François Bayrou face aux règles de la confiance parlementaire
Le Premier ministre français n'est pas dans l'obligation juridique de demander la confiance de l'Assemblée nationale. Ce point a été tranché et admis depuis longtemps. La Ve République est bien juridiquement un système parlementaire mais essentiellement négatif : la confiance de l'Assemblée nationale dans le gouvernement est juridiquement présumée.

Par Armel Le Divellec, Professeur de droit public à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Le gouvernement Bayrou doit-il solliciter la confiance de l’Assemblée nationale ?
Nommé Premier ministre le 13 décembre dernier, François Bayrou a constitué son gouvernement le 23 décembre. Les assemblées parlementaires avaient, le 19, suspendu leurs travaux pour les vacances de Noël ; ceux-ci reprennent le 13 janvier 2025. Se pose la question de savoir si le nouveau gouvernement doit solliciter par un vote la confiance de l’Assemblée nationale.
Selon le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution de 1958, « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. » Faut-il comprendre « doit engager » ou « peut engager » ? Est-ce une obligation ou bien une simple faculté ? Cette question a été tranchée depuis longtemps. Elle fut, un moment, douteuse au regard des termes de cet alinéa, de la genèse confuse de sa rédaction et des explications alambiquées qu’en donnèrent ses promoteurs en 1958. Mais dès 1966, le Premier ministre Georges Pompidou, fort du soutien acquis d’avance des troupes parlementaires gaullistes, fit prévaloir l’interprétation du Général de Gaulle, dans le sens d’une simple faculté. L’opposition d’alors, minoritaire, ne put la contrecarrer. Confirmée en 1968 (Couve de Murville), 1972 (Messmer) et 1976 (Barre), elle fut admise à partir de 1988 par les socialistes, pour des raisons de circonstances : l’absence de majorité absolue soutenant d’emblée le gouvernement Rocard. Le ralliement des opposants de naguère fut donc décisif pour la reconnaissance de l’interprétation en termes de simple faculté.
Sans doute, les arguments de texte tendent à jouer plutôt en sens contraire : le célèbre alinéa 3 du même article énonce que « le Premier ministre peut (…) engager… » et l’alinéa 4 qu’il « a la faculté de demander… ». A contrario, le simple « engage » semble signifier une obligation. Cependant, l’alinéa premier ne contenant aucune indication de délai pour solliciter l’approbation du programme ou de la déclaration de politique générale, force est d’admettre que le texte figure une norme relativement ouverte, qu’il revenait aux acteurs, en position de pouvoir politique, de concrétiser. Ce qu’ils ont fait dans le sens facultatif.
Il est inutile ici d’invoquer le discours du général de Gaulle à Bayeux en 1946 (réitéré dans les conseils en 1958 et constamment réaffirmé après, notamment en 1964) selon lequel « le gouvernement ne doit pas procéder du Parlement mais du président de la République » ; quelque éminente qu’elle soit, la pensée d’un personnage politique n’a, à elle seule, pas de valeur juridique.
La logique du parlementarisme négatif souhaitée par les gaullistes l’a ainsi emporté : la confiance parlementaire est juridiquement présumée, n’a pas besoin d’être exprimée positivement, étant précisé que cette présomption peut être renversée à l’initiative des députés par l’adoption d’une motion de censure (qui requiert toutefois une majorité absolue de députés, contrairement à l’approbation du programme pour laquelle une majorité de votants suffit).
C’est en vain que certains députés ont, récemment, invoqué l’argument de la soi-disant « tradition parlementaire » ou bien des exemples étrangers pour contester l’interprétation établie de l’alinéa 1er. En la matière, soit les textes sont formulés d’une manière qui ne laisse aucun doute, soit, à défaut d’une telle clarté, ce sont les précédents admis qui s’imposent et il est difficile de revenir sur ce qui fait depuis longtemps consensus dans les partis de gouvernement.
Sur quel fondement le gouvernement Bayrou se présentera-t-il devant l’Assemblée nationale le 14 janvier 2025 ?
Dès lors qu’il sait ne pas pouvoir s’appuyer sur une ferme majorité de députés acquise d’avance, le gouvernement de M. Bayrou ne demandera donc pas un vote d’approbation à l’Assemblée nationale puisqu’il n’y est pas juridiquement contraint aux termes de l’article 49.
Pour autant, le Premier ministre a annoncé qu’il se présentera à l’Assemblée à la reprise de ses travaux, le 14 janvier, et y délivrera une « déclaration ». En soi non formellement obligatoire, cette pratique est, à défaut de recours à l’article 49, al. 1er, politiquement opportune, mais surtout conforme et même implicitement nécessaire à l’exigence de collaboration entre les pouvoirs. La déclaration annoncée s’effectuera sur le fondement de l’article 50-1 C (introduit en 2008). Censée en principe porter « sur un sujet déterminé » (par opposition à une « déclaration de politique générale » évoquée par l’article 49), elle sera en fait la présentation du programme du gouvernement. Cette déclaration doit être suivie d’un débat au cours duquel tous les groupes parlementaires pourront s’exprimer.
Le gouvernement aurait même la faculté de solliciter un vote d’approbation de sa déclaration, vote purement indicatif, sans conséquence juridique, puisqu’il est précisé qu’il n’engage pas sa responsabilité (selon les termes de l’article 50-1 C). Cette dernière formule a quelque chose d’absurde (l’assemblée, censée contrôler le gouvernement, étant alors dégradée au rang d’instance consultative) mais néanmoins prend son sens juridique technique au regard de l’article 50 C qui, a contrario, impose la démission du gouvernement en cas de rejet du programme, d’une déclaration de politique générale selon l’article 49, alinéa 1er ou bien en cas d’adoption d’une motion de censure. Il est peu probable que le gouvernement Bayrou prenne le risque de solliciter un tel vote au résultat incertain et qui, sans l’obliger juridiquement à démissionner, le fragiliserait d’emblée.
Le gouvernement a-t-il besoin de la confiance du Sénat ?
La réponse du droit positif est encore plus claire que pour l’Assemblée. Comme suggéré plus haut, les termes du quatrième alinéa de l’article 49 C combinés avec ceux de l’article 50 C n’ont jamais suscité de difficulté : non seulement le Premier ministre n’est soumis à aucune obligation de solliciter de la chambre haute l’approbation d’une déclaration de politique générale mais, en outre, un vote négatif n’entraînerait aucune obligation juridique de démissionner. (Edouard Philippe avait essuyé un tel revers, le 13 juin 2019, sans conséquence institutionnelle.) Il faut ajouter, puisque la responsabilité politique est par nature susceptible de se développer sans texte, de manière informelle, que la confiance du Sénat est d’autant moins indispensable pour un gouvernement que le bicamérisme de la Ve République est inégalitaire (sauf exception) en matière législative et budgétaire : ayant la faculté de donner le « dernier mot » à la chambre basse (l’Assemblée nationale), le gouvernement peut passer outre une éventuelle opposition des sénateurs à ses projets de loi.
On peut, en somme, relever que les règles juridiques de la confiance parlementaire composent donc, sous la Ve République, un système commode pour l’Exécutif, qui a aussi l’avantage de conférer de la souplesse au jeu politique, mais est source d’inconvénients pour la légitimité du pouvoir et le poids du Parlement.