Publicité des parrainages présidentiels : réponse aux critiques
Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à Paris-Dauphine.
La loi organique du 25 avril 2016 relative à « la modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle » a imposé au Conseil constitutionnel d’assurer la publicité intégrale des auteurs de présentations des candidats. Depuis quelques jours, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Eric Zemmour multiplient les critiques contre cette disposition.
Quelles étaient les motivations du changement de la loi ?
Il s’agissait en premier lieu de répondre à une sollicitation du Conseil constitutionnel. En effet, depuis 1974, ce dernier se prononçait pour la publication intégrale des parrainages au nom de l’égalité entre les candidats. Dans sa décision n°74-33 PDR du 24 mai 1974, il écrivait « la présentation d’un candidat à l’élection du président de la République est un acte politique grave. Il importe donc de l’entourer de toute la solennité nécessaire. A cette fin, il y aurait lieu (…) de rendre publique, pour chaque candidat, la liste des auteurs de présentation ». C’est ce qu’il fait donc aux élections suivantes en se contentant de tirer au sort l’identité de ceux dont les noms seraient connus. Une telle pratique aboutissait comme le pointa Jean-Claude Colliard, à ce qu’en 2007 « un présentateur de José Bové (503 retenus) a 99,4 % de chances, ou de risques, comme on voudra, de voir son nom publié ; un parrain de Jean-Marie Le Pen (554) 90,3 % alors que les taux sont de 14,3 % pour Ségolène Royal et 14,4 % pour Nicolas Sarkozy » (Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2012/1, n°34). Il était donc utile d’en finir avec cette inégalité.
Secundo, à compter du moment où depuis 1962, l’exercice du parrainage est une faculté confiée à son titulaire du fait de son élection par le suffrage, il semblait logique que ses électeurs soient informés de l’usage qu’il en faisait. Comme je l’écrivais dans la proposition de loi organique déposée à l’Assemblée, le 5 novembre 2015 (et devenue la loi du 25 avril 2016), cela relevait d’une exigence attendue de transparence.
Enfin, depuis 2002, chaque renouvellement présidentiel devenait le théâtre d’une instrumentalisation de cette collecte de signatures. Des candidats souvent issus des extrêmes tambourinaient bruyamment en arguant de leurs difficultés à atteindre le seuil des 500, attirant ainsi artificiellement les projecteurs des médias avec d’autant plus de cynisme qu’ils étaient déjà en possession d’un nombre de promesses suffisantes. Dans sa décision n°2012-155 PDR du 21 juin 2012, le Conseil constitutionnel s’interrogea d’ailleurs « sur la possible instrumentalisation de cette procédure dans le débat public, du fait de la diffusion de rumeurs tendant à suggérer tantôt que telle personne dispose de présentations en nombre suffisant, même avant l’ouverture de la période de dépôt de ces documents au Conseil, tantôt, à l’inverse, de faire accroire qu’elle en dispose en quantité insuffisante, afin d’influer sur les éventuels présentateurs ». Légiférer pour dissiper ce halo d’incertitude répondait donc à un principe de responsabilité politique.
Les objections émises sont-elles fondées ?
Ces critiques sur la publicité assurée des 500 signatures sont hypocrites et relèvent plus de la polémique électorale que de l’analyse rationnelle des faits.
Ainsi, selon ses contempteurs, cette mesure serait un frein en ce qu’elle découragerait des élus d’apporter leurs signatures à tel ou tel candidat.
Trois arguments suffisent à faire le lit de sa pertinence. D’abord, la simple consultation du nombre de candidats et de leur origine partisane depuis qu’en 1976, le législateur organique a décidé que l’identité des 500 présentateurs serait attestée par le Conseil constitutionnel. Avec 10 candidats en 1981, 9 en 1988 et en 1995, 16 en 2002, 12 en 2007, 10 en 2012 et 11 en 2017, le pluralisme des opinions et la diversité des affiliations ont été amplement assuré.
Ensuite, l’évidence observation de la singularité français. D’autres pays européens pratiquent un mode de scrutin comparable au notre et disposent d’un système de sélection assez voisin. Par exemple, en Autriche, un candidat doit être présenté par 5 membres du conseil national ou 6 000 signatures, en Finlande, la Constitution impose l’appui d’un parti représenté au parlement ou de 20 000 signatures. Or, c’est en France que le nombre de candidats est systématiquement le plus important. Ils n’étaient que 5 en Autriche en 2016 ou 8 en Finlande en 2018.
Enfin, en 2007, le Conseil constitutionnel avait reçu 16 900 actes de présentation, 14 790 en 2012 et 14 586 en 2017. La publicité n’a donc pas particulièrement retenu les élus. De fait, le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2017-172 PDR du 20 juillet 2017 a relevé que « contrairement à certaines craintes, ces nouvelles règles n’ont pas eu de conséquences négatives sur le nombre total des présentations ».
En vérité, les reproches ne portent pas sur la publicité mais sur le principe même d’un filtre confié aux élus. Manifestement certains imaginent qu’en vertu d’une hasardeuse onction sondagière, ils devraient bénéficier d’un droit automatique à la candidature.
Quand on sait qu’aujourd’hui, les impétrants peuvent solliciter vingt catégories de parrains puisque la liste s’est élargie à chaque évolution des institutions territoriales, ce qui représente un potentiel de 47 000 élus, il est cependant difficile de croire qu’ils ne peuvent pas convaincre 1,06 % de ce total…
Pour autant, ces règles de présentation ne sont-elles pas perfectibles ?
Elles n’ont cessé de l’être sans jamais parvenir à être consensuelles mais ce n’est pas une raison pour s’en satisfaire. A l’évidence, si l’on part du postulat que des candidatures intempestives ou fantaisistes n’apportent aucune plus-value dans une compétition présidentielle, un mécanisme de sélection s’avère indispensable.
Dès lors, celui que nous connaissons a échoué puisque si depuis 1965, dix élections présidentielles se sont déroulées avec au total 102 candidats, 37 d’entre eux, soit un peu plus du tiers, n’ont pas atteint 2 % des voix…
Des voix s’élèvent régulièrement, ce fut notamment le cas de la commission Balladur « Une Ve République plus démocratique » en 2007 et du rapport Jospin « Pour un renouveau démocratique » en 2012, pour donner ce pouvoir de tri aux Français, en permettant le parrainage citoyen. Saisi d’une telle proposition par le groupe « La France Insoumise », le gouvernement s’y est opposé le 6 mai 2021 au motif que le dispositif ne lui semblait pas « opérationnel en l’état » puisque que « vérifier l’authenticité des 150 000 parrainages poserait d’importantes difficultés ». La légèreté de l’argumentation – qu’au demeurant une simple lecture des modalités développées dans le rapport Jospin (pp. 15-16) balaie – n’efface pas sa pertinence. Un tel dispositif serait en effet extrêmement compliqué à mettre en œuvre en cas de présidentielle anticipée. Comment parvenir à rassembler autant de signatures en quelques très petites semaines ?
C’est pourquoi pour éviter ces candidatures que Guy Carcassonne qualifiait de « présences plus parasitaires qu’utiles » (Huffington Post, 16 février 2012), le rehaussement à 750 signatures pourrait être étudié.