Procès des attentats du 13 novembre 2015 : point sur la prise en charge en France du risque de terrorisme
Par Rodolphe Bigot – Maitre de conférences en droit privé à l’Université du Mans et Amandine Cayol – Maitre de conférences en droit privé à l’Université de Caen
L’actuel déroulement du procès des attentats du 13 novembre 2015 invite regrettablement à rappeler les règles de prise en charge des conséquences dommageables du terrorisme. Dès 1986, l’augmentation des actes de terrorisme a conduit à l’adoption en France d’une loi relative à l’indemnisation des dommages subis par les victimes. Le principe est celui d’une réparation obligatoire des dommages matériels par les assureurs et d’une prise en charge de la réparation des dommages corporels par un fonds de garantie (le FGTI). S’il n’est pas à l’abri de critiques, le système mis en place en France est globalement efficace.
Comment sont pris en charge les dommages matériels que peut causer un acte de terrorisme ?
A un premier échelon, les assureurs Dommages aux biens prennent en charge l’indemnisation des victimes de dommages matériels depuis la loi de 1986.
A un deuxième échelon, la multiplication d’attentats de grande ampleur a conduit à la création, en France entre 2002 et 2005, d’un « pool » de co(ré)assurance spécifique, du nom de GAREAT (gestion de l’assurance et de la réassurance des risques attentats et actes de terrorisme) qui assure ainsi les assureurs et les réassureurs adhérents de ce pool, lequel est un partenariat public-privé.
Toutefois, et au titre d’un troisième échelon, à l’instar de l’Espagne et du Royaume-Uni, le pool français GAREAT bénéficie de la garantie illimitée de l’État français, laquelle transite par la Caisse centrale de réassurance (CCR).
Ainsi, les risques les plus importants sont obligatoirement couverts, à la différence de ceux rattachés à une section facultative comme les « risques de masse » (liés par exemple à un mouvement de foule ou de panique). Le marché traditionnel de la réassurance, et la CCR en complément, accueillent toutefois ces petits et moyens risques.
Cependant, les montages contractuels étant libres dans ce système de réassurance, ce dernier s’avère particulièrement complexe et d’une grande fragilité. Les difficultés liées à la segmentation entre risques en attestent. Certains risques spécifiques, éclatés (contrats assurant des établissements géographiquement distincts), ou émergents comme les cyber-risques, aggravent le phénomène. Heureusement, à ce jour, le GAREAT n’a que très peu été mis en œuvre, au point que la CCR a cumulé d’importantes réserves, lesquelles pourraient néanmoins rapidement être épuisées en cas de scénario extrême du type « bombe sale ».
La prise en charge des dommages corporels à la suite d’un acte terroriste vous parait-elle satisfaisante ?
L’indemnisation des victimes de dommages corporels relève de la solidarité nationale : elle est assurée par le Fonds de Garantie des victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI). Les souscripteurs d’assurances de biens en assument indirectement le financement, par un prélèvement obligatoire, assis sur les primes de ces contrats (5,90 € depuis 2017 pour chaque contrat souscrit).
L’indemnisation par le FGTI présente l’avantage d’être rapide. D’une part, l’intervention du fonds n’est pas subsidiaire : il n’est pas besoin d’avoir épuisé les autres voies de recours avant de le saisir. D’autre part, ce dernier est tenu de verser une provision un mois maximum après la demande de la victime, et de présenter une offre d’indemnisation complète trois mois après la réception des justificatifs. En cas d’acceptation de l’offre par la victime, le paiement intervient dans un délai de 45 jours.
En revanche, l’étendue de l’indemnisation réalisée par le Fonds reste discutable. Rappelons que le FGTI – comme la plupart des acteurs du dommage corporel – applique la nomenclature Dintilhac, référentiel listant de manière non limitative les postes de préjudices à la suite d’un accident. Compte tenu des troubles spécifiques dont peuvent souffrir les victimes d’actes de terrorismes, le conseil d’administration du FGTI a été contraint de prendre en compte le préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme (PESVT). Si elle a le mérite d’être simple et d’éviter des expertises psychiatriques souvent traumatisantes pour les victimes, l’indemnisation systématique et forfaitaire du PESVT est contraire au principe de réparation intégrale du préjudice, lequel pourrait être consacré par l’article 1258 du projet de réforme de la responsabilité civile.
A notre sens, il devrait plutôt être recherché, pour chaque victime immédiate, l’existence d’éventuels préjudices extrapatrimoniaux permanents particuliers, au titre du poste « préjudices permanents exceptionnels » prévu par la nomenclature Dintilhac.
A la suite de la rédaction d’un livre blanc par des avocats du barreau de Paris en 2016, puis d’un rapport par un groupe de travail dirigé par le Professeur Porchy-Simon en 2017, le FGTI a reconnu deux nouveaux postes de préjudice le 25 septembre 2017. Il s’agit, d’une part, du « préjudice d’angoisse de mort imminente », donnant lieu au versement d’une somme comprise entre 5 000 et 30 000€ pour les victimes décédées, et entre 2 000 et 5 000€ pour les blessés et, d’autre part, du préjudice d’attente des proches – qui remplace pour eux le PESVT –, indemnisé entre 2 000 et 5 000€, mais seulement en cas de décès de la victime directe. Notons que l’autonomie de ces deux postes de préjudices vient d’être récemment consacrée par la Cour de cassation (Ch. Mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072 et 20-15.624).
L’amélioration reste de faible portée en pratique devant le FGTI. La victime directe ayant survécu demeure en effet soumise à une expertise, et ses proches ne sont pas éligibles au préjudice d’attente. Or l’inquiétude ressentie par ces derniers ne dépend pas du sort final de la victime ! Une lettre ouverte au Président de la République a été rédigée en octobre dernier par plusieurs associations de défense des victimes sur ce sujet mais n’a, pour l’instant, donné lieu à aucune réaction.
Les évolutions récentes de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme vous semblent elles efficaces ?
La procédure d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme a été profondément modifiée par la loi du 23 mars 2019. Dans la lignée du rapport remis au garde des Sceaux le 15 mars 2018, un juge d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes (JIVAT) a été créé, désormais compétent de manière exclusive pour traiter du contentieux en la matière, qu’il s’agisse des recours formés contre les décisions du FGTI ou des demandes en réparation formulées contre les auteurs. Le juge pénal perd ainsi sa compétence sur les intérêts civils en matière de terrorisme, au profit du tribunal judiciaire de Paris (JIVAT).
Il est possible de douter de l’efficacité réelle d’une telle réforme. La meilleure égalité de traitement entre les victimes qui a été annoncée n’est pas évidente. La centralisation du contentieux à Paris éloigne le juge de nombreux justiciables. Certains craignent, en outre, « une barémisation officieuse de l’indemnisation » conduisant in fine à un nivellement vers le bas.
Précisons, toutefois, qu’en 2020 le FGTI annonce un taux de transaction à l’amiable à hauteur de 98,47 % pour le terrorisme. La faible importance du contentieux laisse entendre que le système d’indemnisation fonctionne donc globalement bien.
[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]En savoir plus…[/vcex_button]