Par Nicolas Molfessis, professeur de droit à l’Université Paris Panthéon-Assas

Édito publié dans la Semaine juridique.

Caveat liminaire : l’auteur de ces lignes est très favorable à la reconnaissance de la liberté des femmes d’avorter et tout autant à son élévation dans notre Constitution, quand bien même on pourrait discuter le compromis ayant conduit à la consacrer dans l’article 34.

Autre chose, toutefois, est l’instrumentalisation de cette liberté à des fins politiques depuis plusieurs semaines, avec pour acmé la mise en scène qui nous a été servie le 8 mars dernier, Place Vendôme. La cérémonie publique du scellement, les discours, la Marseillaise revisitée où le « sang impur » qui, dans l’hymne national, « abreuve nos sillons », se trouve remplacé par « une loi pure dans la Constitution ». « Citoyens, citoyennes », etc. Les trémolos : « Le sceau de la République scelle en ce jour un long combat pour la liberté, proclame d’emblée le Président de la République. Un combat fait de larmes, de drames, de destins brisés ». Le bain de foule. Les caméras, l’INA à portée de bobine. Une délectation du Moment. Un Moment créé de toutes pièces.

Andy Warhol avait, dans une formule qui fera florès, annoncé que nous aurions tous notre quart d’heure de célébrité, manière de résumer l’essor d’une société de communication aux tendances voyeuristes. La célébrité facile et fugace. « Je suis surtout connu pour ma notoriété » disait d’un trait génial le père du pop art. Mais on le voit, il y a différents types de quarts d’heure et tous ne se valent pas. Le dernier en date, c’est donc le quart d’heure Simone Veil. Il consiste à essayer de faire croire à l’avènement d’un moment historique – la variante pouvant être un quart d’heure Badinter – en profitant, comme un cycliste dans la roue de son prédécesseur, d’un événement fondateur, incarné dans et par une icône, bref à espérer pouvoir s’y accrocher pour rayonner à son tour et devenir, pour un instant, « pour un instant seulement » aurait chanté Brel, la version réincarnée de la figure historique première, la vraie, en fait la seule. A ce jeu-là, on peut même finir, si l’on oublie que ce qui se joue réellement n’est évidemment plus une lutte contre des tendances réfractaires au progrès, ni même un combat parlementaire, ni un défi contre un épiscopat désormais réduit au silence ou d’autres forces sociales à présent toutes favorables à l’interruption volontaire de grossesse, si l’on oublie que le droit que l’on fait entrer dans la Constitution existe déjà depuis un demi-siècle, qu’il n’est remis en cause par aucun parti même extrémiste, que Simone Veil elle-même, présidente du comité chargé, en 2008, de réformer le Préambule de la Constitution, n’avait pas proposé de l’y faire entrer, si l’on oublie même que l’on fait de la politique et que cette révision constitutionnelle n’en est que l’instrument du jour, avant de trouver autre chose le lendemain, par exemple un texte sur la fin de vie (drôle d’enchaînement), on peut même finir par y croire soi-même. Et vous voici alors sur Twitter ou mieux encore, sur une affiche avec votre photo et celle de Simone assortie d’un « On l’a fait » et de deux dates : 17 janvier 1975, 4 mars 2024. Ou encore, dans une version live, vous voici sur l’estrade devant la Chancellerie, avec un exemplaire collector du Nouvel Obs de l’appel des 343 Salopes. Ou à la radio, pour dire « Je suis très heureux que demain, nous allions au Congrès et que nous portions ce texte dont j’ai la faiblesse et l’immodestie de penser qu’il est un texte historique ». Bref, vous avez compris le mot d’ordre : postures et imposture.