Généralisation de la visio-plainte : comment ça marche ?
Depuis la loi du 24 janvier 2023, l’article 15-3-1-1 du Code de procédure pénale prévoit que les victimes d’infractions pénales peuvent porter plainte et faire leurs dépositions « par un moyen de télécommunication audiovisuelle garantissant la confidentialité de la transmission ». Après une phase d’expérimentation dans deux départements (la Sarthe et les Yvelines), le décret n° 2024-139 du 23 février 2024 généralise ce procédé à la France entière et en préciser les modalités d’application.
Par Stéphane Detraz Maître de conférences HDR, Droit privé et sciences criminelles, Université Paris-Saclay.
Qu’est-ce que la procédure de visio-plainte ?
Le décret du 23 février 2024 donne à cette procédure le nom de « plaintes recueillies par voie de télécommunication audiovisuelle ». Elle se distingue de celle de la « plainte en ligne » (elle-même précédée d’une procédure de « pré-plainte en ligne »), qui existe depuis une loi du 23 mars 2019 (article 15-3-1 du Code de procédure pénale) et un décret du 24 mai 2019 (articles D. 8-2-1 et suivants du même code) et qui consiste à porter plainte « par voie électronique » auprès d’un service de la police nationale ou d’une unité de la gendarmerie nationale, à propos de certaines infractions seulement (l’arrêté du 26 juin 2020 énumère des infractions de type numérique).
La visio-plainte, elle, repose sur l’emploi d’un moyen de télécommunication « audiovisuelle » : elle exige une connexion à internet et un appareil permettant aux interlocuteurs de se voir et de s’entendre et doit assurer « une transmission fidèle, loyale et confidentielle des échanges ». Ainsi, d’un côté, la personne concernée, depuis l’endroit qui lui sied, s’identifie de façon sécurisée par un téléservice selon les modalités précisées par un arrêté du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice. De l’autre, au sein du service ou de l’unité de police judiciaire contacté, un officier ou un agent de police judiciaire reçoit la plainte de l’intéressé avant de l’enregistrer. Il est à noter que cette procédure vaut non seulement pour le dépôt de plainte stricto sensu, mais également pour le recueil des déclarations de la victime (y compris lorsque la plainte a déjà été déposée). En revanche, elle n’est pas applicable à la « plainte avec constitution de partie civile », qui n’est pas une plainte stricto sensu, mais un acte par lequel la victime d’une infraction manifeste auprès du juge d’instruction sa volonté d’engager les poursuites et qui entraîne de ce fait l’ouverture d’une information judiciaire.
Au terme de la visio-conférence, le procès-verbal de plainte est adressé par voie électronique à la victime, laquelle est invitée (sous réserve d’une demande de modifications de sa part) à le confirmer, après quoi il est signé par l’officier ou l’agent de police judiciaire. La victime n’a pas besoin de le signer de son côté. Le récépissé et, si elle en fait la demande, la copie du procès-verbal de plainte lui sont in fine transmis dans les meilleurs délais.
Dans quel cas la procédure de visio-plainte est-elle possible ?
La procédure de visio-plainte est toujours facultative : l’individu qui s’estime victime d’une infraction pénale conserve en toutes circonstances le droit de porter plainte en se rendant physiquement auprès d’un officier ou d’un agent de police judiciaire ou par courrier adressé au procureur de la République. Elle n’est en revanche jamais interdite par les textes (son champ d’application est donc bien plus large que celui de la plainte en ligne) et ne peut être refusée in concreto par les policiers ou les gendarmes. En effet, tant la loi que le décret l’autorisent au bénéfice de « toute victime », quelle que soit donc la nature de l’infraction dont celle-ci se plaint et les circonstances de l’affaire. Toutefois, concernant les agressions et atteintes sexuelles punies par les articles 222-22 à 222-31-2 et 227-25 à 227-27-3 du Code pénal, les policiers devront impérativement procéder à l’« audition » de la personne en sa présence : la procédure de plainte ne pourra donc pas être intégralement réalisée par un moyen de télécommunication audiovisuelle. En outre, pour d’autres infractions, les enquêteurs pourront considérer que « la nature ou la gravité des faits » dénoncés nécessite que la victime soit ultérieurement auditionnée en étant à leur côté.
Quels sont les intérêts de la visio-plainte ?
La plainte de la victime ne constitue pas en principe un préalable nécessaire à l’ouverture d’une enquête ou à la mise en mouvement de l’action publique par la police ou par le ministère public. Néanmoins, de facto, elle est bien souvent indispensable à l’information, et donc à l’action, de ces autorités. C’est un moyen de s’assurer que la police et l’autorité judiciaires s’empareront d’une affaire. A cet égard, la procédure de la visio-plainte est donc de nature à servir cet objectif, si l’on estime que, du point de vue de la victime, elle apparaît plus simple et plus rapide, et peut-être aussi moins dissuasive et angoissante, que la procédure classique. Elle permettrait ainsi non pas simplement de simplifier le dépôt de plainte, mais également que des plaintes soient déposées dans des cas où, sans elle, les personnes concernées renonceraient à le faire.
Des risques existent cependant, mais que le décret cherche à juguler. D’une part, afin d’éviter les abus, la procédure de visio-plainte obéit à un certain formalisme, qui permet d’identifier et de voir la victime (cette procédure n’est donc pas faite pour des dénonciations anonymes ou fantaisistes). D’autre part, afin que soient garantis ses droits et assurée sa parfaite information, la victime – qui peut toujours renoncer à utiliser la procédure en question – doit se voir notifier certains renseignements au début de la procédure (caractère facultatif du procédé en question, possibilité de faire l’objet d’une audition ultérieure « en présentiel », faculté de contester le classement sans suite qui sera éventuellement décidé, droit à une prise en charge psychologique et médicale en cas de nécessité, etc.).