Démission et nomination d’un Premier ministre : quelles sont les règles ?
Conformément à l’usage, le Premier ministre a présenté, au lendemain des législatives la démission du Gouvernement. En l’état, le Président de la République a souhaité qu’il reste en fonction pour assurer la stabilité des institutions, le temps d’être en mesure de procéder à la nomination d’un nouveau Premier ministre susceptible d’être soutenu par l’Assemblée.
Par Anne Levade, Professeure de Droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Gabriel Attal était-il tenu de présenter sa démission au Président de la République à la suite du résultat des élections législatives ?
La démission du Premier ministre ou, plus exactement, la remise par le Premier ministre de la démission du Gouvernement au lendemain des élections législatives n’est imposée, ni prévue par la Constitution. En effet, la Constitution n’impose au Premier ministre de présenter la démission du Gouvernement que dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale aurait adopté une motion de censure ou refusé de lui voter la confiance ; c’est l’objet de l’article 50.
En revanche, un usage républicain veut que, après des élections nationales – c’est-à-dire l’élection présidentielle et les élections législatives – le Premier ministre présente la démission de son Gouvernement. Cette pratique s’est forgée progressivement sous la IIIe République, même si elle était alors assez évolutive. Elle était implicitement confirmée par la Constitution de 1946 qui prévoyait, à son article 45, que « au début de chaque législature, le Président de la République, après les consultations d’usage, désigne le Président du conseil ».
A partir de 1958, alors même que le texte de la Constitution est muet, l’usage est devenu systématique au point que l’on peut parler d’une « convention de la Constitution ». Cela s’explique notamment par l’originalité du régime : en cas d’échec aux élections législatives, le Gouvernement démissionne puisque, régime parlementaire oblige, il pourrait être renversé par une assemblée politiquement hostile et, en cas de victoire, la démission renvoie au fait que le Premier ministre et le Gouvernement qu’il a proposé tiennent leur légitimité du Président de la République qui, aux termes de l’article 8 de la Constitution, est seul compétent pour les nommer.
Quelle est la marge de manœuvre du Président lorsque son Premier ministre démissionne ?
Le premier alinéa de l’article 8 de la Constitution prévoit que le Président de la République met fin aux fonctions du Premier ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. On peut d’emblée en tirer deux conclusions. D’une part, le décret portant cessation des fonctions d’un Gouvernement est signé par le seul Président puisqu’il s’agit, symétriquement à la nomination du Premier ministre, d’un pouvoir propre. D’autre part, il ne semble pas qu’un Président puisse définitivement refuser la démission présentée par un Premier ministre qui souhaite démissionner ; en témoigne, par exemple, la démission du Gouvernement de Jacques Chirac en août 1976.
Mais la pratique enseigne que le Président peut différer les effets de la démission.
D’abord, et dans la plupart des cas, le Président accepte immédiatement la démission et procède dans la foulée soit à la nomination du même Premier ministre – par exemple lorsque les élections législatives ont lieu dans la foulée de l’élection présidentielle ou, comme en 1962, lorsque le Gouvernement sort renforcé des élections législatives – soit à la nomination d’un nouveau Premier ministre, en particulier lorsque le Président a suggéré, voire demandé, au Premier ministre de démissionner. Il n’est alors pas rare que le décret de cessation des fonctions d’un Gouvernement et le décret de nomination d’un Premier ministre soient signés puis publiés ensemble.
Ensuite, si la démission a été provoquée par une motion de censure, le Président peut dissoudre l’Assemblée en réplique. La dissolution est alors réputée rétablir le Gouvernement qui a été renversé dans la plénitude de ses attributions le temps que soient organisées les élections législatives au lendemain desquelles, par usage, le Gouvernement démissionnera de nouveau. C’est la situation que l’on a connue en 1962.
Enfin, et cela renvoie à la situation actuelle, le Président peut demander au Premier ministre rester en place provisoirement pour assurer la stabilité ou la continuité le temps de désigner un nouveau Premier ministre. En ce cas, le Gouvernement est maintenu dans la plénitude de ses attributions et compétences même si, politiquement, il peut lui être difficile de prendre des initiatives. Une autre solution est d’accepter la démission du Gouvernement et, par conséquent, de prendre le décret de cessation de ses fonctions mais de lui demander d’expédier les affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau Gouvernement. A l’heure où sont écrites ces lignes, le Gouvernement Attal se trouve dans la première de ces deux situations, mais la lettre aux Français publiée par Emmanuel Macron le 10 juillet laisse penser qu’il pourrait, à plus ou moins brève échéance, devenir un gouvernement d’affaires courantes.
Le Président de la République est-il tenu de proposer le poste de Premier ministre à la force politique arrivée en tête, en l’occurrence le Nouveau Front Populaire ?
Il faut d’abord rappeler que, aux termes de l’article 8 de la Constitution, la nomination du Premier ministre est un pouvoir propre du Président de la République. Cela signifie que le Président choisit librement le chef du Gouvernement et qu’il n’est, constitutionnellement, tenu à rien, d’autant qu’il n’existe pas de procédure d’investiture par le Parlement.
Évidemment, cette liberté de choix est tributaire de la configuration politique de l’Assemblée nationale puisque, s’il n’a pas à être investi, le Gouvernement peut toujours être renversé. La liberté de choix du Président est donc absolue en période de concordance des majorités et, à l’inverse, très contrainte en cas de cohabitation.
Les élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers provoquent une situation inédite : ni concordance des majorités, ni cohabitation faute de majorité absolue à l’Assemblée et pas même de majorité relative permettant d’identifier une formation politique qui aurait vocation à conduire le futur Gouvernement. Il n’est pas anormal que la formation ayant obtenu le plus grand nombre de sièges réclame de gouvernement, mais dès lors qu’elle ne dispose que de quelques élus de plus que les formations arrivées en deuxième et troisième positions, la question est évidemment celle de son aptitude à constituer un Gouvernement qui ne soit pas susceptible d’être immédiatement censuré.
Dès lors, et puisque la Constitution n’impose rien, la nouvelle donne politique permet d’imaginer de nouveaux moyens permettant de faire émerger une majorité de gouvernement. Proposer le poste de Premier ministre au Nouveau Front Populaire est donc une option mais en aucun cas une obligation. De plus, celui-ci n’est pas à proprement parler une formation politique mais une coalition électorale et rien ne semble indiquer qu’il a vocation à se constituer en groupe parlementaire puisque plusieurs des partis participant à cette coalition ont déjà engagé les négociations en vue de constituer des groupes parlementaires propres. C’est la raison pour laquelle l’installation de l’Assemblée nationale à partir du 18 juillet est un moment clef puisqu’elle permettra de savoir comment les forces politiques en présence choisissent de s’organiser et lesquelles sont en mesure de participer à un Gouvernement ou, au moins, de ne pas renverser le Gouvernement qu’il reviendra au Président de nommer.