Faudrait-il étendre l’application de la rétention de sûreté aux infractions terroristes ?
Au lendemain de l’attentat du pont de Bir-Hakeim, des responsables politiques ont réclamé l’application automatique de la rétention de sûreté aux auteurs d’actes de terrorisme à leur sortie de prison. Cette mesure, essentiellement prévue pour les infractions de nature sexuelle, pourrait-elle être étendue aux infractions terroristes ?
Par Haritini Matsopoulou, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris-Saclay, experte du Club des Juristes
Qu’est-ce que la rétention de sûreté et quelles sont ses conditions d’application ?
Créée par la loi n° 2008-174 du 25 février 2008, la rétention de sûreté autorise l’enfermement de certains délinquants particulièrement dangereux à l’issue de l’exécution de leur peine. Certaines affaires, telle l’affaire Evrard concernant l’enlèvement et le viol à Roubaix d’un enfant par un pédophile récidiviste, ont mis en évidence le problème du suivi des délinquants, qui continuent à demeurer dangereux à leur sortie de prison.
Ainsi, le législateur français a-t-il institué, à l’exemple de nombreuses législations étrangères, la « rétention de sûreté ». Cette mesure peut être prononcée à l’encontre d’une personne ayant été condamnée à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes graves commis sur des victimes mineures (assassinat, meurtre, torture ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration) ou sur des victimes majeures, lorsque ces crimes ont été accomplis avec des circonstances aggravantes ou en récidive (C. proc. pén., art. 706-53-13).
La rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne concernée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté, dans lequel celle-ci bénéficie, de façon permanente, d’une prise en charge médicale, sociale et psychologique, dispensée par une équipe pluridisciplinaire, qui est « destinée à permettre la fin de la mesure » (C. proc. pén., art. 706-53-13, dernier al.). Elle ne peut être prononcée que si la cour d’assises a expressément prévu, dans sa décision de condamnation, le réexamen de la situation du condamné, qui doit avoir lieu au moins un an avant la date prévue pour sa libération, en vue d’évaluer sa dangerosité (C. proc. pén., art. 706-53-14). Cette évaluation est confiée à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, dont l’avis est pris en considération par la juridiction régionale de la rétention de sûreté qui est compétente pour ordonner une telle mesure. La décision de cette juridiction n’est valable que pour un an (C. proc. pén., art. 706-53-16). La mesure peut toutefois être renouvelée pour la même durée, sans limitation.
Pour quelles raisons la rétention de sûreté a-t-elle fait l’objet de vives critiques ?
À première vue, l’enfermement d’une personne, après qu’elle a purgé sa peine, ordonné non pour « une infraction constatée, mais pour un comportement criminel hypothétique », peut susciter de sérieuses réserves. Ainsi, certains ont-ils fait remarquer que « la juridiction de la rétention de sûreté se prononce sur des faits inexistants » (V. les observations du Conseil national des barreaux, de la conférence des bâtonniers, du barreau de Paris et de l’Union syndicale des magistrats sur la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental déférée au Conseil constitutionnel, notamment p. 7 et 10) et que cette mesure « concerne des situations ou des faits futurs, incertains et non prouvés » (Ibid.). Est-ce raisonnable de priver un individu de sa liberté, « non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il pourrait peut-être faire » (Rapp. AN n° 497, 2007-2008, présenté par M. G. Fenech, 12 déc. 2007, p. 48) ?
Par ailleurs, la notion de dangerosité est une des plus difficiles à définir, car « les approches de cette question sont multiples et parfois contradictoires » (Rapp. Sénat n° 174, 2007-2008, présenté par M. J.-R. Lecerf, 23 janv. 2007, p. 8). Lors des travaux préparatoires de la loi du 25 février 2008, il a été indiqué que la dangerosité doit être entendue au sens criminologique et non au sens psychiatrique du terme. Dans sa conception criminologique, cette forme de dangerosité vise le grand « risque pour la personne condamnée de commettre une nouvelle infraction après sa libération » (Rapp. AN n° 497, préc., p. 12. – Rapp. Sénat n° 174, préc., p. 8). Il reste que l’évaluation de la dangerosité, abandonnée essentiellement, en France, à la psychiatrie, se fait par l’utilisation des méthodes dont les résultats, même s’ils peuvent être jugés « satisfaisants » (X. Bebin, S. Maître et J.-P. Bouchard, Récidive et Dangerosité – La rétention de sûreté, et après ? : Études et Analyses de l’Institut pour la Justice, mars 2009, p. 20), ne sont pas pour autant infaillibles et n’expriment qu’une simple probabilité.
Malgré ces réserves, la rétention de sûreté répond, à notre avis, à la notion de mesure de sûreté, car son principe dépend de l’état dangereux de l’intéressé, c’est-à-dire de la grande probabilité de le voir à nouveau violer la loi pénale, et de la possibilité d’un traitement visant à éliminer cet état et à empêcher ainsi la récidive. En outre, cette mesure a pour objectif de protéger la société contre les délinquants les plus dangereux, auteurs des crimes les plus odieux, et qui, après avoir purgé leur peine, demeurent encore dangereux et susceptibles de récidiver. Dans ces conditions, le critère de proportionnalité de la mesure au but recherché est respecté. De plus, la rétention de sûreté ne peut être prononcée qu’à titre exceptionnel. Enfin, la procédure de placement en rétention de sûreté est rigoureusement encadrée et assortie d’un ensemble de garanties : intervention de l’autorité judiciaire, débat contradictoire au cours duquel le condamné est assisté d’un avocat, recours possibles, réexamen annuel de la situation de l’intéressé.
L’application de la rétention de sûreté devrait-elle être étendue aux auteurs d’infractions terroristes à leur sortie de prison ?
Les dispositions relatives à la rétention de sûreté ont pour objectif essentiel de prévenir la récidive des auteurs de crimes sexuels, comme en témoigne la place de ces dispositions au sein du Code de procédure pénale.
En ce qui concerne les crimes terroristes, il est permis de penser que, compte tenu de la particulière gravité de ces infractions et des peines édictées par les articles 421-3 à 421-6 du Code pénal (réclusion criminelle à perpétuité, réclusion criminelle de trente ans, de vingt ans ou de quinze ans), la rétention de sûreté pourrait leur être applicable. Cette mesure ne devrait toutefois être prononcée qu’à l’égard des personnes présentant une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.
Quant aux délits terroristes, il est à craindre que l’extension de ce dispositif en la matière ne résiste pas aux foudres du Conseil constitutionnel. On rappellera que selon ce dernier, la mesure de rétention de sûreté ne doit être ordonnée qu’en cas de « stricte nécessité » (Cons. const., déc. n° 2008-562 DC, 21 févr. 2008, consid. 18). Cela signifie donc qu’elle doit constituer l’« unique moyen » pour prévenir la commission de ces infractions en récidive. De plus, par une décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, le Conseil a déclaré que « s’il est loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité, évaluée à partir d’éléments objectifs, de l’auteur d’un acte terroriste et visant à prévenir la récidive de telles infractions, c’est à la condition qu’aucune mesure moins attentatoire aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne soit suffisante pour prévenir la commission de ces actes et que les conditions de mise en œuvre de ces mesures et leur durée soient adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (§14). Ainsi, la Haute juridiction a-t-elle censuré les dispositions de la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020, qui prévoyaient la création d’une mesure de sûreté visant à soumettre les auteurs d’infractions terroristes, à l’issue de leur peine, à un ensemble d’obligations et d’interdictions afin de prévenir leur récidive, car elles portaient atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale. Cette mesure n’était donc pas « adaptée, nécessaire et proportionnée à l’objectif de prévention poursuivi ».
De même, les juges constitutionnels ont stigmatisé la durée de la mesure de sûreté, qui aggravait sa rigueur, ainsi que les durées maximales qui s’appliquaient en considération de la peine encourue, quel que soit le quantum de la peine prononcée. Or, vu la nature et la durée de la rétention de sûreté (mesure privative de liberté et renouvelable sans limite), son application aux délits terroristes pourrait être considérée comme peu compatible avec les principes de nécessité et de proportionnalité, d’autant plus que l’arsenal préventif est déjà suffisamment fourni en la matière.
Les mesures actuelles sont-elles suffisantes pour prévenir la récidive des délits terroristes?
Les mesures tendant à prévenir « la récidive terroriste », et en particulier celle des délits terroristes, sont nombreuses. Parmi celles-ci, on citera notamment les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dites « MICAS », prévues par les articles L. 228-2 à L. 228-5 du Code de la sécurité intérieure. Ces dispositions autorisent le ministre de l’Intérieur, « aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme », à imposer à la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace grave pour la sécurité publique, certaines interdictions et obligations particulièrement contraignantes, telles que celles de ne pas se déplacer à l’extérieur d’une zone géographique déterminée, de ne pas paraître dans certains lieux, de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie.
Puis, la « peine complémentaire » de suivi socio-judiciaire, introduite par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 dans le domaine des infractions terroristes, est parfaitement adaptée aux auteurs de ces infractions, dès lors qu’elle emporte pour le condamné, à l’issue de l’exécution de sa peine, l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines, à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive (C. pén., art. 136-36-1). On soulignera ici que l’article 421-8 du Code pénal, modifié par la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020, impose désormais à la juridiction de jugement de prononcer cette peine en cas de condamnation pour des infractions terroristes, sauf décision contraire « spécialement motivée ».
Enfin, la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 a créé la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion (C. proc. pén., art. 706-25-16 à 706-25-22), qui peut être prononcée à l’égard des personnes condamnées pour une infraction terroriste, après l’exécution de leur peine, lorsqu’elles présentent « une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ». Cette nouvelle mesure de sûreté, ordonnée par le tribunal de l’application des peines de Paris, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, a vocation à s’appliquer aux personnes condamnées à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs infractions terroristes, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale.
La mesure judiciaire de prévention de la récidive antiterroriste a pour finalité la « prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique destinée à permettre la réinsertion de la personne concernée ». Pour que cet objectif puisse être atteint, certaines obligations peuvent être imposées à l’intéressé, telles que celle d’exercer une activité professionnelle ou de suivre un enseignement ou une formation professionnelle. Sur ce point, on peut regretter que la proposition du Sénat, tendant à imposer au condamné, outre des mesures de réinsertion, des mesures de surveillance, à l’exemple de celles pouvant être retenues dans le cadre du suivi socio-judiciaire, ait été écartée. Il conviendrait donc de compléter le dispositif actuel afin de réserver une place à des mesures de contrôle et de surveillance, compte tenu du niveau de dangerosité des personnes concernées.