Secret professionnel des avocats : entretien avec Jean-Michel Darrois
Avocat à la Cour, associé chez Darrois Villey Maillot Brochier, membre du Club des juristes
Au cœur des polémiques entourant le secret professionnel des avocats, l’adoption définitive le 18 novembre dernier du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, pourtant dévolue à son renforcement, n’aura pas satisfait les revendications d’une partie de la profession. Bien que désormais les écoutes, le relevé des fadettes et les perquisitions au domicile d’un avocat ou au sein de son cabinet en présence du Bâtonnier soient subordonnés à sa mise en cause pour des raisons plausibles et proportionnées, autorisés par le juge des libertés et de la détention (JLD) et soumis à la possibilité d’un recours. La loi, jugée ambiguë, n’empêcherait pas les atteintes au secret du conseil. Retour avec Maître Darrois sur les inquiétudes que suscitent les évolutions du texte chez ses pairs.
Les avocats ne sont pas satisfaits par le vote de la loi sur la modernisation de la justice, pourtant elle comporte un renforcement du secret professionnel de la défense et du conseil ?
C’est vrai, les avocats protestaient contre les excès des mesures intrusives dont ils pouvaient faire l’objet au cours de procédures pénales. Dorénavant aux termes de l’article 56-1 du Code de procédure pénale les écoutes, le relevé des fadettes d’un avocat, et les perquisitions en présence du Bâtonnier dans son cabinet ou à son domicile devront être justifiés par sa mise en cause pour des raisons plausibles, proportionnées, autorisées par le JLD et pourront faire l’objet d’un recours.
Les recommandations de la Commission Perben, la volonté du garde des Sceaux et les demandes de la profession sont ainsi satisfaites ces dispositions font consensus, sauf peut-être chez certains magistrats.
Par ailleurs, la protection du secret professionnel du conseil affirmée par la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques mais exclue par la Cour de cassation en cas d’enquête ou d’instruction, est maintenant inscrite dans le titre préliminaire du CPP et au 2e alinéa de l’article 56-1 qui prévoit en cas de perquisition « qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil…. ne soit saisi et placé sous scellé ». Ces dispositions devraient en principe s’imposer avec plus d’autorité que n’en avait, pour la jurisprudence, la loi du 31 décembre 1971 et assurer la protection des échanges entre un avocat et son client en matière de conseil, comme le demandait unanimement la profession.
Mais alors pourquoi les avocats continuent-ils à protester contre celle loi ?
Sans doute parce que la procédure parlementaire a été marquée par des avancées et des reculs pour aboutir, en matière de secret du conseil, à une solution ambiguë. Deux problèmes me paraissent importants.
D’abord il est certes prévu par la dernière phrase du dernier alinéa de l’article 56-1 qu’au cours de la perquisition le magistrat veille à ce qu’ « …aucun document couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil… ne soit saisi ». Mais le texte précise qu’il s’agit des documents « relevant des droits de la défense ».
Il semble donc en matière de conseil que sont interdits la saisie et le placement sous scellé des seules pièces réunissant deux conditions cumulatives : être couvertes par le secret professionnel et relever des droits de la défense.
La jurisprudence dira ce qu’il faut entendre par les notions contradictoires de document couvert par le secret du conseil mais relevant des droits de la défense.
Instruits par l’expérience les avocats s’inquiètent d’une interprétation qui réserverait la protection du secret professionnel aux seuls conseils donnés au client (mis en examen) pour les besoins de sa défense à l’exclusion de toutes autres correspondances, consultations qui pourraient être saisies. Cela reviendrait à rétablir la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation que le nouveau texte a pourtant la prétention de corriger et à exclure en fait les activités de conseil du secret professionnel.
Ensuite un autre article (56-1-2 nouveau CPP) prévoit qu’en cas de perquisition dans le cabinet ou au domicile de l’avocat « le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou « d’instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions de corruption, trafic « d’influence, fraude fiscale, finance du terrorisme ainsi qu’au blanchissement de ces délits « sous réserve que les documents consultés ou saisis » établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission des dites infractions.
Ainsi, peuvent être réalisées perquisitions et saisies de pièces dans le cabinet ou au domicile de l’avocat sans que soient identifiées contre ce dernier « des raisons plausibles » d’être mis en cause. Cette possibilité est limitée au cas d’enquête pénale portant sur les plus graves infractions économiques. Peuvent être saisis les seuls documents utilisés « aux fins de commettre ou faciliter la commission desdites infractions ».
Il semble, et c’est curieux, qu’il suffise à l’auteur de la perquisition relative à certains délits économiques de ne pas faire état de soupçon à l’égard de l’avocat pour écarter totalement le secret professionnel du conseil quitte à le poursuivre plus tard.
Quelle que soit la gravité des infractions visées, la profession s’inquiète de cette exception au secret professionnel du conseil, dont on peut craindre en outre l’élargissement à l’avenir vers d’autres délits.
Une disposition baroque, mais sans doute dans l’esprit de son auteur, destinée à apporter une réponse à cette question était apparue au cours de la procédure législative. Elle autorisait la procédure de l’article 56-1-2 dans le cas de l’avocat manipulé par son client. Cette hypothèse était trop imprécise pour être maintenue. Elle a été abandonnée mais, sa simple évocation démontre combien cet article est source d’incertitudes, d’ambiguïtés et d’inquiétudes pour la profession.
En définitive les avocats, rendus par leur exercice professionnel soupçonneux, inquiets et querelleurs voient dans les ambigüités de la loi une possibilité offerte à la Cour de cassation pour limiter la protection du secret du conseil, auquel le ministre est, à l’évidence, moins attaché qu’au secret de la défense.
Comment améliorer les choses ?
Ce sera long et difficile car il s’agit, me semble-t-il d’apaiser les relations des magistrats et des avocats.
Pour simplifier, les pénalistes se plaignent d’être mal considérés par les magistrats qui les considéreraient comme des adversaires et non comme des défenseurs dont le rôle est essentiel dans un état de droit.
Beaucoup de magistrats semblent se méfier des avocats et penser qu’ils n’ont pas d’autres intentions que de les tromper ou les déstabiliser.
Quant aux fiscalistes et avocats dits d’affaires, mis en cause publiquement au cours des récents débats parlementaires, ils n’admettent pas d’être soupçonnés de complicité avec leurs clients en les aidant à contourner frauduleusement la loi.
Quelques signes sont encourageants, en vrac : les procédures de transaction en matière pénale sont conduites de concert par le Parquet et les avocats, une avocate préside l’ENM et un magistrat l’EFB, des cycles de formation continue rassemblent avocats, magistrats, juristes d’entreprise, des colloques sont organisés par les avocats et les magistrats et les États généraux de la justice leur permettront de réfléchir à la modernisation de la justice. Tout cela devrait conduire à une meilleure compréhension des missions et des obligations respectives des deux professions qui concourent à la justice chacune dans son rôle. Mais chacun a des responsabilités.
Il appartient aux avocats d’affaires de participer davantage aux institutions ordinales et surtout de mieux expliquer leur rôle de conseil qui consiste non pas à contourner mais au contraire à faire respecter des lois de plus en plus complexes et de nouvelles normes, non législatives, et souvent imprécises mais qui s’imposent dans le monde entier.
Il incombe aussi aux institutions ordinales de présenter des revendications cohérentes et des explications claires pour que la profession soit mieux comprise des magistrats mais aussi de l’opinion publique et évite ainsi d’être débordées par des réseaux plus efficaces et mieux écoutés.
Enfin, tout est possible si les magistrats de plus en plus nombreux reconnaissent le rôle essentiel des avocats dans un état de droit pour la défense comme pour le conseil et admettent, pour reprendre la formule du doyen Decocq que « la défense est en germe dans le conseil ».
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