger de sa recevabilité et des suites procédurales, le Tribunal aura l’occasion de déterminer avec précision la liberté de choix du député européen. A ce titre, on ne dira jamais assez l’apport contentieux des membres du Front national, puis du Rassemblement national au droit parlementaire européen, dans un passé récent comme pour l’avenir. Si pour l’essentiel leurs multiples prétentions échouèrent devant les juridictions de l’Union, on se risque ici, au regard des faibles éléments dont on dispose, à un pronostic inverse.