Par Catherine Gauthier, Professeure de droit public à l’Université de Bordeaux et membre de l’Institut Convergences Migrations (ICM)

Pourquoi les étudiants n’étaient-ils pas concernés par le projet initial ?

En effet, les étudiants internationaux (hors-UE) n’étaient pas concernés par le projet de loi initial du gouvernement. Assez logiquement d’ailleurs, car ce texte quelque peu « fourre-tout »se rapportait avant tout à l’immigration et à ses conséquences supposées ou fantasmées. 

Les étudiants internationaux, par définition, ne peuvent pas être considérés comme des migrants, c’est-à-dire comme des personnes ayant quitté leur État d’origine pour s’installer durablement dans un autre, même si certains restent ensuite en France pour y exercer une activité professionnelle. Ce sont des personnes en mobilité, qui quittent leur pays dans un but précis, celui de poursuivre leur projet de formation. 

Pour des raisons historiques, la France était traditionnellement un pays d’accueil pour les étudiants internationaux. Elle a même longtemps été l’une des principales destinations universitaires, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Les études réalisées à ce sujet montrent combien cet accueil a permis à la France, non seulement d’en tirer un réel bénéfice économique, mais encore d’être un véritable lieu d’influence et de rayonnement international. Dans ce contexte et jusqu’à une période récente, les étudiants n’étaient donc pas considérés comme des migrants et ce, même si leurs séjours étaient précisément conditionnés. Progressivement, ce cadre est devenu de plus en plus rigide, suivant une évolution observée dans la plupart des pays de l’OCDE. Les mobilités d’étudiants ont été progressivement assimilées à des potentielles voies d’immigration. La suspicion est allée croissante, et les visas étudiants et les titres de séjours associés sont devenus très difficiles à obtenir. 

En dépit de cette réalité, les mobilités étudiantes sont en dynamique constante partout dans le monde et la France, si elle a perdu en attractivité ces dernières années (en dix ans, elle est passée du 3ème au 7ème rang des Etats d’accueil d’étudiants internationaux), demeure une terre d’élection pour les étudiants internationaux. Ce contexte singulier n’aura pas échappé à nos parlementaires. Depuis 2022, parmi les titres de séjours accordés en France, les titres étudiants sont en tête de ceux délivrés et ont désormais supplanté les titres de séjour accordés pour des motifs familiaux. Cet état de fait est essentiel et explique très probablement pourquoi la question des « migrations étudiantes » a été introduite dans le projet de loi au moment de son examen devant le Sénat.

Quelles sont les dispositions en question ?

Plusieurs dispositions concernant les étudiants sont en effet apparues dans le texte à l’initiative des sénateurs et ont été maintenues par la Commission mixte paritaire. Certaines d’entre elles visent directement les étudiants, d’autres sont susceptibles de les affecter indirectement.

Parmi les premières figure l’introduction d’une « caution retour ». Prévue par l’article 1 GA du projet de loi, cette caution conditionne la première délivrance d’un titre de séjour pour motifs d’études. Selon cet article, elle serait restituée lorsque la personne concernée quitte la France, lorsque son titre de séjour est renouvelé ou lorsque la personne obtient un autre titre de séjour avec changement de motif. En revanche, la caution serait définitivement retenue si l’étudiant venait à se soustraire à l’exécution d’une décision d’éloignement. Le mécanisme peut connaître des exceptions, qui seront accordées soit en raison de la modicité des revenus du demandeur, soit en raison de l’excellence de son parcours universitaire. Les modalités précises d’application seront fixées par décret. 

Si l’on comprend bien, ce mécanisme viendrait donc s’ajouter aux conditions de ressources (615 euros par mois) d’ores et déjà exigées pour la délivrance des titres de séjour étudiant. Si l’objectif recherché est bel et bien le retour de la personne en question, il serait logique que le montant exigé soit celui du trajet vers l’Etat d’origine de la personne concernée, ce qui pourrait se chiffrer à quelques milliers d’euros supplémentaires. 

Autre disposition affectant directement les étudiants, l’article 1er G qui permet de remettre annuellement en jeu la carte de séjour pluriannuelle mention « étudiant » si l’étranger ne justifie pas du caractère réel et sérieux des études. Si la détermination de cette condition est renvoyée à l’adoption d’un décret en Conseil d’Etat, son régime est néanmoins durci. En effet, la preuve du caractère réel et sérieux doit être apportée annuellement par l’étudiant ; à défaut, le non-renouvellement de la carte de séjour peut être opposée à l’étudiant. On imagine sans mal la difficulté à déterminer avec justesse cette condition, plus encore à la mettre en œuvre effectivement. 

Dernière disposition et non des moindres, l’article 1er AH prévoit une modification d’ampleur de l’article L. 719-4 du code de l’éducation, en décidant que les établissements d’enseignement supérieurs reçoivent des droits d’inscription versés par les étudiants et les auditeurs. Et ajoute « (…) qui sont majorés pour les étudiants étrangers en mobilité internationale ». Introduite en 2019, cette possibilité est donc désormais généralisée. Le mécanisme, très complexe, laissait jusqu’à présent la possibilité aux universités de déroger à l’application de ces frais et de faire échapper certains étudiants internationaux (notamment ceux issus des Etats les plus fragiles du point de vue économique) à leur paiement. Vivement décrié au moment de son adoption, mais successivement validé par le Conseil constitutionnel puis par le Conseil d’Etat, le mécanisme devrait se généraliser, obérant ainsi définitivement la résistance de certaines universités à l’appliquer. 

D’autres mesures de la loi, qui ne visent pas immédiatement les étudiants, mais les étrangers en général, pourraient également les affecter. Parmi elles figurent l’instauration de quotas d’admission de population immigrée et la restriction du régime des aides sociales. La question des quotas, qui seront déterminés par catégorie de titres de séjour, peut évidemment les concerner. Le constat est le même pour les aides au logement. Le sénat souhaitait les conditionner à une durée de séjour ininterrompue de cinq ans sur le territoire. Les étudiants en auraient donc été exclus de fait. Cette mesure, très dure, a cependant été écartée lors des débats au sein de la Commission mixte paritaire.

Quels seront les impacts de ces mesures ? 

La nouvelle loi immigration pose des questions redoutables. Assimilant mobilité et immigration étudiante, elle a semé la confusion et est très fortement critiquée par la communauté de l’enseignement supérieur. Des présidents d’universités, des directeurs de grandes écoles, des syndicats et associations étudiants, des organisations syndicales des personnels d’universités ont unanimement dénoncé ces mesures. Selon eux,en rendant encore plus difficile et onéreux le parcours des étudiants internationaux, elles mettent en péril de manière évidente non seulement leur statut déjà précaire, mais aussi nos besoins d’attractivité et de rayonnement, dans un contexte de concurrence accrue entre les établissements d’enseignement supérieur à l’échelle mondiale.

Au-delà de la très forte préoccupation des acteurs internes, ce sont les étudiants internationaux eux-mêmes qui seront les premiers pénalisés. C’est à juste titre, donc, qu’ils peinent à comprendre l’ambiguïté de la position française, qui ne date pas de cette loi et qui était déjà très présente dans le Plan « bienvenue en France ». Cette ambivalence aboutit à considérer les mobilités étudiantes comme une voie d’immigration détournée. Elle est d’autant plus fortement ressentie qu’elle dénote avec la très forte offensive que mènent d’autres Etats pour attirer des étudiants internationaux. Par voie de conséquence, les étudiants qui venaient habituellement poursuivre leurs études en France (notamment les étudiants d’Afrique du nord et de l’Ouest) avaient déjà réorienté leur choix d’étude vers d’autres destinations, d’Europe et d’Amérique du nord, mais également du Moyen Orient et d’Afrique. Cette inflexion ne peut être qu’amplifiée par la loi votée le 20 décembre dernier.

Certes, les effets négatifs de ces mesures ont finalement été compris au plus haut niveau de l’Etat et devraient être atténués. Le gouvernement semble miser désormais soit sur l’inconstitutionnalité ou l’inconventionnalité de ces mesures, soit sur leur non application. Cependant, en tout état de cause, l’effet délétère suscité est déjà profond et il sera à l’évidence très compliqué de rendre claire une posture qui ne l’est pas. Dans ce contexte, promouvoir la tradition d’accueil qui est pourtant au cœur de l’enseignement supérieur français, de sa dynamique et de son développement, sera bien difficile.