Par Ludivine Richefeu, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, CY Cergy Paris Université

Quel est l’intérêt de cet arrêt ?

Dans les faits, une agression sexuelle était reprochée au mis en cause, qui n’était autre que l’oncle de la victime. Ce dernier avait admis avoir procédé à des attouchements sur les jambes, le sexe, la poitrine et le ventre de sa nièce. Parallèlement, il avait relevé que celle-ci ne l’avait pas touché, ne lui avait pas parlé, et qu’elle s’était transformée, au moment des actes reprochés, en « une poupée de chiffon ». Malgré ces constatations, il soutenait qu’elle était consentante à l’acte. Toute la question s’articulait donc autour de la qualification d’agression sexuelle, et plus particulièrement de la preuve du non-consentement de la victime.

Le non-consentement de la victime fait en effet partie, en droit français, de l’élément matériel de l’agression sexuelle. Plus précisément, la qualification des agressions sexuelles lato sensu nécessite que les actes reprochés – pénétration, attouchements etc. – soient commis par contrainte, menace, violence ou surprise, autrement dit sans le consentement de la victime (art. 222-22 du Code pénal). Le Code pénal français ne contient donc pas la notion de consentement, mais celle de non-consentement ; il inverse la logique en qualifiant les agressions sexuelles dès lors que l’auteur a forcé ou vicié le consentement de la victime. Cela revient, pour l’accusation, à prouver que l’auteur a contraint, forcé le consentement la victime, plutôt qu’à démontrer qu’il ne s’est pas assuré de son consentement. Or, cette définition des agressions sexuelles par le défaut de consentement souffre d’incertitudes et de lacunes. Est ainsi relevée l’impossibilité de qualifier une agression sexuelle lorsque la victime, dans un état de sidération, n’a pu ni se défendre, ni prononcer son refus (rapport Grevio 2019, § 192).

Le présent arrêt vient combler cette faille, en précisant que le consentement de la victime ne peut être déduit de la sidération causée par une agression sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise. Autrement dit, l’absence de réaction de la victime face à l’agression subie ne permet plus d’écarter la qualification d’agression sexuelle. Bien au contraire, cette absence de réaction, lorsqu’elle est due à l’état de sidération de la victime, est susceptible de démontrer que le consentement de celle-ci a été surpris et, ainsi, de qualifier l’agression sexuelle.

En quoi cet arrêt est-il important ?

La solution du présent arrêt marque bien sûr son importance. En qualifiant d’agression sexuelle des faits où la victime était en état de sidération, la Cour de cassation étend cette qualification aux situations dans lesquelles la victime ne s’est pas débattue ou opposée explicitement à l’acte. Il est vrai que certaines de ces situations spécifiques étaient déjà prises en compte par les juges répressifs, confirmés par la Cour de cassation. Était ainsi qualifiés d’agressions sexuelles les actes commis sur une victime qui dormait, ou était fortement alcoolisée (crim., 11 janvier 2017, 15-86.680) – deux situations empêchant celle-ci de consentir à l’acte. Pour autant, l’agression sexuelle était plus difficile à qualifier lorsque la victime, a priori en pleine possession de ses moyens, ne s’était pas défendue ou opposée à l’acte du fait d’un état de sidération (rapport Grevio 2019, § 192), et cela quand bien même l’absence de réaction de celle-ci aurait dû conduire l’auteur des actes à prendre conscience de l’absence de consentement. Seules certaines juridictions du fond avaient ainsi jusqu’à présent retenu la sidération de la victime pour qualifier une agression sexuelle par « surprise ». La Cour de cassation, quant à elle, n’avait pas repris expressément ce terme de sidération dans ses arrêts, ni fondé ses décisions sur l’état de sidération en tant que tel (2 novembre 2017, n° 16-85.499 ; 9 décembre 2009, n° 09-86.362 ; 16 janvier 2008, n° 07-87.621).

C’est désormais chose faite, et c’est ce qui fonde toute l’importance de l’arrêt du 11 septembre dernier – importance qui est peut-être d’ailleurs davantage due à la juridiction qui a rendu cette décision qu’à sa solution. La Cour de cassation poursuivant en effet la mission d’unifier l’interprétation des lois, ses décisions se diffusent auprès de l’ensemble des tribunaux et cours d’appel de l’ordre judiciaire, auxquels elles s’imposent. En considérant que les juges d’appel ont correctement qualifié l’agression sexuelle par surprise au regard de l’état de sidération de la victime, la Cour de cassation étend la notion de « surprise » au sens de l’article 222-22 du Code pénal, et procède à une interprétation qui devra désormais être celle des juridictions inférieures.

Introduire la notion de consentement dans la loi : est-ce toujours utile ?

L’introduction de la notion de consentement dans la définition des agressions sexuelles est au cœur des débats actuels, sociétaux et parlementaires. Le Garde des Sceaux s’est d’ailleurs prononcé favorablement à cette évolution le 27 septembre dernier. Mais celle-ci est-elle toujours nécessaire ? En comblant l’une des lacunes essentielles et actuelles des textes, l’arrêt du 11 septembre dernier permet de s’interroger sur l’utilité de cette introduction. Surtout, une telle évolution textuelle ne servirait à rien si elle n’était pas accompagnée d’une amélioration de la procédure : 86% des plaintes pour agressions sexuelles sont actuellement classées sans suite (note de l’Institut des politiques publiques, 3 avril 2024). Le recueil de la parole par les acteurs policiers et judiciaires, leur formation, l’accompagnement des victimes, sont ainsi autant de batailles à mener pour garantir une meilleure réponse pénale aux agressions sexuelles.