Les athlètes israéliens sous bannière neutre aux JO ?
Plusieurs élus LFI et EELV ont demandé au CIO d’imposer aux athlètes israéliens de concourir sous bannière neutre, comme pour les athlètes russes et biélorusses. Cette proposition, qui repose largement sur un faux parallélisme, apparaît en contradiction avec les règles régissant le mouvement olympique.
Par Bernard Haftel, agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université Sorbonne Paris Nord.
Que pensez-vous de la demande faite par plusieurs élus LFI et EELV au Comité International Olympique (CIO) d’imposer aux athlètes israéliens de concourir aux JO de Paris sous bannière neutre, comme c’est le cas pour les athlètes russes et biélorusses ?
La demande est ici motivée par la guerre entre Israël et le Hamas, débutée le 7 octobre dernier, ayant fait de très nombreux morts, le bilan s’aggravant chaque jour. L’idée de ces élus est que ce conflit est au moins aussi dramatique et meurtrier que le conflit en Ukraine, voire davantage, et que par souci d’ « équité », il conviendrait d’en tirer les mêmes conséquences. Même si l’on peut comprendre ce type de raisonnement, il se heurte de plein fouet à un principe essentiel de l’Olympisme, rappelé au sein des principes fondamentaux de la Charte olympique : le principe de neutralité politique, auquel s’ajoute ici un autre principe fondamental de la Charte, celui de non-discrimination à raison, notamment, des opinions politiques ou de l’origine nationale.
Ce que demandent, concrètement, ces élus, c’est que le CIO prenne parti dans le conflit israélo-palestinien contre Israël. C’est d’autant plus clair que les élus en question ne demandent pas le même sort pour les athlètes palestiniens. Si chacun peut, évidemment, avoir son opinion sur les responsabilités de chacun des belligérants, le CIO, lui, ne peut pas en faire état et en tirer des conséquences, en raison, précisément, du principe de neutralité politique.
A cela s’ajoute que, même si la situation à Gaza est tout à fait dramatique, elle n’est pas réellement comparable au conflit ukrainien. D’abord parce qu’elle vient se greffer sur près de 80 ans de conflit complexe et, ensuite, parce que l’invasion de l’Ukraine n’a pas été provoquée par une terrible et sanglante attaque terroriste accompagnée de nombreuses prises d’otages. La proposition des élus LFI et EELV ne me semble donc ni réaliste ni conforme aux règles de l’Olympisme.
Mais comment expliquer alors que le CIO oblige les athlètes russes et biélorusses à concourir sous bannière neutre ?
C’est la bonne question. N’y aurait-il pas ici le fameux « deux poids, deux mesures » ? La réponse est complexe : oui et non.
D’abord, non. La décision d’obliger les athlètes russes à concourir comme athlètes individuels neutres (AIN), sans bannière nationale, n’est pas formellement fondée sur des considérations politiques. Les premières sanctions à l’encontre des athlètes russes (et biélorusses) en lien avec le conflit ukrainien ont été prises dès février 2022 et étaient alors justifiées par la « violation flagrante » de la trêve olympique liée aux Jeux de Pékin et décidée par l’Assemblée nationale des Nations Unies, par consensus, le 2 décembre 2021. L’invasion de l’Ukraine avait en effet eu lieu à peine quatre jours après la fin des Jeux, alors que la trêve était encore en vigueur pour trois jours supplémentaires. Ensuite et surtout, l’obligation des athlètes de concourir comme AIN fait suite à la suspension, le 12 octobre 2023, du Comité National Olympique (CNO) russe par le CIO. Cette décision était motivée, non pas directement par l’invasion russe, mais par la décision prise par le CNO russe d’absorber en son sein les instances sportives régionales des zones ukrainiennes conquises et occupées par la Russie. Le CIO y a vu une violation par le CNO russe de l’intégrité territoriale du CNO ukrainien. La décision n’est donc pas politiquement motivée et rien de comparable ne peut être relevé à l’égard d’Israël.
Toutefois, derrière cette motivation technique, on décèle assez facilement l’hostilité du CIO à la guerre menée par la Russie en Ukraine, ce dont il ne se cache d’ailleurs pas. Par exemple, le CIO a publié le 25 janvier 2023 une déclaration de solidarité avec l’Ukraine. De même, le 28 mars 2023, le CIO a fait plusieurs recommandations aux fédérations internationales et organisateurs de manifestations sportives, soulignant que les « États et gouvernements russes et bélarussiens (…) sont les seuls responsables de cette guerre », ce qui est peu conforme au principe de neutralité. A cela s’ajoute que le CIO considère que ne pourront participer aux compétitions, même comme simples athlètes neutres, ceux qui « soutiennent activement la guerre ». Sous réserve du terme « activement », qui n’est pas clair, c’est également peu conforme à l’interdiction des discriminations fondées sur les opinions politiques.
L’Olympisme ne devrait-il pas abandonner la neutralité politique pour promouvoir plus activement d’autres valeurs tout aussi importantes, telles que la paix, l’égalité, la lutte contre les discriminations, etc. ?
C’est évidemment tentant. Le CIO pourrait sanctionner les pays ne respectant pas certaines valeurs jugées essentielles par le mouvement olympique. Mais, outre que je doute que cela puisse être réellement efficace, la pente est très glissante, comme le montre d’ailleurs la proposition des élus LFI. On passe ici d’un conflit très unilatéral à un conflit plus complexe et clairement provoqué. Et si on l’admettait, où faudrait-il s’arrêter ? Faudrait-il également suspendre les athlètes palestiniens dès lors que l’attaque du 7 octobre n’était clairement pas conforme à l’idéal olympique ? Faut-il aller plus loin et sanctionner tout belligérant ? Faut-il exclure les athlètes du Yémen, où se déroule l’une des pires guerres civiles de l’histoire ? Les athlètes du Myanmar en raison du coup d’Etat de 2021 ? Les athlètes chinois en raison des multiples violations des droits de l’Homme, à commencer par le sort terrible des Ouïghours ? Les athlètes iraniens en raison de la situation des femmes en Iran ? La Charte olympique condamne toute discrimination en raison, notamment, de l’orientation sexuelle ; doit-on exclure les athlètes issus de pays pénalisant l’homosexualité, c’est-à-dire plus d’un tiers des pays du monde ?
On voit ici qu’il existe une contradiction entre l’idée de promotion active de certains idéaux et l’idée de neutralité politique. L’un exclut l’autre. Or, si l’on cherche à faire du CIO un modèle de vertu imposant ses valeurs au monde sous peine de suspension (ou de bannière neutre), on finira par organiser des Jeux Olympiques réduits à une simple poignée de pays, essentiellement occidentaux. Pour éviter cela, le principe de neutralité est essentiel. Cela n’exclut pas que des CNO puissent être ponctuellement sanctionnés : en cas d’ingérence politique locale (comme cela a pu être le cas au Koweït en 2015 ou de manière chronique en Biélorussie, dont le CNO était présidé par le chef de l’Etat, et l’est désormais par son fils), en cas de dopage massif (comme pour le CNO russe en 2017) ou en cas d’annexion d’organisations sportives dépendant d’un autre CNO, comme cela est actuellement le cas pour la Russie. Mais en dehors de quelques hypothèses, bien identifiées et justifiées, l’universalité consubstantielle au mouvement olympique moderne appelle une stricte neutralité politique.