L’espoir pour le peuple palestinien d’accomplir un jour son droit, internationalement reconnu, à l’autodétermination ne tient désormais plus qu’à un fil. Celui-ci pourrait se rompre au moment même où Israël fête le 77e anniversaire de son indépendance (14 mai 1948). Le gouvernement de B. Netanyahou vient en effet d’annoncer l’impensable : une intensification de ses opérations militaires à Gaza. Il s’agirait officiellement de libérer les derniers otages retenus captifs depuis les attaques terroristes contre Israël du 7 octobre 2023 et d’extirper les combattants du Hamas, jusqu’au dernier. En réalité, sous couvert de peser sur des négociations par des menaces discutables en elles-mêmes, le gouvernement israélien ne dissimule plus son projet d’occupation durable voire d’annexion d’une terre déjà littéralement retournée par une guerre d’une rare intensité. Dans le même temps, les opérations armées israéliennes, les attaques de colons et les expropriations se multiplient à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Là, la population palestinienne survit sans perspectives ; à Gaza, où environ 40 % de la population a moins de 14 ans, elle est exposée à des bombardements quotidiens depuis la rupture du cessez-le-feu (22 mars 2025) et privée de secours humanitaires, biens et services de base. Les opérations annoncées, qui seraient accompagnées de déplacements massifs de civils sous prétexte de les protéger, d’un protocole d’accès à l’aide humanitaire vigoureusement dénoncé par l’ONU et les organismes non gouvernementaux, et enfin d’un plan « d’émigration volontaire » des Gazaouis, auraient des conséquences à peine imaginables pour une population déjà privée de ses droits les plus élémentaires.  

On ne voit d’abord pas comment, 19 mois après le début de la riposte israélienne massive aux attaques du 7 octobre 2023, ces opérations pourraient s’inscrire dans le cadre du droit et du devoir d’Israël de protéger sa population. On ne voit pas non plus comment elles pourraient être compatibles avec les résolutions onusiennes jamais mises en œuvre depuis 1947 et les ordonnances (du 26 janvier 2024, du 28 mars 2024 et du 24 mai 2024), obligatoires, rendues par la Cour internationale de Justice (CIJ). On voit en revanche se dessiner le scénario du pire pour le peuple palestinien. 

Les spécialistes peuvent diverger sur les qualifications, au regard des normes de droit international, des politiques et agissements du gouvernement israélien (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes constitutifs de génocide, violations du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’interdiction de l’acquisition de territoires par la force), qui sont en débat devant les cours internationales (CIJ, CPI) elles-mêmes. Ces qualifications ne sont pas nécessairement exclusives l’une de l’autre. Les signataires, cependant, s’accordent à considérer que le gouvernement israélien s’emploie à nier les droits du peuple palestinien, l’un des derniers peuples sous domination étrangère à ne jamais avoir pu exercer pleinement son droit à l’autodétermination. Le gouvernement d’un Etat démocratique qui se flatte d’être un Etat de droit et se défend devant la Cour internationale de Justice et la Cour pénale internationale (tout en attaquant celle-ci) ne peut pourtant ni ignorer, ni masquer que nombre de ses agissements sont grossièrement contraires tant aux règles du droit international humanitaire (interdiction des déplacements forcés de population constitutifs de crimes de guerre aux termes du Statut de la Cour pénale internationale, par exemple) qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, protégé par une norme impérative du droit international, et qu’ils emportent, à tout le moins, un risque de violation des droits des Palestiniens de Gaza protégés par la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Il ne s’agit pas là de vagues considérations morales héritées d’un idéalisme suranné ou d’allégations spécieuses relevant du seul lawfare mais de règles du droit international posées par les Etats avant et surtout après 1945. La CIJ en a déjà détaillé certaines conséquences, notamment dans ses ordonnances de 2024, à la demande de l’Afrique du Sud, et dans ses avis du 9 juillet 2004 puis du 19 juillet 2024 qui énoncent entre autres obligations celle d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé illégalement. Elle précisera sans doute les obligations d’Israël en tant que puissance occupante et membre de l’ONU à l’égard de la population civile du Territoire palestinien occupé dans un nouvel avis attendu prochainement. Les Etats tiers ne peuvent pas davantage ignorer leurs propres obligations face à de tels agissements : celles-ci leur ont été rappelées, pour partie, par la CIJ, pourtant connue pour être particulièrement soucieuse des prérogatives et susceptibilités étatiques. 

Alors que l’irrémédiable se profile, ces Etats et l’Union européenne ne peuvent se contenter de défendre verbalement le droit international, devant la CIJ ou l’Assemblée générale des Nations Unies par exemple. Il est aussi de leur devoir, non pas seulement moral mais politique et juridique, de se résoudre à adopter, fût-ce sans les Etats-Unis, des mesures qui aillent au-delà des proclamations de principe telles que : reconnaissance sans délai de l’Etat de Palestine pour ceux qui ne l’ont pas encore fait ; non-reconnaissance sans équivoque de la situation découlant de l’occupation illicite (avis du 19 juillet 2024) et d’annexions de territoire par la force ; soutien politique et financier résolu à l’ONU investie d’une « responsabilité permanente en ce qui concerne la question de la Palestine » ; soutien inconditionnel à la CPI et défense de l’autorité de ses décisions ; jugement par les tribunaux nationaux compétents des responsables de crimes internationaux ; adoption des mesures indiquées par la CIJ puis l’Assemblée générale des Nations Unies à l’été 2024 afin de ne prêter aucune aide ou assistance à l’occupation illicite du territoire palestinien ; adoption de mesures économiques et financières proportionnées contre Israël et sanctions ciblées contre les dirigeants israéliens  ; réexamen des accords bilatéraux et réduction du niveau des représentations diplomatiques ; adoption de toutes mesures nécessaires pour empêcher les fournitures, ventes ou transferts directs ou indirects à destination d’Israël et du territoire palestinien d’armes et de matériel connexe qui pourraient servir à commettre des crimes internationaux ; soutien à toutes les forces politiques et segments de la société civile qui, en Israël et en Palestine, œuvrent à un règlement de paix ; engagement actif dans les négociations en vue de la libération des otages, d’un cessez-le-feu permanent et d’un règlement de paix, dans le respect des droits inaliénables du peuple palestinien et avec des garanties internationales pour les deux parties incluant, aussi, la reconnaissance d’Israël. C’est en leur pouvoir, sans avoir à attendre une improbable résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. 

En pleine tourmente, alors que l’issue de la Deuxième Guerre mondiale n’était pas encore certaine, les puissances alliées ont su se projeter vers la construction d’institutions propres à protéger le principe d’humanité, qui se reflète dans la définition des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes constitutifs de génocide ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a quant à lui été reconnu en 1960 malgré la résistance des puissances coloniales. Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent en Palestine, c’est ce droit commun qu’il convient de défendre activement, ce projet qui doit être poursuivi avec toutes les armes du droit et avec la même détermination politique, au bénéfice de la Palestine, mais aussi d’Israël dont l’intérêt propre est de ne pas s’enfermer dans une position intenable à tous égards. 

Liste des signataires

Evelyne Lagrange, Professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Jean Matringe, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Guillaume Devin, Professeur émérite de science politique de l’Institut d’Études politiques de Paris
Julian Fernandez, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas
Andrea Hamann, Professeure de droit public à l’Université de Strasbourg
Romain Le Boeuf, Professeur à Aix-Marseille Université
Anne-Thida Norodom, Professeure de droit public à l’Université Paris-Cité
Frédéric Ramel, Professeur de science politique à l’Institut d’Études politiques de Paris