L’affaire Guerriau / Josso devant le Tribunal correctionnel de Paris
Le sénateur Joël Guerriau est convoqué ce jeudi 27 novembre devant le Tribunal judiciaire de Paris pour une audience de mise en état pénale dans l’affaire qui l’oppose à la députée Sandrine Josso. Cette audience est l’occasion de mettre en lumière un mode opératoire des violences sexuelles, à savoir la soumission chimique.
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Par Laura Pignatel, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à Aix Marseille Université, Membre du LDPSC (UR 4690), Directrice du Master 2 Criminologie de l’Institut des sciences pénales et de criminologie (ISPEC)
Quel est le contexte de l’affaire ?
Les faits se sont déroulés le 14 novembre 2023 à Paris. Sandrine Josso, députée, s’était rendue au domicile du sénateur Joël Guerriau qui fêtait sa récente réélection. Sandrine Josso s’était vue proposer du champagne et avait rapidement ressenti des vertiges, des sueurs ainsi que des palpitations cardiaques. Face à l’anormalité de cette situation, elle quittait le domicile du sénateur puis était rapidement transportée à l’hôpital. L’ensemble des analyses médicales et toxicologiques prouvaient une intoxication à la MDMA. Sandrine Josso déposait plainte le 15 novembre. Le 17 novembre Joël Guerriau était mis en examen notamment du chef « d’administration à une personne, à son insu, d’une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes pour commettre un viol ou une agression sexuelle », délit prévu à l’article 222-30-1 du Code pénal, puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. En raison de la saisie à son domicile d’un sachet d’ecstasy, Joël Guerriau était également mis en examen du chef de détention de stupéfiants (délit prévu à l’article 222-37 du Code pénal). Sur cette base juridique, le magistrat instructeur a alors ordonné le renvoi de Joël Guerriau devant le tribunal correctionnel de Paris. L’audience fixée le jeudi 27 novembre est une audience de mise en état pénale qui sera suivie, en janvier prochain, de deux demi-journées d’audience qui se tiendront devant la 10ème chambre.
Quelles sont les notions au cœur du procès ?
La soumission chimique est évidemment au cœur de ce procès. D’un point de vue juridique et criminologique, la soumission chimique consiste à droguer une personne à des fins criminelles ou délictuelles. Elle s’analyse comme un mode opératoire des violences sexuelles et se manifeste majoritairement dans le cercle familial et amical. Le rapport Josso-Guillotin remis au gouvernement le 12 mai 2025, se référant à une enquête nationale de l’ANSM menée en 2022, révèle que parmi les cas de soumission chimique confirmés, 57% concernent une substance de nature médicamenteuse et 43% des substances non médicamenteuses, dont les principales sont la MDMA, la cocaïne et le cannabis. Les agents chimiques utilisés sont essentiellement de deux types avec des effets pharmacologiques très différents : les sédatifs d’un côté, utilisés pour leurs effets hypnotiques, myorelaxants et qui peuvent endormir la victime ou la désorienter complètement, et de l’autre des euphorisants entactogènes, comme l’ecstasy (MDMA), qui sont utilisés pour favoriser le contact, stimuler la libido et abolir la méfiance de la victime.
La qualification de cette infraction présente un enjeu particulier pour le parquet. Pour être qualifiée pénalement, la soumission chimique suppose d’une part un élément matériel qui consiste dans l’administration d’une substance de nature à altérer le discernement ou le contrôle des actes de la victime, et d’autre part, un élément intentionnel qui apparaît double puisque l’auteur doit avoir la volonté d’administrer la substance, dans le but decommettre un viol ou une agression sexuelle. Ainsi en élaborant un stratagème consistant à inviter Sandrine Josso à son domicile tout en lui faisant consommer, à son insu, de la MDMA diluée dans un verre de champagne, la soumission chimique semble caractérisée. Mais la caractérisation de cette infraction peut être délicate en raison de sa nature sexuelle. En tant qu’infraction sexuelle, la soumission chimique porte atteinte à la liberté sexuelle de la personne en neutralisant chimiquement son consentement et en provoquant délibérément la vulnérabilité de la victime. Il faut alors prouver chez l’auteur la volonté de commettre une agression sexuelle ou un viol : or, la preuve de cette intention découle des éléments de fait, et particulièrement du contexte de commission de l’infraction. On est donc sur un terrain différent de l’administration de substance nuisible portant atteinte à l’intégrité de la personne, mais en l’absence de commencement d’exécution (déshabiller la victime et la caresser par exemple), on est en deçà de la tentative de viol ou d’agression sexuelle. Cette intention si particulière, proche de la préméditation voire du guet-apens, fait de la soumission chimique un acte de perversion qui entraine des conséquences dramatiques pour les victimes. Dans la majorité des cas, ces dernières vont souffrir de troubles psycho-traumatiques. Ces troubles ont un impact considérable sur leur santé (physique et mentale) mais aussi sur leur vie quotidienne. Certaines victimes deviennent traumatisées, hyper angoissées et adoptent des stratégies cognitives d’adaptation ou d’évitement, consistant à éviter de reproduire toute circonstance, parfois anodine, liée à l’infraction (comme ne plus monter un escalier et ne plus se rendre dans des lieux accessibles au public). Le contexte de commission de l’infraction, l’intention sexuelle et le psycho-traumatisme sont autant d’éléments essentiels qui sont au cœur de ce procès.
Quelles sont les peines encourues par l’ex-sénateur ?
En dehors de sanctions disciplinaires normalement prévues aux articles 92 et suivants du règlement du Sénat, les peines encourues par Joël Guerriau peuvent surprendre. En effet, alors que la soumission chimique est une infraction sexuelle et que la substance utilisée est classée comme stupéfiants, la peine prévue par le Code pénal est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (contre 15 ans pour un viol ou une tentative de viol). Cette peine est la même que celle prévue en matière d’agressions sexuelles, mais elle est inférieure à celle prévue en matière d’agression sexuelle aggravée par soumission chimique (art. 222-28 11°). Cela signifie qu’en l’absence d’éléments factuels prouvant un commencement d’exécution d’un viol ou d’une agression sexuelle, le maximum de la peine d’emprisonnement pouvant être prononcée en cas de soumission chimique est de cinq ans. Cette peine peut paraître faible si on la compare à celle prévue pour l’administration de substances nuisibles. Lorsque cette infraction entraine une ITT de plus de huit jours (ce qui peut être le cas lorsque la victime a été droguée à son insu et qu’elle a été hospitalisée), qu’elle est commise sur une personne titulaire d’un mandat électif public (notamment une députée), avec préméditation, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, ou enfin par une personne agissant elle-même en état d’ivresse ou sous l’emprise de stupéfiants, la peine prévue par le Code pénal est de 7 ans voire 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende…bien loin donc de la peine encourue en cas de soumission chimique.
En réalité, c’est sur le terrain de la détention de stupéfiants que Joël Guerriau risque gros : dix ans d’emprisonnement et de 7 500 000 euros d’amende.