Par Xavier Bioy, Professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, Vice-doyen de l’Ecole de droit, Directeur du master « Ethique du soin et de la recherche »

Quelles sont les conditions d’accès à l’aide à mourir ?

La loi crée, techniquement, une exception à l’interdit pénal, une forme d’« assassinat consenti » au profit des soignants, à condition du consentement de la victime (« Le droit à l’aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122-4 du code pénal », art. 2 PPL).

Selon le nouvel article L. 1111-12-1. – I. CSP : « Le droit à l’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin ou par un infirmier. » Il s’agit donc en principe et en priorité d’un suicide assisté, à défaut, d’une euthanasie « active ». Le texte s’en remet au médecin, juge et partie, pour apprécier la nécessité de la seconde. L’information délivrée à la personne est aussi une composante de ce « droit ».

Le nouvel article L. 1111-12-2. CSP pose cinq conditions cumulatives controversées. D’abord être majeur, la France n’adoptant pas le dispositif belge qui ouvre la procédure au mineur doué de discernement. Il faut ensuite, être français ou résider de façon stable et régulière en France ; cela pour éviter le « tourisme de la mort ». Viennent ensuite trois critères à apprécier par le corps médical, qui tendent, sans la garantir, à une forme d’objectivation d’une situation compassionnelle.

D’abord « 3° Être atteint d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ». L’enjeu, ici, était de dépasser la seule situation d’agonie et de « fin de vie » (notion elle-même contestée). La volonté du législateur est de prendre en considération les pathologies dégénératives, sans attendre le moment où la personne se trouve privée de sa capacité à se donner la mort. « Phase avancée » (lire l’avis de la HAS, 6 mai 2025) et « qualité de vie » y sont les maîtres mots. Car « pronostic vital engagé », sans « court ou moyen terme », permet d’intervenir dans toute situation de handicap non accidentel. Ce seront les standards dont on ne saurait surestimer l’objectivité. On sait avec Canguilhem, que la frontière entre le « normal » et le « pathologique », évolutive, dépend autant du vécu du patient que du ressenti du soignant. Certaines associations représentatives des personnes en situation de handicap le dénoncent. En toute hypothèse, ces termes ne paraissent pas aussi « stricts » que ne le disent les auteurs de la loi.

Il faudra ensuite « 4° Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement. (…) Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ». Si la souffrance physique, la douleur, fait, elle aussi, l’objet de tentative d’objectivation par des éléments de mesure, elle demeure un ressenti individuel. La chose devient tautologique si on parle de souffrance psychique. Malgré les cadres conceptuels de la psychiatrie, l’affaire Mortier c. Belgique (Cour eur. dr. h., 4 octobre 2022) a révélé comment une dépression entrainant le refus de se soigner, devient insurmontable, justifiant in fine, pour le médecin et la patiente, l’euthanasie. Le texte français impose au médecin d’établir l’existence d’une souffrance physique, laquelle vient inévitablement à un stade avancé de la pathologie psychiatrique. Le refus de soin étant consacré comme un droit absolu (presque toujours), le patient se place dans une impasse légitimant un « laisser mourir ». Certes, le pronostic vital n’étant pas en soi engagé, les tendances suicidaires, mortifères ou automutilatrices deviennent un élément confortant la demande et non plus des indications de soins sous contraintes. Juridiquement, ce risque n’est pas conjuré par le texte.

Enfin, vient l’autonomie : « 5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. (…) La personne dont le discernement est gravement altéré par une maladie lors de la démarche de demande d’aide à mourir ne peut pas être reconnue comme manifestant une volonté libre et éclairée. » Indispensable, le critère n’en demeure pas moins délicat en cas de troubles psychiatriques sources de la demande ou tout simplement occasionnés par la pathologie physique. La loi laisse aux médecins la responsabilité de la qualification de « discernement gravement altéré ». Le patient doit respecter un délai de réflexion d’au moins deux jours à compter de l’acceptation du médecin pour confirmer sa demande. S’il le fait plus de trois mois après l’acceptation du médecin, ou si la date retenue pour procéder à l’euthanasie est postérieure de trois mois, on doit réévaluer le caractère libre et éclairé. Mais, encore une fois, la Belgique et le Canada témoignent qu’il existe des médecins, militants de l’euthanasie, prêts à admettre l’existence d’une irréductible autonomie, même dans la maladie.

C’est encore le médecin qui veille à ce que le patient ne subisse aucune pression de la part des personnes qui l’accompagnent pour procéder ou renoncer à la demande. La loi institue d’ailleurs un délit d’entrave qui punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, soit en perturbant l’accès aux établissements, soit en exerçant des pressions morales ou psychologiques, en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’aide à mourir, des personnels.

En quoi cette loi crée-t-elle un « nouveau droit » ?

Le texte met en scène un « droit » subjectif à mourir. La chose est pourtant factice. Techniquement, une personne a toujours pu demander à être aidée à mourir, le suicide n’étant pas interdit. Pour autant, personne n’était autorisé à y répondre favorablement. La nouvelle loi crée donc un droit pour les médecins et infirmiers à faire mourir ; ce n’est qu’en étant l’objet de ce droit que les patients bénéficient d’une prestation qui n’est pourtant une obligation pour personne. Ainsi, dans la mesure où les soignants conservent, de manière explicite, une clause de conscience, la loi n’a institué aucun débiteur identifié à un prétendu « droit ». Leur obligation se limite à communiquer le nom de professionnels de santé disposés à faire mourir et qui se seront déclarés comme tels auprès de la commission de contrôle.

Selon les termes de Hohfeld (V. Champeil-Desplats, Qu’est-ce qu’un droit ?, Dalloz, 2025), la loi institue un privilège pour les médecins, et non un droit pour les patients. Certains députés ont ainsi demandé un vain « droit opposable », avec une procédure juridictionnelle assez irréaliste.

Le médecin, auquel l’Etat fait définitivement grandement confiance, est donc le grand organisateur de son propre droit. Comme pour la loi Léonetti-Claeys, toutes les attentes se concentrent sur la « procédure collégiale ». Faute d’un cadre constitutionnel sécurisant (Cons. Const. n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017), le texte donne toute latitude au médecin : il « réunit un collège pluriprofessionnel composé au moins d’un médecin spécialiste de la pathologie (qui se décide au vu du dossier médical sans nécessairement rencontrer le patient…), d’un auxiliaire médical qui s’occupe de la personne. C’est le minimum exigé. Mais il peut également convier d’autres professionnels de santé et des psychologues connaissant le patient ; comme il peut demander l’avis de la personne confiance. Les protecteurs légaux ne sont qu’informés (le médecin rendra compte de leur avis à la collégialité).

Tout revêt les atours de l’unilatéralité : le médecin se prononce dans un délai de quinze jours à compter de la demande et notifie, oralement et par écrit, sa décision motivée. Il détermine, en accord avec la personne, la date et les modalités d’administration de la substance létale et le médecin ou l’infirmier chargé de l’accompagner pour cette administration. Tout juste le patient peut-il choisir (avec le médecin) le lieu de sa mort (« à l’exception des voies et espaces publics ») et d’être entouré par les personnes de son choix. Concrétisant indirectement une forme de droit subjectif à mourir : d’une part, l’assurance en cas de décès doit couvrir le cas de l’aide à mourir, d’autre part, le remboursement des frais par l’assurance maladie. Là encore, le débat est ouvert sur le lien entre notions de soin et de convenance.

Heureusement, la rémunération ne doit pas l’inciter à sortir de son altruisme (« à l’exception des prix de cession et des honoraires, aucune rémunération ou gratification en espèces ou en nature, quelle qu’en soit la forme, ne peut être allouée en échange d’un service dans le cadre d’une procédure d’aide à mourir »).

Quels contrôles sont assurés quant aux limites à l’accès à l’aide à mourir ?

La loi apporte un formalisme certain. La demande doit être écrite ou, selon un mode adapté aux capacités du patient, adressée à un médecin en activité, sans pouvoir présenter simultanément plusieurs demandes. Le médecin informe la personne sur son état de santé, sur ses évolutions ainsi que sur les traitements et les soins palliatifs et « s’assure, si la personne le souhaite, qu’elle y ait accès de manière effective » (sic). Il peut aussi s’occuper des proches déboussolés et les orienter vers un psychologue ou un psychiatre, là encore « de manière effective » (re sic).

Le « soignant » (si ce terme est approprié ici, car il y a toujours un débat éthique, entre cure et care, sur la qualification de soin de l’euthanasie), apportera et administrera (si nécessaire) en restant « suffisamment près et en vision directe de la personne pour pouvoir intervenir en cas de difficulté. »

Le texte prévoit que la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir, ainsi que la décision de mettre fin à la procédure, ne peuvent être contestées que par la personne ayant formé la demande, devant la juridiction administrative. Mais le juge ira-t-il jusqu’à enjoindre au médecin de pratiquer l’acte ? Ce serait contradictoire avec la clause de conscience. La décision de refus illégale engagerait-elle la responsabilité pour indemniser le préjudice moral du patient ? Aller jusqu’à une procédure ordinale ? Cela paraît techniquement plausible, surtout si la commission de contrôle et d’évaluation, placée auprès du ministre chargé de la santé, s’en charge.

Cette commission assure le contrôle a posteriori, à partir notamment des données enregistrées dans le système d’information. Composée de médecins, de magistrats, de représentants d’associations de patients et de personnalités expertes, elle doit être indépendante et impartiale. En espérant qu’elle ne soit pas investie, comme ce fut le cas en Belgique, par des personnes militantes. En toute hypothèse, la faiblesse de la procédure collégiale, patente, et le caractère ex post du contrôle, peuvent légitimement inquiéter, alors qu’il existe tant de comités d’éthiques et un métier d’éthicien encore à instituer en France. Un abus sera toujours irréparable.

Et que dire des droits des tiers ? Ecartés de tout recours, menacés du délit d’entrave, même en cas de dérive manifeste, les proches, à supposer qu’ils soient informés, ne pourront qu’assister impuissants ou saisir le parquet, sans pouvoir jouer leur rôle de protecteurs (voir, C. Castaing, « Droits des tiers et « droit de mourir » d’autrui : fusion ou collision ? », in La fin de vie et la mort saisies par le Droit constitutionnel, dir. X. Bioy et X. Magnon, Confluence des droits [en ligne], Aix‑en‑Provence, DICE Éditions, 2025).

L’opposition de la « dignité pour soi » et de la « dignité pour nous » se retrouve encore lorsque l’on dresse aussi la liberté des professionnels de santé face à celle de leurs patients. Les débats médiatiques et parlementaires opposent, d’un côté, la demande de libertés des uns de ne pas être confrontés à ce qu’ils considèrent comme dégradant, à, d’un autre côté, le souci des autres de ne pas stigmatiser des situations où la qualité de vie est diminuée mais acceptée par l’individu. Retenons que, à défaut d’avoir vraiment assumé explicitement un changement éthique majeur, la loi consacre un pouvoir médical mortifère dont beaucoup de soignants ne sauront que faire, ou auquel ils seront contraints de recourir en raison de l’organisation des services. Une lecture moins médicalisée, plus « sociétale », envisagée par la conférence citoyenne sur la fin de vie, aurait été possible.