Par Aurélien Baudu – Professeur à l’Université de Lille (CRDP-ERDP) – Secrétaire général adjoint de la Société française de finances publiques
Dernièrement, le ministre délégué chargé des transports a déclaré que le scénario d’une mise sous tutelle budgétaire de la Ville de Paris n’est pas « exclu » car « il y a une situation financière grave et qui n’est pas (…) liée au Covid-19. Les chiffres sont éloquents : la dette depuis le début du mandat (…) en 2014 a doublé » pour atteindre désormais plus de 7 Md€. Depuis l’an passé, le principal groupe d’opposition municipale considère qu’une mise sous tutelle budgétaire est « techniquement » envisageable face à une dette publique locale croissante. Selon le premier adjoint à la mairie de Paris, « rien ne justifie sur le plan juridique d’évoquer la mise sous tutelle de la Ville de Paris ».

Qu’est-ce qu’une mise sous tutelle budgétaire ?

En application de l’article 72 de la Constitution, les dispositions législatives (art. L. 1612-1 à L. 1612-20 du CGCT) prévoient un contrôle budgétaire des communes, exercé exclusivement par le préfet, en lien avec les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Ainsi, la loi confie aux préfets le soin de vérifier que la commune et ses établissements publics respectent les règles applicables à l’élaboration, à l’adoption et à l’exécution de leurs budgets (budget primitif, budget supplémentaire, décision modificative et compte administratif). Il doit par exemple vérifier la date d’adoption et de transmission du budget (art. L. 1612-2 et L. 1612-8 du CGCT), l’inscription et le mandatement d’office des dépenses obligatoires (art. L. 1612-15 et L. 1612-16 du CGCT).

Face à certaines situations exceptionnelles, comme l’irrespect de l’équilibre réel du budget communal (art. L. 1612-4 du CGCT), le préfet, en s’appuyant sur l’expertise de la juridiction financière, et s’il considère que cela est nécessaire, selon une procédure prévue par la loi (art. L. 1612-5 du CGCT), vient réformer les documents budgétaires dans le cadre de son pouvoir de substitution qui lui permet de régler d’office et de rendre exécutoire le budget de la commune. Il en va de même en cas de déséquilibre et rejet éventuel du compte administratif (art. L. 1612-12 à L. 1612-14 du CGCT). A compter de la saisine de la juridiction financière et jusqu’à l’issue de cette procédure, le conseil municipal ne peut se prononcer en matière budgétaire, sauf pour la délibération rectifiant le budget initial après la formulation des propositions de rééquilibre par la chambre régionale et territoriale des comptes et pour l’adoption du compte administratif de l’année précédente (art. L.1612-9 du CGCT). Étant donné que l’État se substitue à la commune en matière budgétaire dans certaines limites, c’est en cela que l’on peut parler d’une mise sous tutelle budgétaire.

Quelles seraient les conséquences pour la Ville de Paris d’une mise sous tutelle ?

Il faut toutefois préciser que la commune peut néanmoins continuer de fonctionner sous certaines limites (art. L.1612-1 du CGCT) en recouvrant les recettes ; engageant, liquidant et mandatant les dépenses de la section de fonctionnement dans la limite de celles inscrites au budget de l’année précédente ; mandatant les dépenses afférentes au remboursement en capital des annuités de la dette venant à échéance ; et sur autorisation du conseil municipal uniquement, la commune peut engager, liquider et mandater les dépenses d’investissement, dans la limite du quart des crédits ouverts au budget de l’exercice précédent, non compris les 2 crédits afférents au remboursement de la dette. Conformément à la loi (art. L.1612-9 du CGCT), lorsque le budget d’une commune a été réglé et rendu exécutoire par le préfet, les budgets supplémentaires afférents au même exercice doivent être transmis à la juridiction financière. De plus, lorsque le compte administratif adopté dans ces conditions fait apparaître un déficit dans l’exécution du budget, ce déficit est reporté au budget primitif de l’année suivante et ce budget primitif est également transmis à la juridiction financière. Cette procédure est donc le symbole d’une perte d’autonomie de gestion financière, particulièrement contraignante, ce qui explique qu’elle soit rarement appliquée.

Quels sont les arguments avancés par les associations afin de placer la capitale sous tutelle budgétaire ? Et à qui revient une telle décision ?

Le préfet peut spontanément déclencher la procédure, qui peut être également insufflée par un tiers comme une association. Il faut rappeler qu’une première demande de mise sous tutelle a été adressée par des associations, en décembre 2021, au préfet de Paris, en vain. La demande a été réitérée au nouveau préfet de Paris en s’appuyant sur des observations récentes de la chambre régionale des comptes d’Île de France, laquelle considère que l’insuffisance de son niveau d’épargne, la perte de marges de manœuvre financières et l’impact durable de la crise sanitaire de 2020 devraient conduire la Ville de Paris à réexaminer le niveau de ses charges de gestion et la soutenabilité de sa politique d’investissement.

Au regard de la situation actuelle, la Ville de Paris peut-elle être placée sous tutelle budgétaire ?

Concrètement, seules une baisse des investissements ou une hausse significative des recettes, notamment fiscales, permettrait à la Ville de Paris d’éviter de se retrouver dans une situation qui pourrait justifier l’intervention du préfet et des magistrats financiers. En pratique, lorsque le préfet considère que l’une des situations exceptionnelles précitées est manifeste, il peut demander des éclaircissements et formuler des propositions à la commune pour rééquilibrer le budget. Par exemple, début novembre 2022, l’exécutif municipal parisien a ainsi annoncé vouloir faire voter une hausse du taux de la taxe foncière qui passerait de 13,5 % à 20,5 % en 2023, ce qui laisse à la Ville de Paris une marge de manœuvre financière non négligeable étant donné que le taux moyen observé en France a été d’environ 37% en 2021 pour ce même impôt. Si malgré tout le préfet maintient son appréciation, il doit saisir la chambre régionale des comptes d’Île de France qui viendra proposer les mesures de correction budgétaire en réduisant certaines dépenses ou en augmentant certaines recettes fiscales ou non fiscales. Il revient ensuite à la commune de se plier aux solutions proposées ou, en cas de persistance du conflit, c’est au préfet de Paris que revient le dernier mot.

La Ville de Paris peut ensuite contester devant le tribunal administratif la procédure et il revient alors au juge administratif de vérifier que la ville est effectivement dans l’une des situations exceptionnelles mentionnées par la loi, ce qui interroge ici. Il faut rappeler que l’endettement public de la commune n’est pas, en tant que tel, une justification de mise sous tutelle budgétaire d’une commune, dès lors que la « règle d’or » des finances publiques locales qui assujettit les collectivités au principe d’équilibre réel de leur section de fonctionnement est respectée. Aucune disposition législative ou constitutionnelle ne limite le niveau d’endettement des collectivités territoriales. C’est plutôt un objectif assigné aux collectivités territoriales. Ainsi, les recettes et les dépenses de la commune doivent être évaluées de façon sincère, sans omission, majoration, ni minoration. Le défaut d’équilibre budgétaire est souvent la conséquence d’une insincérité constatée. C’est pourquoi le législateur impose aux communes d’adopter un budget en « équilibre réel » et, pour y parvenir, d’évaluer les recettes – y compris celles tirées de l’emprunt – en respectant un principe de sincérité budgétaire, sous l’œil vigilant du juge administratif et des magistrats financiers.

À ce sujet, certaines pratiques ont été contestées à Paris, comme celle consistant à obtenir des bailleurs sociaux le versement en une seule fois de loyers attachés à des baux de longue durée. Dans le cadre de ces baux emphytéotiques, la Ville de Paris demande aux bailleurs sociaux la capitalisation, en un seul versement, de toutes les redevances dues sur la durée des baux (généralement pour 60 ans). Le montant des redevances est fixé pour assurer l’équilibre de l’opération. Cet horizon à très long terme des baux emphytéotiques conclus par la Ville de Paris et la faculté ainsi offerte aux bailleurs sociaux de constituer des droits réels sur les biens concernés font des loyers capitalisés une recette d’investissement qui doit normalement être reprise progressivement en section de fonctionnement, à hauteur de la fraction correspondant au loyer annuel. En conséquence, l’enregistrement des opérations budgétaires dans l’une ou l’autre section du budget et les transferts de l’une à l’autre sont étroitement encadrés par les dispositions législatives et réglementaires. Comme l’ont souligné les magistrats financiers dans leur rapport de février 2022, depuis 2016, la Ville de Paris procède à la reprise en section de fonctionnement de l’intégralité des loyers capitalisés (art. D. 2311-14 du CGCT).

En application de cette disposition, la Ville de Paris obtient chaque année l’autorisation de l’État, et notamment du ministre chargé du budget et des collectivités locales, et de son assemblée délibérante, de procéder à la reprise en section de fonctionnement du montant des loyers capitalisés à percevoir au cours de l’exercice en section d’investissement. La nomenclature comptable M57, applicable à la Ville de Paris depuis 2018, prévoit que ces deux types d’opérations sont enregistrés sur le même compte. Selon la CRC d’Île de France, ces recettes de loyers capitalisés représentent chaque année des montants significatifs mais qui décroissent (de 354 M€ en 2016 à 142 M€ en 2020). Leur reprise en section de fonctionnement a permis à la Ville de Paris d’équilibrer son budget et de satisfaire à la « règle d’or » des finances publiques locales. L’insincérité budgétaire ne semble donc pas être manifeste même si la pratique est discutable.

In fine, si le bras de fer se poursuit entre l’État et la Ville de Paris sur ce sujet, il appartiendrait au juge administratif d’examiner si les moyens tirés de l’absence de sincérité et d’équilibre réel du budget communal parisien sont fondés ou pas afin de siffler la fin de la partie.

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