Par Pierre Esplugas-Labatut – Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole – Institut Maurice Hauriou
Les élections sénatoriales, qui se dérouleront le 24 septembre prochain, sont en général peu médiatisées. L’occasion pour Pierre Esplugas-Labatut de revenir sur leur fonctionnement.

En quoi consistent les élections sénatoriales ?

La nature des élections sénatoriales se déduit directement de la fonction assignée au Sénat par la Constitution qui est de représenter, non pas la population, mais les collectivités territoriales. On sait en effet que la France est dotée d’un régime politique bicaméral composé de deux assemblées parlementaires, l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce caractère ne se déduit pas tant de la nature du régime parlementaire telle qu’instituée, du moins littéralement, par la Constitution de 1958 ou du principe de la séparation des pouvoirs, mais de l’organisation décentralisée de la République française. Dans ces conditions, il devient logique de représenter, parallèlement au citoyen, être abstrait et désincarné, ce que le professeur Georges Burdeau appelait « l’homme situé » c’est-à-dire l’individu pris dans son environnement soit professionnel (ce sont les chambres corporatives comme en France le Conseil économique, social et environnemental), soit géographique (en l’occurrence le Sénat). Les élections sénatoriales assurent donc une représentation dans un cadre territorial que ne permettent pas les élections législatives.

Précisément parce qu’il s’agit de différencier ces deux types d’élection, les membres du Sénat sont renouvelés de manière déconnectée des membres de l’Assemblée nationale, soit aujourd’hui par moitié tous les six ans. Le mandat plus long des sénateurs par rapport à celui des députés s’explique traditionnellement par le rôle de « modérateur » attribué au Sénat par rapport à l’Assemblée nationale, il est vrai, plus soumise, du fait notamment de son mode de scrutin, à la pression populaire et plus encline à certains excès comme on l’a vu au moment de la discussion sur la réforme relative à l’âge légal de la retraite.

Plus techniquement, l’élection des sénateurs a lieu dans les 60 jours qui précèdent la date du début de leur mandat ceux-ci étant répartis en deux séries 1 et 2. A cet effet, 170 sénateurs de la série 1 (couvrant 53 sièges des départements métropolitains allant de l’Indre-et-Loire aux Pyrénées-Orientales plus les 8 départements de la Région Ile-de-France, 13 sièges en Outre-Mer et 6 sièges représentant les Français établis hors de France) sont appelés à être élus le 24 septembre 2023.

Comment les sénateurs sont-ils élus ?

La caractéristique principale est que les membres du Sénat sont élus au « suffrage indirect » La question centrale est donc celle de la composition du collège électoral constituant, pour l’essentiel dans les départements, les « grands électeurs ». Celui-ci est composé tout d’abord d’élus nationaux que sont les députés et les sénateurs. Cela est d’ailleurs curieux dans la mesure où ce collège est censé assurer « la représentation des différentes catégories de collectivités territoriales et de la diversité des communes » même s’il est juste d’observer que le nombre de ces élus nationaux est faible par rapport aux autres grands électeurs. On peut aussi s’étonner de la présence des députés dans ce collège sénatorial au regard de l’autonomie de chaque assemblée parlementaire.

Ce collège est ensuite naturellement composé de représentants des collectivités territoriales (conseillers régionaux, conseillers de l’Assemblée de Corse, conseillers des assemblées de Guyane et Martinique, conseillers départementaux et conseillers métropolitains de Lyon et délégués des conseils municipaux mais excluant, en raison d’une réserve de souveraineté, les étrangers ressortissants d’un Etat de l’UE). La part grandement majoritairement de ces représentants est logique au regard de la fonction assignée au Sénat et est même une exigence constitutionnelle.

Plus précisément encore, au vu du nombre de communes et de conseillers municipaux existants en France, ces derniers sont très largement majoritaires (à plus de 90 %) ce qui participe de l’idée traditionnelle, selon la formule célèbre de Gambetta dans son discours de Belleville du 23 avril 1875, que le Sénat est le « grand Conseil des communes françaises ». En effet, dans les communes de plus de 9000 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit ; dans celles de moins de 9000, le nombre de délégués varie de 1 à 15 en fonction de la taille du conseil municipal. La plupart des communes en France étant des petites communes et situées en zone rurale, la composition du collège électoral sénatorial explique que le Sénat soit considéré comme un représentant des territoires ruraux.

Toutefois, afin de tenir compte de l’impératif démocratique et démographique posé par la loi même pour les élections sénatoriales, il est en outre institué dans les villes de plus de 30 000 habitants un mécanisme correcteur, complexe et méconnu, de désignation de délégués supplémentaires par tranche de 1 pour 800 habitants[1]. Le Conseil constitutionnel a précisé que ces délégués ne pouvaient constituer une « part substantielle (…) du collège des électeurs sénatoriaux » qui ne saurait aller « au-delà de la simple correction démographique ». Dans ce cas d’espèce, est jugé représenter une part substantielle contraire à la Constitution un système imposant un délégué supplémentaire choisi en dehors du conseil municipal pour 300 habitants.

En l’état actuel du droit, malgré cette censure, le correctif apporté n’est pas neutre. Faute de données consolidées fournies par le ministère de l’Intérieur, nous nous bornerons à citer un exemple constitué par la circonscription de la Haute-Garonne (d’où est originaire l’auteur de ces lignes) : le nombre de délégués supplémentaires inscrits au tableau des électeurs de 2020 est légèrement supérieur à 18 % du collège électoral ce qui paraît correspondre à une part non substantielle conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (encore que cela puisse être discuté).

Ces élections de 1er degré ont lieu selon un mode de scrutin variable selon l’importance des communes (dans celles de moins de 1000 habitants, scrutin majoritaire à deux tours, dans celles de plus de 1000 habitants, représentation proportionnelle à la plus forte moyenne avec des listes bloquées et paritaires). En pratique, dans le cas d’un scrutin de liste, les groupes politiques présents au sein du conseil municipal concerné choisissent ces délégués supplémentaires par cooptation parmi, par exemple, leurs amis, les membres de leur famille ou leurs relations.

La date de ces élections en vue des prochaines élections sénatoriales de second degré a été fixée par instruction ministérielle et arrêtés préfectoraux au 9 juin 2023.

Enfin, il existe un collège électoral spécifique pour les sénateurs établis hors de France et constitué des députés et des sénateurs représentants les Français établis hors de France, des conseillers consulaires et des délégués consulaires.

Quel est le mode de scrutin ?

Pour ce qui concerne l’élection proprement dite des sénateurs, le mode de scrutin est variable en fonction du nombre de sénateurs à élire et donc de l’importance démographique des départements concernés. Dans les départements qui élisent 1 ou 2 sénateurs, l’élection a lieu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours ; dans les départements qui élisent 3 sénateurs ou plus (les plus nombreux et couvrant au final 3 sénateurs sur 4), l’élection a lieu dans le cadre d’un scrutin de liste, paritaire femmes/hommes, à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne

Il est à noter que les élections sénatoriales offrent le seul cas en droit français de vote obligatoire dont la sanction en cas de défaillance est une amende de 100 €.

Qui peut être élu sénateur ?

Les conditions d’éligibilité pour être sénateur sont les mêmes que pour l’élection à l‘Assemblée nationale. L’exception notable est qu’un candidat doit avoir 24 ans révolus pour être élu. Cette condition, dont le seuil a d’ailleurs été abaissé au fil du temps, répond à l’idée de « sagesse » dont on se fait d’un sénateur. Le régime des incompatibilités est également assimilable à celui des membres de l’Assemblée nationale

Quels sont les enjeux des élections sénatoriales 2023 ?

D’un point de vue institutionnel, un des enjeux des élections sénatoriales de 2023 est de dégager un bloc disposant d’une majorité absolue face à une Assemblée nationale qui pour la deuxième fois depuis 1958 en est dépourvue. En cela, le Sénat serait en mesure d’incarner un pôle de stabilité et de jouer son rôle de modérateur pour lequel il a été créé à partir de la IIIème République.

Un autre enjeu institutionnel peut être aussi de s’approcher de la parité et de renforcer la présence des femmes au sein du Sénat évaluée aujourd’hui à 35,1 % ainsi que de dépasser le pourcentage observé aujourd’hui à l’Assemblée nationale (37,3 %).

Les autres enjeux sont naturellement des enjeux classiques de politique partisane propres à toute élection mais qui ne sont pas du ressort de ce blog !

[1] v. notre article, « Le droit électoral du 1er degré des élections sénatoriales : de mystérieux délégués », Bulletin juridique des collectivités locales, n°12, déc. 2020, p. 873

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