Par Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris, Membre du Club des juristes

Quelles étaient les faits et les personnes poursuivis dans cette affaire ?

Comme le rappelle le jugement, l’affaire trouve son origine dans une dénonciation d’une députée européenne du Front national qui faisait l’objet d’une enquête pour détournements d’emplois d’assistants parlementaires européens. Cette dénonciation a été envoyée en mars 2017 au Procureur de la République de Paris auquel cette députée disait vouloir révéler que des faits similaires avaient été commis par d’autres partis politiques et notamment par le MODEM. Le Procureur de la République de Paris – qui était alors M. François Molins – a ouvert une enquête le 9 juillet 2017 à la suite de cette dénonciation et une information judiciaire le 19 juillet 2017, ce qui a conduit à la saisine de deux juges d’instruction. Cette information a été clôturée le 9 mars 2023 et les juges d’instruction ont renvoyé cinq députés européens de l’UDF et du MODEM pour détournement de fonds publics, et cinq cadres et dirigeants de ces deux partis politiques pour complicité et recel de détournements de fonds publics. Ils ont aussi renvoyé l’UDF et le MODEM pour complicité et recel de détournements de fonds publics de même qu’un assistant parlementaire pour abus de confiance.

Il convient de préciser que les juges d’instruction ont déclaré avoir limité la poursuite aux seuls cas d’assistants parlementaires n’ayant, selon eux, effectué aucun travail pour leur député ou qui n’ont quasiment accompli aucune tâche pour eux alors qu’ils travaillaient parallèlement pour le parti. C’est la raison pour laquelle le renvoi n’a porté que sur les assistants parlementaires de cinq députés européens, ce qui représentait six assistants parlementaires alors que leur nombre s’est élevé à cent-trente-et-un pendant la même période. Pareillement, le montant des sommes susceptibles d’avoir été détournées a été calculé, selon les parties, à 262 037 € ou 293 253 € alors que les rémunérations versées par le Parlement européen pour payer les assistants parlementaires des députés européens UDF et Modem se sont élevées à presque 14 millions d’euros sur la même période.

Pour quels motifs le tribunal judiciaire de Paris a-t-il condamné l’ensemble des députés européens poursuivis ainsi que quatre dirigeants de l’UDF et le MODEM et ces deux partis politiques ?

Les cinq députés ont été condamnés pour le délit de détournement de fonds publics puni par l’article 432-15 du Code pénal. Le tribunal a considéré que les rémunérations versées aux assistants parlementaires européens doivent payer une activité directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés, de sorte que leur utilisation au profit des partis politiques de ces mêmes députés constitue un détournement. Il a examiné le cas de chacun des députés poursuivis par rapport au travail de leur assistant parlementaire et à leur connaissance que leur assistant était rémunéré par le Parlement européen.  Il a à chaque fois conclu que ces députés avaient commis le délit de détournement de fonds publics dans son élément matériel et dans son élément intentionnel.

Le tribunal a aussi condamné trois dirigeants de l’UDF et du MODEM pour complicité de détournement de fonds publics. Deux condamnations ont visé la conclusion des contrats d’assistants parlementaires qui a été qualifiée de complicité par aide ou assistance. L’une a concerné le directeur administratif et financier de l’UDF et du MODEM et l’autre son trésorier sur une partie de la période de prévention. La troisième condamnation a été rendue contre Michel Mercier alors qu’il était trésorier de l’UDF et du MODEM pour une autre période de la prévention. Le tribunal a considéré que Michel Mercier était coupable de complicité au motif qu’il avait donné des instructions au directeur administratif et financier pour la conclusion des contrats d’assistance parlementaire.

Chaque condamnation a prononcé une peine d’emprisonnement, d’amende et d’inéligibilité. Les peines d’emprisonnement varient de 10 mois à 18 mois et ont toutes été assorties du sursis. Les peines d’amende ont été fixées entre 10 000 et 50 000 € sans sursis. Les peines d’inéligibilité sont toutes de 2 ans avec sursis.

L’UDF et le MODEM ont été condamnés pour complicité de détournements de fonds publics au motif que ses deux trésoriers, condamnés eux-mêmes de ce chef, en étaient des représentants dont les actes engagent la responsabilité pénale de la personne morale pour le compte de laquelle ils ont agi. Les deux partis politiques ont aussi été condamnés pour recel de détournements de fonds publics parce que ses trésoriers ont agi à son bénéfice. Les peines prononcées contre l’UDF et le MODEM sont des amendes qui ont été respectivement fixées à 150 000  et 350 000 €. Ces deux amendes ont été assorties d’un sursis à hauteur de 50 000 €.

Il convient de relever que chaque condamnation a été fondée sur une motivation propre mettant en exergue des faits particuliers caractérisant l’infraction en cause. C’est cette approche qui a conduit M. Bayrou à déclarer que le tribunal n’avait pas suivi les accusations des juges d’instruction selon lesquelles l’UDF et le MODEM auraient mis en place un système organisé d’utilisation à leur profit d’assistants parlementaires européens. Le tribunal n’a en ce sens pas énoncé qu’un système de ce type aurait existé.

Le tribunal judiciaire a, en revanche, relaxé François Bayrou. Pour quelles raisons ?

François Bayrou a été renvoyé pour complicité par instigation. Les juges d’instruction lui ont reproché d’avoir, en sa qualité de Président de l’UDF et MODEM, sollicité des députés européens un engagement à employer comme assistants parlementaires des personnes travaillant en fait pour ces deux partis politiques. Le tribunal judiciaire n’a pas partagé cette analyse, puisqu’il a relaxé M. Bayrou. Cette relaxe a été soigneusement motivée, puisque le tribunal a pris soin d’écarter le grief de complicité par rapport à trois possibilités de qualification.

Le tribunal a considéré, d’une part, que la preuve n’était pas rapportée que M. Bayrou s’était rendu coupable de complicité des délits de détournements de fonds publics commis par les députés européens, étant donné qu’il ne ressortait d’aucune pièce de la procédure qu’il leur avait demandé d’employer fictivement des assistants parlementaires. Il a, d’autre part, rejeté le grief de complicité en relevant qu’aucune personne n’avait déclaré que M. Bayrou avait donné des instructions à quiconque et notamment aux trésoriers en vue d’aider sciemment les députés européens poursuivis à employer des assistants parlementaires sans leur donner de travaux à accomplir. Il a enfin examiné la complicité par rapport à l’obligation qu’aurait eue M. Bayrou de mettre fin aux contrats d’assistants parlementaires donnant lieu à des détournements de fonds publics au préjudice du Parlement européen. Si le tribunal a considéré que M. Bayrou avait l’obligation et le pouvoir, en qualité de Président de l’UDF et du MODEM, de faire cesser tout agissement délictueux dont il avait la connaissance, il a cependant rejeté la qualification de complicité parce qu’il n’était pas établi qu’il savait que les contrats d’assistances parlementaire qui étaient en cause n’étaient pas exécutés.

Certes, le tribunal a mentionné qu’il était « très probable » que les dirigeants condamnés pour complicité avaient agi avec son autorisation ou à tout le moins l’avait informé de leurs agissements qu’ils ont commis au seul profit du parti. Mais il a ajouté qu’il n’était pas rapporté la preuve de cette autorisation ou de cette information et qu’il ne saurait déduire la culpabilité d’un prévenu d’une hypothèse même si elle est vraisemblable. C’est pourquoi il a relaxé François Bayrou « au bénéfice du doute » comme cela a été largement relayé par les médias. L’expression « bénéfice du doute » n’est juridiquement pas contestable, laquelle atteste qu’une déclaration de culpabilité ne peut pas intervenir quand les preuves ne permettent pas d’avoir une certitude. Mais on peut s’étonner que le tribunal l’ait utilisée alors qu’il a, dans le même temps, énoncé qu’aucune preuve n’était rapportée, ce qui a priori ne laisse pas de place au doute. Le « bénéfice du doute » invoquée par le tribunal renvoie donc à « une hypothèse » comme il reconnaît lui-même. Mais une hypothèse confine à la spéculation en l’absence de commencement de preuve.

Le parquet a fait appel de la relaxe de François Bayrou ainsi que des deux autres relaxes prononcées par le tribunal. Que peut-on en penser ?

Les deux autres relaxes ont concerné le directeur général des services de l’UDF et du MODEM et un assistant parlementaire. Le parquet de Paris a fait appel de leur relaxe de même que celle de François Bayrou. Cet appel est intervenu en premier, c’est-à-dire avant que les personnes condamnées aient elles-mêmes fait appel. Il ne s’agit donc pas d’un appel en réponse à celui qu’auraient formé les condamnés et par lequel le parquet aurait voulu faire rejuger l’ensemble des prévenus au motif que leurs cas ne seraient pas dissociables. Le parquet n’a d’ailleurs pas fait appel pour le moment des condamnations, attendant semble-t-il que les personnes condamnées le fassent.

L’appel du parquet contre les trois relaxes prononcées par le tribunal traduit son opposition à celles-ci et plus particulièrement à leurs motifs s’agissant de l’absence de preuve. Mme la Procureure de la République de Paris a signé en ce sens un communiqué énonçant que « le parquet conteste ces relaxes, estime que les faits caractérisent les infractions reprochées et que les preuves de ces délits sont réunies contre tous les prévenus ». Cet appel a pour conséquence que les faits et les preuves seront réexaminés par la Cour d’appel de Paris devant laquelle un deuxième procès se tiendra. La Cour d’appel reprendra l’ensemble du dossier et pourra infirmer chacune des relaxes, c’est-à-dire considérer qu’il y a suffisamment de preuves pour condamner nonobstant la position contraire des juges du premier degré. Elle pourra aussi bien sûr confirmer ces relaxes, voire les étendre à toutes ou à certaines des condamnations si elle en est aussi saisie, ce qui est probable.

En tout état de cause, cet appel a pour effet de prolonger cette procédure qui a commencé il y a presque 7 ans. Ce prolongement n’est évidemment pas sans conséquence pour une personnalité politique comme François Bayrou car elle interfère directement avec ses fonctions politiques puisqu’elle leur est directement liée.