Par Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Quelle est la portée de ces arrêtés ?

Ces arrêtés sont illégaux pour incompétence et violation de la loi. Leurs auteurs le savaient. Le préfet n’a pas manqué de les déférer au Tribunal administratif et celui-ci de les suspendre. Ils sont un coup médiatique, réussi puisque la presse locale et nationale ainsi que le Blog du Club des juristes en parlent. Ils sont sans doute aussi un coup politique : à 18 mois des élections municipales, les maires montrent aux électeurs qu’ils ont fait ce qu’ils ont pu pour l’offre de soins hospitaliers et se sont heurtés à l’intransigeance de l’Etat et à l’incompréhension du juge administratif.

Mais ils sont aussi l’expression d’une colère, renforcée par la fermeture au moins partielle ou temporaire de plusieurs services d’urgence. Les maires, dont les compétences sont sans cesse rognées au profit des intercommunalités, restent en première ligne pour recueillir et exprimer les attentes et les souffrances de leurs administrés. La tâche est ingrate, parfois même périlleuse. Faute d’autres moyens, ces arrêtés expriment le mécontentement et la frustration de la population devant la dégradation de services de proximité très importants.

Que disent-ils des attentes envers la justice administrative ?

Les arrêtés instrumentalisent le droit et la justice administrative. On peut le regretter au nom du respect de la légalité et s’inquiéter de voir des élus de la République s’enorgueillir de lui porter atteinte (une comparaison approximative avec le désobéissance civile vient évidemment à l’esprit). Mais ils sont en phase avec une tendance à faire du juge administratif celui non seulement des actes administratifs, mais aussi des politiques publiques. Le Conseil d’Etat est réticent, mais a fait un pas important en matière de lutte contre la pollution atmosphérique (notamment avec l’affaire dite « du siècle »).

Implicitement, les maires tentent d’infléchir la jurisprudence dans le même sens envers la politique de santé. Ils ont agi comme autorités de police municipale, invoquant la composante « dignité de la personne humaine » de l’ordre public (les arrêtés citent le célèbre arrêt de 1995, Commune de Morsang-sur- Orge). Leurs visas mentionnent à peu près toutes les déclarations et conventions qui affirment le droit aux soins. Ce sont autant d’instruments sur lesquels le juge administratif est invité à fonder un approfondissement de son contrôle de l’action de l’Etat. Cette éventuelle extension de son office suscite la réserve mais elle a peut-être quelque chose d’inéluctable. L’avenir le dira.

Faut-il étendre les compétences sanitaires communales ?

Les arrêtés ne le réclament pas : ils enjoignent à l’Etat d’exercer ses compétences dans le sens que leurs auteurs souhaitent. A rebours de la décentralisation, les maires ont depuis un siècle perdu beaucoup de leurs attributions sanitaires. Depuis la loi du 21 juillet 2009, ils ne président plus nécessairement le conseil des établissements publics de santé communaux. Cela s’était fait avec l’accord des élus territoriaux, peu désireux d’exercer des compétences complexes, coûteuses et susceptibles d’engager leur responsabilité.

La situation a évolué avec la crise sanitaire de 2020 et, auparavant, avec l’apparition des déserts médicaux. La loi permet aujourd’hui aux communes de faciliter l’ouverture de cabinets médicaux ou de maisons de santé. Beaucoup le font. Mais insérer les collectivités territoriales dans le déjà trop compliqué millefeuille administratif du système de santé ne serait pas simple. Les maires veulent surtout être informés, consultés, écoutés et suivis. Au-delà des textes, ils se sentent investis d’une mission générale de protection du bien-être de la population locale et d’une mission de lanceur d’alerte. Si insolites qu’ils paraissent, ces arrêtés sont un moyen d’exercer ces missions.