Quels sont les scénarios envisageables après la démission de Sébastien Lecornu ?
Quelques heures après l’annonce d’une première partie de son gouvernement, Sébastien Lecornu a remis sa démission à Emmanuel Macron lundi 6 octobre, soit 27 jours après sa nomination. Après acceptation de cette démission, ce dernier lui a tout de même demandé, le même jour de tenter une nouvelle négociation Quels sont les scénarios possibles alors qu’une nouvelle période d’incertitude s’ouvre ?
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Par La rédaction.
Les ministres fraîchement nommés sont-ils en charge des affaires courantes ?
Le décret du 5 octobre 2025 relatif à la composition du Gouvernement a été publié au Journal officiel, rendant officielle la nomination des ministres, y compris celle de Bruno Le Maire.
« L’acte officiel, signé par le Président de la République et publié au Journal officiel, ne laisse place à aucun doute, les membres du gouvernement ont bien été ministres, ne serait-ce que quelques heures, entre dimanche et lundi » souligne Philippe Blachèr, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3 avant d’ajouter qu’il s’agit d’une « situation singulière, puisque ce gouvernement, nommé dans les formes, n’aura jamais exercé physiquement ses fonctions avant sa démission ».
« Le gouvernement aura donc duré un seul jour, mais la situation juridique est claire. Hormis le cas où la chute est provoquée par un vote parlementaire (Conseil d’Etat 19 octobre de la démission présentée 1962, Brocas), ce n’est pas la présentation de la démission mais son acceptation par le Président de la République qui conditionne l’effectivité de la démission (Conseil d’Etat décision du 20 janvier 1988 commune de Pomerol, n° 62900 confirmée pour un décret d’extradition 10 mars 2025 n° 497648) » précise le constitutionnaliste Jean Pierre Camby, qui ajoute : « il n’y a donc pas de doute juridique sur l’existence du gouvernement Lecornu, le 5 octobre, et sur le fait qu’il expédie les affaires courantes dès le 6 octobre.
Les ministres fraîchement nommés et démissionnaires, se retrouvent donc en charge d’expédier les affaires courantes. Cette fois, cette phase transitoire revêt un caractère inédit : un gouvernement qui démissionne avant même d’avoir exercé.
Pour rappel, la gestion des affaires courantes est « une notion qui relève du droit administratif, qui est apparue dans un arrêt de 1952 « Syndicat régional des quotidiens d’Algérie (GAJA n° 60) qualifié de « principe traditionnel de droit public » qui limite les compétences du gouvernement démissionnaire aux dispositions nécessaires pour assurer la « continuité nécessaire des services publics » : mesures urgentes, fonctionnement des administrations, situations de compétence liée etc. Elle trouve un écho constitutionnel dans la « continuité de la vie nationale » (Conseil constitutionnel 30 décembre 1979) qui impose que toutes les mesures soient prises pour disposer d’un texte budgétaire au 31 décembre » précise Jean-Pierre Camby.
Le Conseil d’État exclut, de façon générale, les mesures sortant d’une gestion ordinaire, sauf si elles sont dictées par un impératif constitutionnel (avis du CE du 29 juillet 2024 n° 408876 sur l’indemnisation du chômage). Mais ici cette règle de compétences sera rendue plus complexe par l’absence de décrets de répartition des compétences et par la démission spécifique de Bruno Le Maire.
Le gouvernement, bien que nommé, n’était d’ailleurs pas complet : seuls les ministres d’État figurent dans le décret. Les secrétaires d’État et ministres délégués n’ont pas encore été désignés. Pour Philippe Blachèr, une question reste en suspens : qui, aujourd’hui, assure la continuité de l’action administrative dans ces portefeuilles ? « Faute de titulaires nommés, ce sont logiquement les ministres démissionnaires précédents qui continuent d’expédier les affaires courantes, une complexité supplémentaire dans un contexte déjà incertain ».
Vers une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ?
Depuis le 8 juillet, le Président de la République dispose à nouveau de la possibilité de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, car l’article 12 de la Constitution interdit la dissolution dans le délai d’un an suivant les élections résultant d’une dissolution. Cet outil constitutionnel, constitue l’un des leviers dont dispose discrétionnairement le chef de l’État pour dénouer une crise politique ou institutionnelle. Juridiquement, il n’a pas à motiver sa décision, qui est dispensée de contreseing (article 19 de la Constitution).
Plusieurs responsables politiques ont par ailleurs appelé le président de la République à « dissoudre l’Assemblée nationale », notamment Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Si une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale était effectivement prononcée, de nouvelles élections législatives devraient être organisées. Armel Le Divellec, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, précise que, conformément à l’article 12 de la Constitution, « les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ».
Le constitutionnaliste souligne que, si les délais observés lors des précédentes élections législatives, à la suite de la dissolution surprise, avaient été relativement courts, on peut espérer que cette fois-ci, le calendrier soit moins resserré. Si la dissolution intervenait dans les prochains jours, le scrutin pourrait donc se tenir au plus tard à la fin du mois de novembre.
Les élections se dérouleraient de manière classique, selon le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, et la nouvelle Assemblée se réunirait le deuxième jeudi suivant le scrutin. Selon Armel Le Divellec, le gouvernement démissionnaire actuel pourrait tout à fait organiser ces élections, rappelant que cela avait déjà été le cas en 1962 avec le gouvernement Pompidou.
Vers une démission ou une destitution d’Emmanuel Macron ?
Plusieurs voix se sont à nouveau élevées en faveur de la démission du président de la République. David Lisnard, maire de Cannes, estime que « l’intérêt de la France commande qu’Emmanuel Macron programme sa démission ». De son côté, Éric Coquerel a déclaré sur France Inter qu’« Emmanuel Macron peut aussi comprendre, au nom de l’intérêt général, qu’il doit démissionner ».
Si Emmanuel Macron décidait de démissionner, bien qu’il ait réfuté à plusieurs reprises cette idée, l’article 7 de la Constitution précise que l’intérim serait alors assuré par le président du Sénat, Gérard Larcher. Le même article prévoit qu’une élection doit être organisée entre vingt et trente-cinq jours après l’ouverture de la vacance du pouvoir.
La députée Clémence Guetté a quant à elle affirmé sur X qu’« Il n’est plus possible de faire autrement : le président de la République doit partir. Qu’il le fasse de lui-même ; sinon, nous le ferons partir. »
Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs demandé sur X à ce que soit examinée immédiatement la motion de destitution déposée par son groupe sur le fondement de l’article 68 qui prévoit que le président de la République « ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Pour Jean-Pierre Camby, « ces conditions ne seraient réunies que dans le cas où le Président ne nommerait pas de Premier ministre ou de gouvernement pendant un temps très long, incompatible avec le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».
Selon le Professeur Philippe Blachèr, la destitution ne serait pas une solution à la crise, mais une sanction.
Vers un gouvernement technique ?
La notion de gouvernement technique ne correspond ni à une catégorie juridique, ni à une réalité politique.
Il s’agit d’une « expression couramment utilisée dans les pratiques parlementaires à l’étranger, le gouvernement technique désigne une équipe ministérielle à vocation transitoire, souvent mise en place lors de crises politiques ou institutionnelles marquées par l’impossibilité pour les partis de s’entendre sur une coalition » explique le Professeur Armel Le Divellec.
Dans ce cas, le pays peut faire appel à des personnalités extérieures au Parlement : hauts fonctionnaires, experts, ou figures reconnues pour leur neutralité politique. Ces gouvernements, dépourvus d’étiquette partisane, sont généralement chargés d’assurer la continuité de l’État en période de transition.
« En Autriche, par exemple, la présidente de la Cour constitutionnelle fédérale avait été désignée pour diriger un tel gouvernement, afin d’éviter que le pouvoir en place n’organise lui-même les élections. Ce gouvernement technique avait géré les affaires courantes, avec un mandat limité dans le temps et une marge d’action restreinte » précise Armel Le Divellec.
« La crise, qui atteint son paroxysme, est politique, la solution l’est nécessairement » conclut Jean-Pierre Camby.