Michel Barnier face au Parlement : pour obtenir la confiance ou éviter la censure ?
Dès l’ouverture de la session parlementaire le 1er octobre, le Premier ministre prononcera devant l’Assemblée nationale, puis le Sénat, un discours de politique générale. Pour obtenir un vote de confiance ou éviter une motion de censure ? Voilà, précisément, ce que dit la Constitution.
Par Damien Connil, Chargé de recherche CNRS, Université de Pau (UMR DICE-IE2IA)
Le Premier ministre doit-il obtenir la confiance de l’Assemblée nationale ?
Aux termes de l’article 49, al. 1er de la Constitution, « Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Dans cette hypothèse, le Règlement de l’Assemblée nationale (art. 152 RAN) précise que la Conférence des présidents – qui réunit notamment la Présidente de l’Assemblée, ses vice-présidents, les présidents de commission et les présidents des groupes parlementaires – organise le débat dont le temps global est attribué pour moitié aux groupes d’opposition. Une explication de vote peut suivre la clôture du débat et le vote a lieu au scrutin public à la tribune, après appel nominal des députés. La majorité des suffrages exprimés (et non des membres de l’Assemblée) est requise. En cas de vote défavorable, c’est-à-dire « lorsque l’Assemblée nationale désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement », le Premier ministre est contraint de remettre, au Président de la République, la démission de son gouvernement (art. 50 de la Constitution).
La pratique de la Ve République est cependant que le Premier ministre n’est pas tenu de poser une « question de confiance », pour reprendre une expression largement utilisée, même si elle n’apparaît pas ainsi dans le texte. La Constitution n’organise pas d’investiture parlementaire du Gouvernement. En janvier 1959, Michel Debré avançait que « Lorsqu’un Gouvernement est nommé, il vient devant les deux Assemblées et devant celle qui est élue au suffrage universel direct, il expose son programme et en demande l’approbation » (JO, débats AN, 1e séance du 16 janvier 1959, p. 77). La pratique – dès le Gouvernement Pompidou, et reprise depuis – est néanmoins celle d’une possibilité laissée au Premier ministre d’engager ou non la responsabilité de son Gouvernement de cette manière. Utilisé à 41 reprises depuis le début de la Ve République, ce dispositif n’a, par exemple, jamais été mis en œuvre par certains gouvernements (Maurice Couve de Murville, Edith Cresson, Gabriel Attal).
Qu’en est-il devant le Sénat ?
D’une part, l’usage est que, lorsque le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale, le Sénat soit informé, dans le même temps, de la déclaration du Premier ministre, lue par un membre du Gouvernement (généralement dans l’ordre protocolaire) devant les sénateurs. Le Règlement du Sénat précise toutefois que cela ne peut faire l’objet d’aucun débat ; le Conseil constitutionnel évoque d’ailleurs « un acte de simple information » (décision n° 76-64 DC du 2 juin 1976).
D’autre part, et surtout, l’article 49, al. 4 de la Constitution prévoit que « Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale ». Dans ce cas, le demande d’approbation fait l’objet d’un débat suivi d’un vote, au scrutin public (art. 39 du Règlement du Sénat). Un vote défavorable n’emporte cependant pas d’effet juridique dès lors que le Gouvernement n’est pas tenu, dans cette hypothèse, de démissionner ; la mise en jeu de sa responsabilité ne pouvant être engagée que devant l’Assemblée nationale.
La pratique de l’article 49, al. 4 montre que cette disposition n’a été mise en œuvre pour la première fois qu’à partir de 1975 notamment pour renforcer alors l’assise parlementaire du Gouvernement (Jacques Chirac) face au Président de la République. Mais, au cours de la période la plus récente, elle a aussi pu être utilisée pour marquer un désaccord ou une opposition entre le Sénat et le Gouvernement (Edouard Philippe), la déclaration du Gouvernement ayant alors été suivie d’un vote la désapprouvant. Le plus souvent, le mécanisme est mis en œuvre parallèlement à l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 49, al. 1er. La configuration de l’actuelle majorité sénatoriale aurait pu inciter le Premier ministre à recourir à ce mécanisme mais l’absence d’engagement de la responsabilité devant l’Assemblée nationale le conduit, sans doute, à utiliser un autre vecteur pour son discours de politique générale.
Sur quel fondement, Michel Barnier va-t-il présenter sa déclaration de politique générale au Parlement ?
Vraisemblablement sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution. Cet article – issu de la révision constitutionnelle de 2008 – dispose que « Devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande d’un groupe parlementaire au sens de l’article 51-1, faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité ».
Cette déclaration peut ainsi être suivie d’un débat dont la Conférence des Présidents fixe le temps global attribué aux groupes et non-inscrits. De cette manière, et sans vote, les deux précédents Premiers ministres (Elisabeth Borne et Gabriel Attal) avaient présenté aux parlementaires une déclaration de politique générale, respectivement les 6 juillet 2022 et 30 janvier 2024. Prononcée par les Premiers ministres devant l’Assemblée nationale, cette déclaration avait été simultanément lue par le Ministre de l’Économie devant le Sénat avant que Mme Borne, le soir même, et M. Attal, le lendemain, se rendent au Sénat. M. Barnier s’exprimera devant l’Assemblée nationale le 1er octobre et devant le Sénat le 2 octobre.
À l’Assemblée, une motion de censure ayant d’ores et déjà été annoncée, sur le fondement de l’article 49, al. 2 de la Constitution, un vote sur cette dernière pourra être organisé. Et, en tout état de cause, le débat budgétaire constituera au cours de la session à venir un enjeu fondamental. La formule de Georges Pompidou selon laquelle « le Gouvernement reste en place tant qu’il n’est pas renversé » est, de ce point de vue, significative (JO, débats AN, 1e séance du 20 avril 1966, p. 808). Chaque étape sera désormais pour le Gouvernement, une nouvelle (é)preuve de confiance ou de défiance du Parlement.