Par Sébastien Pellé, agrégé des facultés de droit et Professeur à l’Université Toulouse Capitole (IDP – EA 1920)

L’attentat de Magnanville, au cours duquel deux fonctionnaires de police ont été assassinés à leur domicile, a fortement ému l’opinion publique. Le procès, devant la cour d’assises spéciale de Paris, s’est tenu dans un climat particulier en l’absence de l’auteur principal des faits, Larossi Abballa, ce dernier ayant été abattu par les forces de l’ordre lors de l’assaut. Seul était poursuivi, au titre notamment de son éventuelle complicité, Mohamed Lamine Aberouz. Sa participation ayant été retenue, il a été condamné, le 11 octobre dernier, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans. Retour sur cette notion technique, source de nombreux malentendus sur le sens de la peine.

Qu’est-ce qu’une période de sûreté ?

Introduite en 1978, et après une importante controverse sur sa nature juridique, la période de sûreté est appréhendée comme une modalité d’exécution d’une peine privative de liberté (v. Cons. constit., 22 nov. 1978, n° 78-98 DC et Cass. crim., 10 déc. 1980, n° 80.92.358). Techniquement, elle correspond à une période de temps, au sein de la peine privative de liberté, pendant laquelle le condamné ne peut bénéficier d’une suspension ou d’un fractionnement de la peine, d’un placement à l’extérieur, d’une permission de sortir, d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle (v. art. 720-2 CPP).

Dans les cas où la loi le prévoit –et la liste est aujourd’hui assez longue-, la période de sûreté intervient de plein droit lorsqu’une peine privative de liberté, sans sursis, est prononcée pour une durée égale ou supérieure à dix ans (art. 132-23 al. 1 CP). Tel était le cas, par exemple, dans l’affaire de Magnanville puisque les qualifications terroristes font partie des actes, particulièrement graves, préalablement identifiés par le législateur, comme justifiant l’application du mécanisme (v. art. 421-7 CP). Pour toutes les autres infractions, le quantum de la peine prononcée (à partir de cinq ans, toujours sans sursis) peut déclencher, de manière facultative cette fois, l’application d’une période de sûreté lorsque la juridiction de jugement la prononce, par une décision spéciale et motivée (v. art. 132-23 al. 3 CP).

Quelle est la finalité de la période de sûreté ?        

L’incompréhension relative à la période de sûreté est la conséquence de l’impression trompeuse véhiculée, auprès du grand public, par l’expression de réclusion criminelle à perpétuité. Cette dernière n’équivaut pas à une condamnation à mourir en prison. En effet, lorsqu’elle est prononcée, la réclusion criminelle n’implique pas un enfermement effectif la vie durant du condamné, sans aucun espoir de sortie. La prise en compte de l’évolution positive de la personnalité du condamné peut justifier la mise en œuvre de certains aménagements de peine, éloignant la perpétuité en tant que peine de son sens commun.

La période de sûreté permet d’imposer un temps d’enfermement strict, en différant le moment à partir duquel les aménagements pourront être sollicités. La durée de la période de sûreté revêt alors une importance capitale. Lorsqu’elle intervient de plein droit, sa durée est, en principe, de la moitié de la peine ou de dix-huit ans en cas de réclusion criminelle à perpétuité. Elle peut exceptionnellement, par décision spéciale et motivée, être portée jusqu’aux deux-tiers de la peine en cas de condamnation à temps, ou jusqu’à vingt-deux ans en cas de réclusion criminelle à perpétuité (v. art. 132-23 al. 2 CP). Cette dernière disposition éclaire ainsi la peine prononcée par la cour d’assises spéciale de Paris dans la présente affaire.

Une perpétuité « réelle » est-elle possible ?

De façon encore plus spécifique, la loi prévoit quelques rares hypothèses (en matière criminelle) de période de sûreté pour une durée indéterminée. Cela revient à assortir la réclusion criminelle d’une période de sûreté pour une durée elle-même perpétuelle, pendant laquelle le condamné ne peut alors prétendre à aucune mesure de faveur. Il s’agit d’une simple faculté pour la Cour d’assises qui doit être motivée. On parle alors de perpétuité « réelle » ou « incompressible ». Néanmoins, même dans ce cas, l’incarcération « à vie » n’est pas nécessairement définitive.

Bien qu’elle soit désormais plus encadrée en matière de terrorisme, une procédure est prévue afin de permettre la mainlevée ou la réduction de cette mesure (v. art. 720-5 CPP). Cette possibilité de réexamen, même si elle reste très exceptionnelle, suffit, en règle générale, pour considérer que le régime de la période de sûreté n’est pas incompatible avec la prohibition des traitements inhumains et dégradants. L’équilibre demeure cependant précaire et le contrôle de la Cour européenne de plus en plus strict (v. not. CEDH, Gde ch., 9 juillet 2013, Vinter et a. c. Royaume-Uni ; 13 nov. 2014, Bodein c. France ; 28 oct. 2021, Bancsók et László Magyar c/ Hongrie).

La période de sûreté, avec ses paradoxes et ses ambiguïtés, reflète la difficulté de construire une réponse pénale adaptée et respectueuse des droits fondamentaux pour les actes les plus graves. L’abolition de la peine de mort a déplacé le débat mais n’a, semble-t-il, pas permis d’écarter toute tentation d’une mesure de neutralisation définitive.