Par Pierre Egéa, Professeur à l’Université Toulouse Capitole, avocat à la cour

Qui dispose de la possibilité de se pourvoir en cassation ?

L’article 568 du code de procédure pénale dispose que le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs, après celui où la décision a été prononcée, pour se pourvoir en cassation. Le procureur général près la Cour de justice de la République, qui avait requis dans cette affaire un an d’emprisonnement avec sursis contre le garde des Sceaux, a donc décidé de jeter l’éponge en informant, quatre jours francs après l’arrêt de relaxe, qu’il ne saisirait pas la juridiction suprême de l’ordre judiciaire. 

Cette décision met fin à un procès hors norme dirigé contre le garde des Sceaux en exercice. Elle n’a pas manqué de susciter la critique du côté de ceux qui considèrent que la relaxe repose sur des bases juridiques fragiles. Rappelons que la décision de se pourvoir en cassation est de pure opportunité. Elle appartient en propre au ministère public, en l’espèce au procureur général de la Cour de justice de la République, qui a agi souverainement.

Quelles sont les motivations de cette abstention ?

Dans la logique de l’opportunité, le refus de se pourvoir n’a pas à être motivé juridiquement. C’est un pouvoir totalement discrétionnaire sur lequel il n’existe aucun contrôle juridictionnel. Le procureur général Rémy Heitz s’est néanmoins efforcé de justifier sa décision en invoquant deux types de considérations. La première est d’ordre moral. En soulignant la nécessité « d’aller vers l’apaisement », le procureur général a exprimé une volonté de pacification qui peut s’interpréter comme une main tendue au garde des Sceaux, lequel, de son côté, avait pris grand soin d’éviter tout triomphalisme à la suite de sa relaxe. La hache de guerre ayant été publiquement enterrée par les deux parties, elles peuvent désormais avancer de concert pour le plus grand profit de l’intérêt général. 

La seconde considération est plus proprement pragmatique. En cas de cassation, souligne le procureur général, il faudrait réunir une nouvelle cour de justice de la République « avec un résultat aléatoire ». La lourdeur de la procédure, jointe au caractère « aléatoire » du résultat, conduit à la solution dictée par le bon sens consistant à ne pas se pourvoir. En somme, la balance des intérêts conduit à prendre une décision de non-pourvoi.

Quelles sont les conséquences de la décision de ne pas se pourvoir ?

La première des conséquences est de mettre fin au litige. La relaxe est devenue définitive. Il faut néanmoins aller un peu plus loin dans l’analyse de l’épilogue de cette affaire. La décision de non-pourvoi s’inscrit dans une logique qui épouse celle de la relaxe. La motivation de l’arrêt de la cour de justice de la République s’est voulue équilibrée. La constatation de l’existence de l’élément matériel de la prise illégale d’intérêt a pour effet, sinon pour objet, de justifier a posteriori la saisine de la cour ; elle confirme l’objectivité de la poursuite et consacre en définitive la justesse de l’analyse d’une partie au moins de la magistrature qui s’était offusquée des attaques du garde des Sceaux à l’encontre de certains de ses membres. 

En revanche, le refus d’identifier l’élément intentionnel conduit à reconnaître que l’action du garde des Sceaux – critiquable en soi, selon elle – était sauve de toute intention malveillante, d’animosité ou de désir de vengeance. On aboutit ainsi à une décision qui satisfait à la symétrie et dont on peut considérer qu’elle est juridiquement « équilibrée » – d’aucuns pourraient souligner qu’elle relève davantage de l’équilibrisme juridique sinon d’une justice politique. Quoi qu’il en soit, la décision de non-pourvoi telle qu’expliquée par le procureur général relève de la même recherche d’équilibre. Fondée sur l’absence d’élément intentionnel, la relaxe n’a pas constitué un camouflet pour l’autorité de poursuite. Au regard de ce résultat, le risque était grand que le pourvoi n’apparaisse comme relevant de l’obstination déraisonnable. Cela suffisait sans doute pour des propositions de paix entre la justice et son ministre, dont la décision de non-pourvoi constitue l’épilogue.